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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

décembre 1997

Ramener la civilité à Mount Allison

Par Fred Wilson

  • La nomination d'un recteur malgré les réserves exprimées par les professeurs membres du comité de recrutement.

  • Un projet de redressement de la situation financière de l'université qui semblait entraîner des fermetures soudaines de programmes et forcer des retraites anticipées en dépit des conclusions d'un comité mixte de l'association des professeurs et de l'administration ne voyant pas la nécessité de telles mesures.

  • Une grève amère au cours de laquelle l'administration a tenté sans succès de récupérer des dispositions déjà acquises et prévues dans la convention collective des professeurs.

  • Une autre grève, celle-là déclenchée par l'association du personnel.

  • Une motion de non-confiance à l'endroit du recteur adoptée avec une large majorité au conseil de faculté.

  • Un référendum à l'issue duquel les professeurs et le personnel de soutien ont voté massivement contre le renouvellement de la nomination du recteur.

  • Une pétition fortement appuyée par les étudiants contre le renouvellement de la nomination.

  • Un recteur dont le mandat a néanmoins été reconduit par le conseil d'administration sans que son rendement pendant le premier mandat n'ait été convenablement évalué.


Tous ces faits se sont produits à l'Université Mount Allison. Il va sans dire que la collégialité a échoué même si de formidables professeurs ont obtenu pour l'université le premier rang dans sa catégorie à la suite du sondage de Maclean's.

Étant donné la situation, la Mount Allison Faculty Association a demandé à l'ACPPU de nommer une commission d'enquête sur l'état de la direction à l'université. J'ai mené l'enquête à titre de commissaire et j'ai formulé dans mon rapport un certain nombre de recommandations visant à ramener la civilité à l'Université Mount Allison.

Il est inutile d'essayer de blâmer qui que ce soit, car ce qui a été dit serait contesté. Le véritable problème est de réussir à réunir les parties. Des ententes prises à l'échelle de l'établissement peuvent aider, mais elles peuvent être un obstacle. Certaines ententes peuvent susciter des soupçons, d'autres peuvent les dissiper. Ce sont ces dernières, bien entendu, qui aideront à ramener la civilité.

La civilité est une condition essentielle à l'amélioration du climat. De part et d'autre, les administrateurs et les membres de l'association des professeurs ne peuvent être en guerre. Ils doivent pouvoir soulever des problèmes, en discuter ensemble et collaborer pour les résoudre avant qu'ils ne prennent de l'ampleur ou deviennent une source de confrontation. Les deux parties, en d'autres mots, doivent pratiquer la vertu de la civilité.

En parcourant le traité de Cicéron, De officiis, on peut y repérer diverses vertus civiques louangées comme la bravoure ou la loyauté. Cependant, il existe d'autres vertus qui n'y sont pas mentionnées, notamment la tolérance et la civilité. Ces vertus modernes, relativement étranges, n'ont été reconnues qu'au début de l'Époque moderne.

La tolérance consiste à admettre que l'autre a tort mais que l'on arrive à le supporter : on est résolu à vivre avec l'erreur. Lorsqu'on agit avec civilité, on permet à une personne d'avoir tort mais on continue à travailler avec elle : on est résolu à travailler avec elle même si elle a peut-être tort.

La tolérance et la civilité exigent une maîtrise de soi, la détermination à ne pas dépasser les limites pour ne pas forcer autrui à résister violemment. Ces vertus exigent également que l'on soit déterminé à ne pas faire appel aux émotions et à des moyens qui rendent impossibles la collaboration et le dialogue.

Il faut viser à vivre ensemble et à travailler ensemble à la réalisation d'objectifs communs même s'il y a des désaccords. Dans le contexte universitaire, l'un de ces objectifs est de veiller au bon fonctionnement du contrat de travail entre l'employeur et les employés.

La civilité n'empêche pas les désaccords énergiques sur une politique ou sur les moyens de mettre en oeuvre cette politique. Il n'est pas nécessaire non plus de toujours atteindre un consensus.

Chose certaine, la civilité ne requiert pas une loyauté irréfléchie envers la direction, le conseil d'administration, voire le recteur. On devrait pouvoir être en désaccord avec une politique et pouvoir s'y opposer vigoureusement tout en maintenant un contact social et le dialogue et en continuant à travailler ensemble.

La politique canadienne possède une solide tradition de civilité. Les députés de la Chambre des communes peuvent être très divisés dans un débat et recourir à diverses tactiques pour faire entendre leur point de vue. Pourtant, ils continuent de se respecter mutuellement et demeurent même des amis. L'amitié, cependant, n'est pas une condition de la civilité. Celle-ci exige le respect mutuel et une orientation bilatérale supposant la volonté d'écouter l'autre, ainsi que la maîtrise de soi.

Le soutien de l'établissement renforce la civilité. Il faut débattre les objectifs et les moyens à utiliser pour parvenir à les réaliser. Il faut une tribune où le débat peut avoir lieu et des règles qui mettent en application la maîtrise de soi.

C'est dans la nature humaine que de tenter d'utiliser des moyens autres que le dialogue et des arguments raisonnables lorsque l'on perd un débat. C'est dans la nature humaine, également, que de tenter d'utiliser des moyens autres que la persuasion rationnelle. Les gens l'admettent comme ils admettent aussi que la pratique de la vertu de la civilité apporte à long terme de plus grands avantages.

Ils établissent alors des règles et le contexte institutionnel, qui les aideront à résister à la tentation, ainsi que des règles de procédure et d'étiquette, qui les aideront à travailler ensemble malgré les différences.

C'est dans ce sens que la civilité et ses garanties institutionnelles ont été affaiblies à l'Université Mount Allison. S'il faut rétablir une bonne direction, il faut alors retourner à la civilité. Mes recommandations vont d'ailleurs en ce sens.

Il n'est peut-être pas surprenant de constater que la civilité a disparu à cette université. Les réunions du conseil d'administration sont à huis-clos, ce qui alimente les soupçons. Le rôle du conseil d'université dans l'élaboration et l'approbation du budget est inefficace. Les professeurs et les bibliothécaires ont ainsi l'impression qu'ils ne peuvent intervenir dans les décisions universitaires déterminées par le budget et sur lequel ils n'ont aucun contrôle.

Après la publication du rapport Duff-Berdahl en 1966, intitulé University Government in Canada, et parrainé par l'Association des universités et collèges du Canada et l'ACPPU, de nombreuses universités ont abonné cette façon d'agir. De toute évidence, il est temps d'harmoniser les pratiques de l'Université Mount Allison avec celles des autres grandes universités du Canada.

La confidentialité alimente les soupçons. La transparence réussira d'une certaine façon à ramener la civilité. Le conseil d'université, et par son intermédiaire le corps professoral, prend les décisions universitaires. Ces décisions, toutefois, ne peuvent être distinctes des décisions budgétaires, comme la commission Duff-Berdahl l'a clairement fait comprendre. Si le budget est discuté au conseil d'université et qu'une décision à son sujet est prise collectivement, il aura une plus grande crédibilité chez les professeurs qu'actuellement.

L'absence de processus d'évaluation par les pairs pour les décisions relatives à la recherche et à l'enseignement peut également éveiller les soupçons et faire croire que d'autres critères que le mérite sont invoqués, même si ces soupçons ne sont pas fondés. Il faudrait mettre en place des processus d'évaluation par les pairs non équivoques pour ce genre de décisions.

Le recteur et le conseil d'administration devraient reconnaître que la MAFA a un rôle légitime à jouer dans la direction de l'université.

Le recteur a déclaré récemment à la revue Maclean's que le motif de la négociation collective était d'affaiblir la collégialité (28 avril 1997). Cependant, la collégialité suppose que des personnes s'assoient autour d'une table et qu'elles sont égales. Voilà précisément ce que les professeurs obtiennent en se syndiquant : ils peuvent s'asseoir à la table et négocier des conditions de travail d'égal à égal avec l'administration.

Ils n'ont plus à subir les intimidations et cette mascarade qu'est le paternalisme et qui sévissaient souvent avant le rapport Duff-Berdahl. En reniant la collégialité que les syndicats de professeurs ont obtenue, on passe trop rapidement à la confrontation qui suscite le conflit et la discorde au lieu d'appeler la discussion et la négociation raisonnables.

Le rôle d'un recteur d'université n'est pas de tout repos, il est vrai. Le recteur préside le conseil d'université. Il est donc, à ce titre, le premier parmi des égaux. Il lui incombe de représenter la position du conseil d'université au conseil d'administration. Par ailleurs, il doit représenter le conseil d'administration au conseil d'université. En tant que recteur, il négocie au nom du conseil d'administration avec les professeurs et les associations de personnel. Il est l'administrateur principal de l'université et il représente la collectivité universitaire dans son ensemble à l'extérieur.

Puisque son rôle exige du recteur qu'il soit le premier, mais seulement un autre parmi d'autres professeurs, et à la fois l'administrateur principal pour le compte du conseil d'administration, il est donc essentiel qu'il recueille l'appui des deux parties.

L'ACPPU a donc recommandé dans l'Énoncé de principes sur la direction des universités que le recteur soit nommé par le conseil d'administration avec l'avis et le consentement du conseil d'université. Il serait sage que l'Université Mount Allison adopte une telle méthode.

(Fred Wilson enseigne au département de philosophie de l'Université de Toronto. Il est également un ancien président de l'ACPPU.)