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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

mai 2005

L'influence troublante du pouvoir des sociétés dans nos universités

Par Loretta Czernis
La gouvernance des universités exige plus que la rétroaction du personnel académique. Elle nécessite une orientation universitaire. Imaginez un sénat sans corps professoral et bibliothécaires. Il ne pourrait pas fonctionner de manière responsable. Il ne pourrait pas prendre de décisions universitaires. Nous sommes le corps électoral qui a la compétence de porter des jugements sur la composition de nos universités.

Les membres de nos conseils d'administration qui proviennent du monde des affaires ne comprennent pas nécessairement la signification d'un argument universitaire. Ce sont des personnes qui pensent avant tout en fonction des gains économiques. Et ces mêmes personnes sont en train de gruger le pouvoir que nous avons, à titre d'universitaires, d'avoir recours à notre jugement universitaire pour orienter nos établissements vers l'avenir.

Au fur et à mesure que les intérêts des sociétés contaminent de plus en plus nos universités, les arguments universitaires probants sont noyés par le cliquetis des pièces de monnaie lancées à des propriétés du campus et même à des facultés sans nom. Notre capacité à prendre des décisions universitaires judicieuses au sein d'organes comme le sénat est en train de nous échapper. C'est l'argent plutôt que les savants qui guident désormais nos sénats.

Un membre du Comité des femmes de l'ACPPU m'a récemment écrit en me disant : « Combien il est très important que les universités conservent leur autonomie et leur indépendance décisionnelles, même lorsque les décisions pourraient être considérées comme controversées. »

Katherine Side évoquait le problème particulier de l'octroi de doctorats honoris causa à des personnalités controversées. Nous pouvons constater l'influence déformatrice du pouvoir des sociétés dans les affaires universitaires lorsque nous consultons la liste des lauréats à qui l'on a conféré des doctorats honoris causa.

Ces titres honorifiques revêtent peu de mérite universitaire et ne sont que l'un des symptômes de la mentalité d'entreprise grandissante qui commence à s'installer dans nos universités.

Parfois, nos établissements sont menacés par le lobbying et les pressions exercées par les sociétés ambitionnant le prestige et l'influence. Dans certains cas, celles-ci désirent aussi contrôler les diverses formes de recherche. Il est important de se rappeler que le pouvoir et le rang social que ces chefs d'entreprise ont pu acquérir reposent souvent sur l'exploitation financière des autres.

Ce qui est encore plus insidieux, c'est la manière dont beaucoup de recteurs et d'administrateurs universitaires épousent une vision d'entreprise. Ils rejettent volontiers nos traditions universitaires uniques pour imposer un modèle d'entreprise à tous les aspects de l'université.

Non seulement épousent-ils d'emblée les « bonnes idées » mises de l'avant par les gens d'affaires de nos conseils d'administration, mais ils montrent leur « maîtrise » des méthodes d'entreprise en introduisant, de leur propre initiative, des pratiques administratives du secteur privé. C'est tout comme s'ils désiraient prouver au secteur privé que les administrateurs universitaires partagent leurs valeurs. Ironiquement, bon nombre de leurs idées dites « d'entreprise » sont déjà désuètes dans le véritable monde des affaires.

Le personnel académique doit non seulement être vigilant mais il lui faut aussi rejeter les manœuvres qui exploitent nos universités. Il est aussi important de se rappeler comment les cadres d'entreprise agissent lorsque les affaires tournent au vinaigre - ils jettent habituellement le blâme sur les autres. Nous sommes ceux et celles vers qui nos étudiants et nos communautés pointeront un doigt accusateur si nos universités faillissent à la tâche.

Vous croyez que j'exagère? Voici quelques crises de gouvernance que je surveille à l'heure actuelle :


À l'Université York, les étudiants et le personnel ont été attaqués par des policiers (qui avaient été invités par l'administration de York) pendant qu'ils exerçaient leurs droits démocratiques de liberté d'expression et de liberté de réunion sur les terrains de l'université.
À l'une de nos universités membres, le corps professoral a déposé une motion de défiance contre un nouveau recteur qui a agi en affichant un fort penchant pour le monde des affaires.
En mars, le chancelier de l'Université de Montréal, André Caillé, qui dirige également Hydro-Québec, a annoncé que le conseil de l'université avait choisi Luc Vinet comme nouveau recteur.
Ce qui est alarmant au sujet de la nomination Vinet, c'est qu'un comité de recrutement, qui travaillait depuis un an et auquel siégeait une forte proportion de membres du corps professoral, a finalement recommandé à l'unanimité la nomination d'une autre candidate, Suzanne Fortier.

Immédiatement après l'annonce de M. Caillé, l'association des professeurs a réclamé le renvoi de M. Vinet. Une semaine plus tard, cinq syndicats se sont unis pour protester contre la manière dont M. Vinet avait été choisi. M. Caillé affirme que le conseil d'administration ne renversera jamais sa décision. Je suggèrerais qu'il vaut mieux ne jamais dire jamais lorsqu'il s'agit des réalités de la vie universitaire.

La réponse consiste à enchâsser dans nos conventions un langage ferme qui permettra de protéger nos effectifs et nos droits au sein des organes décisionnels importants des universités et de défendre énergiquement ces droits au besoin.