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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

septembre 1996

Recherche : l'ACPPU s'oppose à un code déontologique

Le Comité de direction a pris position, cet été, au sujet du code de déontologie sur la recherche utilisant les sujets humains proposé par les trois conseils de recherches, et s'y est vivement opposé. Les trois conseils disposent déjà de codes sur la même question mais le nouveau code qu'ils proposent s'appliquerait à tous les chercheurs.

L'ACPPU reconnaît le besoin de ce genre de code en médecine, en psychiatrie et en psychologie. Les horreurs commises par les médecins du IIIe Reich ont prouvé il y a de nombreuses années qu'ils étaient nécessaires. Toutefois, le fait d'étendre ces codes à d'autres disciplines se révèle une question beaucoup plus épineuse que ne le croient beaucoup de personnes.

Lorsque l'on crée un document de ce genre, la plus grande difficulté consiste à distinguer la perspective philosophique des règlements que des organes quasi judiciaires, tels les comités d'éthique universitaires, pourraient appliquer. Tant l'aspect philosophique que l'aspect juridique sont importants. Ils sont toutefois différents. Si l'on ne tient pas compte de cette différence, on aura comme produit final un document tellement vague et ambigu qu'il donnera le pouvoir d'interdire à peu près n'importe quoi.

C'est exactement ce qui se produit avec le projet de code des trois conseils fédéraux de recherches. Dans sa réplique au groupe de travail, le Comité de direction de l'ACPPU a fait remarquer que d'appliquer aussi le document aux collectivités était une erreur. Dans le contexte, une collectivité est définie comme tout groupe de personnes se considérant comme telle et ayant un but quelconque.

Le projet s'assortit d'un modèle déontologique de recherches dominé par une terminologie propre aux chercheurs en sciences médicales et visant à ce que toutes les formes de recherches ne nuisent pas aux sujets et qu'elles leur soient profitables. On exige ensuite qu'aucune recherche utilisant des sujets humains ou des collectivités ne soit effectuée sans le consentement des personnes ou des dirigeants de la collectivité faisant l'objet de la recherche. Selon le code, il faudrait effectuer la recherche en collaboration avec le sujet.

Or, comme le Comité de direction de l'ACPPU l'a souligné, la recherche sur la politique gouvernementale, qu'elle porte sur les relations industrielles, le rôle du milieu des affaires ou des groupes syndicaux en politique, l'analyse de la suprématie blanche ou de groupes haineux, ou la recherche sur la réussite ou non du parti Libéral à réaliser les promesses du Livre rouge, peut fort bien dégager des conclusions que les personnes ou les groupes trouveront préjudiciables à leurs intérêts et certainement pas profitables.

Il peut en être de même des compagnies, qui sont également des collectivités, et qui n'aiment pas du tout les scientifiques de l'environnement. Le projet de code aurait comme effet pratique de permettre à ces groupes d'exercer un droit de veto pour tout projet de recherche sur leur collectivité qu'ils n'aiment pas.

Selon le Comité de direction, cette situation réduirait la recherche sur la politique gouvernementale à un rôle tellement anodin qu'elle n'en vaudrait plus le coup. Les chercheurs Canadiens deviendraient la risée de la communauté internationale universitaire.

Le projet de code s'applique également à toutes les formes de recherche et non pas seulement à celles subventionnées par le gouvernement fédéral.

Le Comité de direction a insisté sur l'effet dévastateur que le projet aura sur la critique littéraire qui désormais ne pourra se réaliser qu'avec le consentement du sujet ou de ses héritiers, sans période limite. Les biographies, en particulier celles qui ne sont pas autorisées, soulèvent le même genre de problème.

Le Comité de direction a conclu que les sujets vivants jouissaient déjà au Canada d'une grande protection grâce aux lois sur la diffamation verbale ou écrite et sur le droit d'auteur. Pourquoi donner des outils plus puissants pour réduire la recherche sur leurs activités?

Le code s'applique non seulement aux travaux sur les vivants mais aussi sur les morts. C'est de la pure folie, selon le Comité de direction, car la liste des personnes et des établissements qui pourraient aimer exercer un droit de veto pour des travaux historiques est presque infinie. Il a cité en exemple le cas des religions et des sectes religieuses dont plusieurs n'aiment pas les recherches critiques que l'on effectue sur elles.

Il a donné l'exemple récent de certains membres de la collectivité Sikh de Colombie-Britannique qui ont tenté d'imposer leur orthodoxie religieuse aux travaux historiques du titulaire de la chaire en études Sikh de l'Université de la Colombie-Britannique. L'administration de l'université a résisté aux pressions. Cependant, si le code était adopté, elle devrait maintenant exiger de ses professeurs la même orthodoxie à l'avenir.

Le groupe de travail a également inclus de manière explicite les nations dans la définition des collectivités. Ainsi, à qui vous adresseriez-vous pour obtenir la permission d'écrire un livre sur l'Allemagne nazie : à l'ambassadeur d'Allemagne, au chancelier Kohl, aux héritiers des dirigeants Nazis ou aux geôliers et aux bourreaux des camps nazis?

Le Comité de direction de l'ACPPU a ensuite fait connaître sa deuxième objection au code, à savoir sa facture, qui tient à la fois du traité philosophique et du code légal. Le Comité de direction a suggéré qu'il y ait deux documents pour éviter la confusion. Les auteurs du code ont essayé de camoufler le problème en soutenant qu'il ne s'agissait pas d'un règlement et que d'autres instances, telles les universités, devront mettre en oeuvre un mécanisme d'application du document.

Voilà un faux-fuyant puisque le document fédéral, à caractère fortement réglementaire, serait inévitablement introduit dans les comités d'éthique de la recherche et les comités d'appel des universités notamment. Le langage vague et confus non seulement créerait des injustices mais constituerait une franche invitation à quiconque souhaite utiliser un instrument de la sorte pour s'attaquer à la liberté d'expression et à la liberté universitaire dans le milieu universitaire. Pour le Comité de direction, la dernière chose dont les universités ont besoin en ce moment est une invitation ouverte à de tels litiges.

L'ACPPU s'est opposée aux procédures suggérées dans le document qui écartent les conseils d'université ou les conseils généraux de faculté. Elles sont injustes pour les chercheurs et peu réalistes pour les petites universités. L'ACPPU a fait remarquer qu'il n'y avait aucune mention de coûts et a proposé que le gouvernement fédéral trouve de nouveaux crédits pour permettre aux universités de donner au code son plein effet.

Enfin, l'ACCPU a mentionné trois secteurs touchés par le projet de code qui pourraient profiter d'une étude plus poussée, soit la recherche anthropologique chez les Premières nations, la recherche dans le Tiers-Monde et les conséquences de la recherche sur les femmes en particulier dans les sciences médicales.

Dans une lettre distincte adressée aux présidents des trois conseils, le directeur général de l'ACPPU a proposé que l'échéancier d'adoption du document soit prolongé afin de permettre au groupe de travail d'assimiler tous les commentaires qu'il a reçus.

Le Comité de direction de l'ACPPU avait déjà recommandé que le groupe de travail rédige un code seulement pour le domaine médical s'il y avait urgence d'en avoir un dans ce secteur. Le projet est d'ailleurs plus détaillé et plus axé sur ce secteur, même s'il nécessite des révisions.

Le texte intégral de la lettre du Comité de direction de l'ACPPU est disponible sur le site W3 de l'ACPPU, ainsi que l'allocution sur les politiques universitaires en matière d'éthique dans le domaine de la recherche que le directeur général a prononcée devant la Society for the Study of Practical Ethics, à l'occasion du congrès des sociétés savantes tenu en juin. D'autres documents de l'ACPPU sur l'intégrité dans la recherche sont également disponibles sur le site W3. Le texte intégral du projet de code se trouve à l'adresse http://www.ethics.ubc.ca/co de/