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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

novembre 2001

Selon une opinion juridique, l'AGCS menace l'éducation

D'après une opinion juridique rendue publique ce mois-ci par l'ACPPU et une coalition de groupes et de syndicats de l'enseignement, les présentes négociations sur la libéralisation du commerce à Genève, sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), mettent en péril le système d'éducation publique du Canada.

« L'opinion ne laisse aucun doute quant à l'insuffisance des protections actuelles de l'OMC pour l'éducation et d'autres services publics », a déclaré le président de l'ACPPU, Tom Booth. « Toute la stratégie de négociation du gouvernement canadien est mise en question. »

Les représentants canadiens et les défenseurs de l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l'OMC soutiennent que l'éducation et d'autres services publics comme la santé sont exclus du traité. Toutefois, d'après l'opinion juridique rédigée par le cabinet international d'avocats Gottlieb Pearson, cette protection n'est pas claire et sera interprétée de manière restreinte. Cette conclusion contredit explicitement la position du Canada et va à l'encontre des déclarations des représentants de l'OMC, notamment le directeur général Michael Moore.

« L'éducation, au lieu d'être exclue, est déjà plus exposée à l'AGCS que nous le voudrions », a poursuivi M. Booth. « Le champ d'application du traité est si vaste qu'il s'étend même aux commissions scolaires. »

Un spécialiste du commerce estime que l'opinion juridique devrait secouer les Canadiens et les Canadiennes.

Selon Scott Sinclair, attaché de recherches principal au Centre canadien de politiques alternatives, l'opinion « prouve que la soi-disant exclusion de l'AGCS des services gouvernementaux est déficiente et que l'on ne peut pas s'y fier pour protéger les services publics. Si le gouvernement canadien a sérieusement l'intention de protéger le système d'éducation publique, il doit obtenir des changements concrets pour que les services publics soient réellement exclus de la table de négociation ».

Les auteurs établissent que les services gouvernementaux sont définis de manière très restreinte dans le texte de l'AGCS, comme tout service qui n'est fourni ni sur une échelle commerciale ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs. Si un service public est fourni sur une base commerciale, ou s'il existe d'autres fournisseurs non gouvernementaux, il est assujetti à l'AGCS.

On y souligne également que la commercialisation grandissante de l'éducation au Canada permet difficilement de faire une distinction nette entre les services strictement fournis sur une échelle commerciale et ceux fournis sur une base concurrentielle et commerciale.

Les auteurs estiment que la rareté des fonds publics amènent des universités publiques et des écoles secondaires à offrir des programmes d'éducation permanente selon une politique de recouvrement des coûts et à élaborer des ententes novatrices entre des entités publiques et privées.

De l'avis de M. Booth, le système d'éducation publique du Canada court un bien plus grand danger que beaucoup de gens semblent le croire. « L'éducation au Canada, qui est subventionnée à la fois par des fonds privés et publics et qui est fournie par plusieurs sortes d'établissements, qu'ils soient publics, à but lucratif ou non lucratif, n'est pas entièrement protégée de l'exclusion générale », a-t-il expliqué. « Cela contredit directement les assurances des hauts fonctionnaires du commerce. »

Si l'AGCS s'appliquait entièrement à l'éducation, certaines mesures seraient en péril croit M. Booth, notamment :

  • la préférence pour des candidats locaux, à l'exemple de l'exigence actuelle d'embaucher en priorité des citoyens canadiens et des immigrants reçus à des postes de professeurs d'université;
  • l'exigence d'offrir un contenu local, comme dans le cas de l'utilisation obligatoire de manuels canadiens dans les écoles publiques;
  • la restriction des « subventions à la consommation », comme dans le cas des prêts aux étudiants et des bourses accordés seulement aux citoyens canadiens et aux immigrants reçus;
  • les subventions de recherche limitées aux citoyens canadiens et aux immigrants reçus seulement;
  • le pouvoir de conférer des grades restreint aux établissements d'enseignement canadiens seulement;
  • les subventions publiques restreintes aux établissements canadiens et à but non lucratif seulement.

M. Booth a en outre soutenu que la position de négociation du Canada aggravait les menaces pesant sur l'éducation publique. Il a en effet fait savoir qu'il songeait à ajouter des engagements s'appliquant aux services d'enseignement privés et qu'il tenterait de le faire.

« Vous ne pouvez ériger un mur coupe-feu entre les systèmes publics et privés », a déclaré M. Booth. « La ligne est floue entre les deux. Si vous prenez des engagements pour l'enseignement privé, vous menacez davantage le système public. Les négociateurs canadiens devraient tenter d'obtenir une protection permanente pour les services publics mixtes comme l'éducation. »

Les auteurs de l'opinion juridique préviennent également que les engagements du Canada dans d'autres secteurs pourraient avoir de profondes répercussions sur le système d'éducation. Ils estiment que même si le Canada n'a pas pris d'engagement précis dans le domaine des services éducatifs, les engagements pris dans d'autres secteurs pourraient avoir une incidence sur les services éducatifs ainsi que sur la prestation de services liés à des produits comme les manuels de cours ou les didacticiels. »

De plus, selon les auteurs, les engagements pris par le Canada dans des secteurs tels les services de télécommunications (les services de traitement de texte par exemple), la recherche et le développement, les bibliothèques et les services professionnels visent à l'auto-exclusion. Cependant, ils peuvent toucher les services éducatifs et leur prestation.

Les auteurs terminent leur opinion en faisant part de leurs craintes quant aux répercussions des présentes négociations de l'AGCS et des suivantes, en particulier à la lumière des pressions croissantes de la part des États-Unis pour que l'éducation s'intègre davantage aux disciplines du traité.

« Le vaste champ d'application de l'AGCS et les résultats futurs des présentes négociations toucheront probablement davantage les services éducatifs au Canada, surtout si le Canada choisit de prendre des engagements dans ce secteur. Compte tenu du fait que les États-Unis cherchent à supprimer les obstacles commerciaux dans les secteurs de l'éducation et d'autres projets futurs de négociation, on peut concevoir que le Canada prendra des engagements pour ouvrir le marché et pour le traitement national dans ces secteurs et dans d'autres. »

L'opinion juridique a été commandée par la B.C. Teachers' Federation, le Syndicat canadien de la fonction publique (C.-B.), l'ACPPU et la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants.