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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

janvier 1998

De plus en plus populaire, la privatisation risque de nuire à l'autonomie des universités

Par Bill Bruneau
Les changements socio-politiques à grande échelle sont un peu comme la neige à Timmins ou la pluie à Vancouver : ils s'installent furtivement. Lorsque vous les remarquez, leurs effets se font déjà sentir un peu partout et ils sont irréversibles. La popularité grandissante de la privatisation dans les universités et les collèges publics du Canada me fait penser au temps et ressemble à un changement à grande échelle.

La privatisation s'effectue sous diverses formes, soit par la sous-traitance du catalogage des bibliothèques, des services alimentaires ou de l'entretien ménager des résidences d'étudiants, soit par le transfert des installations de recherche et de développement de l'université à une industrie locale, ou soit par la location pendant 99 ans de terrains de l'université pour l'aménagement immobilier. Sans compter les innombrables quasi privatisations, notamment les monopoles que l'on accorde pour les services sur le campus et la «vente» du nom de l'université pour soutenir une campagne de souscription, et pour encourager, en particulier, le versement de subventions de contrepartie à l'université même.

Ces exemples aident à définir la «privatisation» : De nos jours, elle signifie le transfert permanent ou temporaire à des intérêts privés d'un bien, de droits ou de services de l'université de sorte que celle-ci n'en a plus la propriété ou ne les contrôle plus.

Les universités canadiennes entretiennent depuis longtemps avec le secteur privé des liens réciproques et respectueux. De fait, la plupart de nos meilleures recherches ont été effectuées pour répondre aux demandes sociales et industrielles du secteur privé. Toutefois, les universités invitent les entrepreneurs, les sociétés privées et publiques, les anciens diplômés et les particuliers à faire des dons en argent pour des bourses, la recherche, des chaires d'enseignement, des services étudiants et des édifices.

Dans cette relation bilatérale, les universités canadiennes ont conservé la maîtrise de leurs programmes et de leurs biens.

Comme le temps a changé cependant! Depuis 1973, le financement public de l'enseignement postsecondaire diminue d'année en année, de décennie en décennie. Il n'est donc pas surprenant que les administrateurs d'université aient commencé à flatter les donateurs particuliers et de l'entreprise privée. Lorsque la stratégie n'a pas permis de recueillir les fonds nécessaires, les administrateurs sont passés à l'étape suivante, soit la privatisation douce, en l'occurrence la hausse des frais de scolarité. (Dans certaines universités des provinces Maritimes, les étudiants paient plus de la moitié des coûts d'exploitation de leur université et s'attendent, en tant que clients «payeurs», à jouer un rôle important dans la prise de décision.)

Toutefois, la propagation de la théorie du marché de la nouvelle droite est ce qui fait la plus grande différence, peut-être même plus que la réduction du financement public. Les tenants de cette théorie soutiennent que l'application des principes du marché assouplira l'éducation publique, la rendra innovatrice et réduira les coûts. Si les universités et les collèges doivent agir vite pour créer des programmes dans les secteurs fortement en demande, ils feront de même pour abolir les programmes qui ne produisent pas d'emplois utiles et immédiats. Encore mieux, la discipline de marché entraînera la réinvention de l'université, pour qu'elle soit sensible aux besoins de l'industrie et centrée sur le client, pour qu'elle soit efficace, alerte et «dégraissée». La privatisation est la technique préférée pour réinventer l'université.

Il devient assez difficile de faire de la philanthropie avec ces nouvelles tendances. Les dons non grevés, c'est-à-dire complètement indépendants, sont rares lorsque les «intrants» sont presque toujours liés aux «extrants». Si, d'une part, une grande compagnie pharmaceutique «donne» des millions de dollars à une faculté de médecine et s'attend à ce que cet argent fasse naître un savoir utile mais qu'elle limite, d'autre part, les droits des chercheurs à publier leurs conclusions, il en résulte une ambiance totalement nouvelle de confidentialité intellectuelle.

Les vrais «privatisations» nous mènent dans une direction dangereuse, vers la perte de l'autonomie. Le phénomène s'implante progressivement. Puis, lorsque des donateurs veulent influencer les nominations, les octrois de permanence et le programme d'études, en plus de demander que des édifices ou des programmes portent leur nom, nous faisons face à un problème. Et lorsque tout se décide sous le couvert de la confidentialité, le problème se transforme en désastre. Pis, lorsque les privatisations, grandes ou petites, détournent nos universités et nos collèges de leurs objectifs publics, nous sommes à la frontière d'un nouveau pays, un pays dont le savoir est accordé aux riches, où la recherche est limitée par le marché et isolée de la critique du public et où l'université devient une industrie fermée.

Finalement, la privatisation de nos universités et de nos collèges publics signifiera la vente d'un droit acquis. Nous devons y résister.