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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

octobre 2003

Cancun : les négociations de l'OMC dans une impasse

Les pourparlers visant à libéraliser davantage le commerce mondial ont échoué le mois dernier à Cancun, Mexique, après le refus des pays les plus riches de satisfaire aux exigences des pays en développement en ce qui concerne le problème épineux des subventions agricoles.

Le ministre du commerce du Canada, Pierre Pettigrew, espérait que la cinquième rencontre ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce permette aux 146 pays membres de s'entendre sur le lancement d'une nouvelle et ambitieuse ronde de négociations commerciales mondiales qui couvrirait tout, des biens et services aux règles d'investissement, en passant par les achats gouvernementaux et les politiques en matière de concurrence.

Dans une déclaration rendue publique après que la réunion eut pris fin abruptement, sans consensus, le gouvernement canadien a admis que certaines questions discutées pendant la semaine à Cancun n'étaient tout simplement pas encore mûres pour que l'on parvienne à un terrain d'entente.

Le directeur général associé de l'ACPPU, David Robinson, a assisté à la rencontre de Cancun à titre de délégué agréé. Il a fait part de ses inquiétudes aux représentants canadiens au sujet de l'inclusion des services éducatifs dans les règles commerciales, entre autres l'Accord général sur le commerce des services de l'OMC.

Lors d'un exposé sur le commerce et l'éducation organisé pour la délégation canadienne officielle par la Fédération canadienne des enseignantes et enseignants, M. Robinson a fait valoir que les règles commerciales pouvaient nuire à l'enseignement postsecondaire.

" Ce n'est pas tellement parce que l'AGCS force les gouvernements à privatiser ou à commercialiser l'éducation, puisqu'il l'enferme et intensifie ces pressions, donnant ainsi moins de souplesse aux gouvernements ", a-t-il soutenu. " Notre protection la plus sûre est de tenir tous les paliers de l'éducation loin de ces accords. "

Paul Robertson, négociateur en chef du Canada pour les services, a dit que le gouvernement avait clairement déclaré que l'éducation publique ne faisait pas partie des négociations de l'AGCS.

Bien que le gouvernement semble avoir l'intention de protéger tout le système d'éducation des règles de l'AGCS, M. Robinson a toutefois soutenu qu'il n'était pas certain que les hauts fonctionnaires considéraient l'enseignement postsecondaire comme un service " public " et qu'il devait donc être protégé aussi.

Il a ajouté que l'AGCS engage les pays membres à libéraliser progressivement tous les services. Même si l'éducation est exclue des négociations actuelles, tôt ou tard des pressions seront exercées pour l'inclure.

Un projet de déclaration ministérielle a circulé le troisième jour de la rencontre. On y exhortait les membres de l'OMC à accélérer les négociations de l'AGCS et à augmenter la liste des services qu'ils étaient prêts à inclure dans l'accord. Les désaccords continuels au sujet des subventions agricoles ont cependant empêcher la diffusion de la déclaration officielle.

Même si les membres de l'OMC n'ont pu s'entendre sur le projet de déclaration, M. Robinson estime qu'il existe encore de bonnes raisons d'être vigilants face à l'inclusion possible des services éducatifs dans l'AGCS.

" L'impasse en agriculture a vraiment éclipsé les négociations sur les services à Cancun ", a ajouté M. Robinson. " En coulisse cependant, les pays développés et les groupes d'affaires exerçaient d'intenses pressions en faveur de négociations plus ambitieuses pour l'AGCS advenant une entente en agriculture. Or, il y avait un véritable danger si une percée se faisait en agriculture, car nous risquions d'aboutir à des concessions importantes en matière de services sans qu'elles aient été débattues ou examinées. "

Des syndicats du milieu de l'éducation d'autres pays ont fait écho à ces préoccupations. Lors d'une rencontre organisée par l'ACPPU et l'Internationale de l'éducation à Cancun, des représentants du Canada, des États-Unis, de l'Australie et d'Europe ont partagé leurs points de vue sur les conséquences possibles de l'AGCS et d'autres accords commerciaux pour l'éducation.

Le représentant du National Tertiary Education Union d'Australie a dit que son organisme exerçait de fortes pressions sur le gouvernement afin qu'il ne prenne pas de nouveaux engagements pour l'éducation dans le cadre de l'AGCS.

" Si elles sont accueillies, les demandes d'autres pays en faveur d'un libre-échange total pour l'éducation feraient en sorte que les fonds publics destinés aux écoles secondaires publiques et aux universités seraient également accessibles
aux écoles étrangères et privées ainsi qu'aux campus tertiaires ", a déclaré le secrétaire adjoint national du NTEU, Ted Murphy. " Le financement des universités serait par conséquent réduit, les droits de scolarité seraient plus élevés et les contribuables subventionneraient des fournisseurs commerciaux de services éducatifs situés à l'étranger. "

Joseph Davis, de l'American Federation of Teachers, a affirmé que le gouvernement Bush, aux États-Unis, demandait des engagements importants de la part des autres pays en ce qui concerne l'enseignement supérieur et qu'il était disposé à prendre lui aussi des engagements.

" Lors de nos rencontres avec les responsables américains, nous leur avons confié que nous étions préoccupés par ce que ces engagements pouvaient signifier pour la qualité de l'enseignement supérieur et la capacité des états à réglementer les collèges ", a mentionné M. Davis. " Jusqu'à maintenant, on nous a répondu qu'il était inutile de nous inquiéter. On nous a dit que si une politique ou un règlement en matière d'éducation était contesté avec succès aux termes de l'AGCS, le gouvernement n'aurait qu'à offrir une compensation. Je soupçonne que c'est plus compliqué que ça. "

David Robinson prétend que les pourparlers de l'AGCS n'ont pas déraillé à Cancun et qu'ils se poursuivent dans le cadre du programme prédéfini de l'OMC.

" Même si la rencontre de Cancun a échoué, des négociations sont toujours en cours à Genève dans le but de produire d'ici 2005 un accord sur les services radicalement étendu ", a-t-il déclaré