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CAUT Bulletin Archives
1996-2016

January 2011

L’enseignement supérieur axé sur le marché n’est pas seulement une réalité britannique

Par Penni Stewart
Un rapport intitulé, de façon anodine, Securing a Sustainable Future for Higher Education (assurer un avenir durable à l’enseignement supérieur) a été publié en Grande-Bretagne au grand désarroi du personnel académique. Les recommandations de ce rapport, lesquelles constituent le fondement de la politique gouvernementale de la coalition britannique, transformeront de manière radicale le paysage de l’enseignement supérieur en restructurant le financement de l’éducation postsecondaire.

En Angleterre, l’État diminuera d’environ 40 p. 100 les fonds qu’il alloue à l’enseignement supérieur et réduira presque à néant l’aide financière destinée au premier cycle universitaire (la subvention à l’éducation) dans les domaines des sciences humaines et sociales et des arts, mais pas des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM).

Les droits de scolarité augmen­te­ront considérablement, allant même jusqu’à tripler dans certains cas. Le financement global actuellement versé aux établissements sera remplacé par des bons remis aux étudiantes et aux étudiants pour leur permettre de payer leurs études sous forme de prêts. Ce nouveau mode de financement entraînera vraisemblablement la fermeture d’établissements. La seule bonne nouvelle, c’est que les fonds destinés à la recherche ont échappé au couperet pour le moment.

La sonnette d’alarme a été tirée un peu partout en Angleterre. Dans un compte rendu publié dans l’édition du 4 novembre dernier de la revue London Review of Books, Stefan Collini affirme que les effets de la restructuration, tout particu­li­èrement ceux qui concernent la ré­duction du financement global, feront carrément passer l’éducation du domaine public au domaine pri­vé et transformeront celle-ci en un « marché légèrement réglementé », où les choix des consommateurs dicteront les matières enseignées.

« Ce qui est en jeu, c’est la voca­tion future des universités : doivent-elles être considérées comme des institutions publiques remplissant un rôle culturel financé en partie par le gouvernement ou devraient-elles être plutôt redéfinies en fonction de leur valeur, celle-ci étant calculée sous l’angle exclusivement économique, et d’une conception entièrement individualiste de la “satisfaction du consommateur”? », se demande M. Collini.

Bien qu’une restructuration comme celle causée par la crise en Grande-Bretagne et les droits de scolarité astronomiques semblables à ceux qu’imposent les grandes universités américaines aient épargné le Canada jusqu’à présent, des tendances semblables se profilent né­anmoins à l’horizon. Les universités et les collèges canadiens sont de plus en plus administrés selon un modèle commercial dans lequel l’éducation est offerte à ceux qui ont les moyens de payer ou qui sont prêts à s’endetter, et la mati­ère et les programmes sont orientés vers le marché du travail (réel ou imaginaire).

Dans cette nouvelle réalité, le personnel académique se voit de plus en plus catégorisé et confiné à des postes occasionnels. Les admin­istrations et les rectrices et recteurs d’université, qui devraient être sur la ligne de front pour exiger un modè­le de financement public renouvelé, encouragent au contraire cette tendance. Trop souvent, on blâme le personnel académi­que qui proteste en lui reprochant d’être réfractaire au changement ou de ne pas reconnaître les contraintes imposées par la conjoncture économique.

Par ailleurs, nous avons été remarquablement réticents à faire valoir l’importance d’un système éducatif ouvert à tous et favorisant une vaste culture auprès d’une population sensibilisée à la question et nous avons mis beaucoup de temps à dénoncer la privatisation croissante de notre
système, conséquence du désinves­tissement public dans l’éducation postsecondaire.

Les étudiantes et étudiants canadiens financent directement une proportion toujours plus importante de leurs études. Selon Statistique Canada, alors que le taux d’inflation enregistré entre juin 2009 et juin 2010 était de 1,8 p. 100, les droits moyens de scolarité au premier cycle à temps plein ont augmenté de 4,4 p. 100 l’année der­nière, ceux pour les cycles supé­ri­eurs ont été majorés de 6,6 p. 100, et le frais obligatoires supplémentaires ont été haussés de 7 p. 100. À l’heure actuelle, le revenu total des universités provient à hauteur d’environ 35 p. 100 des droits de scolarité.

Il semble peu probable que cette situation s’améliore. Les transferts fédéraux, qui ont augmenté de 2 p. 100 par année, n’ont pas suivi la hausse des coûts en éducation, et les budgets déjà lourdement grevés des provinces ne constitu­eront vraisemblablement pas de nouvelles sources de financement pour l’éducation postsecondaire.

Les gouvernements et les cadres supérieurs d’université ont opté pour une vision optimiste de plus en plus lourde du fardeau imposé aux étudiants et à leur famille, soutenant que tant que l’aide financière aux étudiants augmente, les droits de scolarité devraient croître.

À cette situation s’ajoute la pression croissante relative à la stratification des établissements d’enseignement, que réclament tout particulièrement les recteurs des cinq grandes universités, mais également les organismes externes comme le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur, qui, dans un rapport récent, prend fait et cause pour le financement différencié comme moyen d’encourager les universités à se « spécialiser ». Il s’agit simplement d’une façon d’offici­ali­ser l’écart grandissant entre, d’une part, les établissements axés sur la recherche (dotés d’écoles de méde­cine, de droit et d’ingénierie et offrant de nombreux programmes d’études supérieures) et, d’autre part, ceux axés sur l’enseignement conférant essentiellement des grades de premier cycle.

Tandis que croît la propension à définir l’enseignement supérieur en fonction des compétences commer­cialisables qu’il permet d’acquérir, le désengagement financier dans le domaine des arts et des sciences humaines et sociales au profit des disciplines axées sur les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques se généralise à l’échelle mondiale. Au Canada, les compressions ont essentiellement pris la forme d’une lente mise à mort, les gouvernements attribuant leur nouveau financement destiné à l’enseignement postsecondaire aux STIM (privant aussi de fonds certaines sciences fondamentales). Cette tendance s’est également manifestée au chapitre des dons d’entreprises privées.

Le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, qui cible de plus en plus les domaines tels que la gestion, les affaires, la santé et l’environnement, a adopté sans hésiter la nouvelle « stratégie d’innovation ». Certaines universités ont supprimé ou réduit des programmes en sciences humaines comme ceux axés sur les femmes et les langues. La mobilisation de la population étudiante et du personnel académique a cependant récemment empêché la concrétisation d’un projet de restructuration majeure des programmes de sciences humaines à l’Université de Toronto.

Le désengagement financier a conduit à une hausse constante des emplois contractuels au sein du personnel académique et à la création de postes consacrés entièrement à l’enseignement. Par ailleurs, le gouvernement de l’Ontario cherche actuellement à mettre en ligne un éta­blissement virtuel.

Au moment où j’écris ces lignes, le corps étudiant et le personnel académique des quatre coins de l’Angleterre manifestent contre le plan qu’entend adopter le gouver­nement en vue de majorer les droits de scolarité et de réduire le financement qu’il alloue aux universités. Aux États-Unis aussi, la résistance contre les plans d’austérité s’intensifie. Nous devons être solidaires de nos collègues dans cette bataille. Même si l’approche canadienne consistant à laisser l’éducation financièrement exsangue en impo­sant des milliers de compressions n’a pas ré­ussi jusqu’à maintenant à créer le sentiment de crise tel qu’il s’éveille ailleurs, la situation n’en demeure pas moins alarmante.