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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

janvier 2008

Notre résolution du nouvel an : non au harcèlement psychologique!

Par Greg Allain
En ce début de nouvel an, j’aimerais commencer par souhaiter à tous les membres de l’ACPPU une Bonne et Heureuse année, productive et riche de santé! Que plusieurs des projets clés entrepris par chacun de nous se concrétisent en 2008! Collectivement, souhaitons que nous continuions à gagner du terrain dans notre lutte contre la commercialisation, la privatisation et la corporatisation de nos établissements d’enseignement postsecondaire et que la liberté académique, la solidarité et la justice sociale l’emportent encore une fois.

Au début décembre, l’ACPPU a tenu à Ottawa son atelier annuel à l’intention des agents principaux de griefs. Cette activité fort instructive a remporté un franc succès auprès des 50 participants délégués par nos associations membres venant de partout au Canada. L’atelier de 2007 a mis particulièrement l’accent sur « le plaignant vulnérable » et sur les façons dont les associations peuvent mieux s’acquitter de leurs obligations dans les situations difficiles, entre autres lorsqu’elles sont confrontées à des conflits entre collègues et à des questions de santé mentale et d’accommodement au travail. Deux des principaux volets du programme portaient sur le harcèlement psychologique et le stress et la santé mentale en milieu de travail.

En raison de la grande importance de ces sujets, et de l’ampleur de la documentation qui leur est consacrée, j’ai décidé de les aborder en plusieurs étapes. Dans la présente rubrique, je m’intéresserai à la nature, à la fréquence et aux conséquences du harcèlement psychologique au travail, et dans ma rubrique de février je parlerai des remèdes que nous pouvons apporter à ce mal. Puis en mars, j’examinerai les tendances qui touchent les questions de santé mentale en milieu de travail liées au stress, ainsi que l’obligation d’accommodement qui est faite aux associations dans ce contexte.

Le harcèlement psychologique au travail, sous une forme ou sous une autre, existe probablement depuis longtemps, mais ce n’est que ces dix dernières années qu’il a commencé à attirer l’attention des chercheurs et des syndicats, à mesure que l’information accumulée à ce sujet est venue mettre en évidence l’ampleur du phénomène.

Selon le professeur Angelo Soares de l’Université du Québec à Montréal, l’un des plus éminents spécialistes en la matière et qui a présenté un exposé éloquent intitulé « Bullying at Work: One Degree Below Humanity » lors de la Conférence régionale des associations de personnel académique de l’Ouest tenue à Saskatoon, en octobre dernier, c’est la publication en 1998 du livre Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, qui a notamment tiré la sonnette d’alarme. Cet ouvrage de la psychiatre française Marie-France Hirigoyen s’est vendu à 500 000 exemplaires dans les premiers mois de son arrivée en librairie et a suscité un débat tel que, un an à peine après sa parution, le gouvernement français a promulgué sa première loi visant à contrer le harcèlement psychologique au travail.

En Amérique du Nord, le gouvernement du Québec a été le premier à adopter une loi qui proscrit le harcèlement psychologique, et la Saskatchewan a récemment modifié sa loi sur la santé et la sécurité au travail afin de rendre illégaux les actes d’abus de pouvoir et de harcèlement psychologique au travail.

Le harcèlement psychologique : de quoi s’agit-il concrètement? Nous pensons tous le savoir, mais le phénomène est complexe et très diversement défini. On peut toutefois en cerner facilement les contours : nous avons affaire à une conduite vexatoire, intimidante, malveillante ou insultante, qui se manifeste de façon répétée et qui constitue un abus ou un détournement de pouvoir destiné à miner, isoler, humilier, dénigrer ou blesser la victime.

Défini par un expert comme « une forme de terrorisme psychologique », ce processus peut avoir des conséquences dévastatrices pour la personne harcelée : perte d’estime de soi, dépression et même tentatives de suicide, sans compter les répercussions extrêmement pénibles que le harcèlement peut avoir sur la famille et les amis. Les employeurs peuvent aussi avoir un lourd prix à payer : un milieu de travail malsain peut entraîner absentéisme, baisse de moral, perte de productivité, roulement du personnel, sans parler parfois de poursuites judiciaires fort coûteuses.

Le harcèlement psychologique est entouré de bon nombre de mythes. Penchons-nous sur deux d’entre eux. Le premier confine cette forme de harcèlement à la sphère de nos débats intellectuels. Bien que nous soyons appelés en tant qu’universitaires à formuler des analyses et des critiques, nous ne parlons pas ici de discours rationnel ni de divergences d’opinions professionnelles sur des théories et des arguments. Si certains harceleurs s’en prennent pratiquement à n’importe qui, nombreux sont ceux qui visent un employé ou un groupe d’employés en particulier et qui, de façon constante et systématique, les rabaissent, les critiquent sévèrement, les ridiculisent, font fi de leurs opinions ou de leur travail et cherchent à les isoler et à les exclure en répandant des rumeurs et des mensonges malveillants à leur propos. La persécution au travail peut être également pratiquée par un groupe de personnes : ce phénomène dit de « mobbing » a été analysé par Kenneth Westhues, sociologue et professeur à l’Université de Waterloo.

Le second mythe ne voit en ce problème qu’une simple question de personnalité : le « harceleur » n’est en fait qu’une personne dotée d’une grande force de caractère qui parle sans détour et veut que les choses aboutissent. La « prétendue victime » serait un individu faible, manquant d’assurance et incapable d’accepter une plaisanterie ou une critique. Le harcèlement psychologique au travail, bien au contraire, n’est pas le fait d’un conflit de personnalités, mais plutôt d’un rapport de pouvoir où le harceleur est résolu à dominer une personne en particulier et à lui faire du mal. Il ne s’agit pas d’un conflit personnel, mais d’une déficience organisationnelle.

Et comme l’explique le professeur Soares, les facteurs déclencheurs du harcèlement psychologique sont favorisés dans certains contextes organisationnels : les milieux de travail marqués par les situations conflictuelles, ceux où le travail a été intensifié et précarisé, ceux où de nouvelles formes de gestion autoritaire se sont installées ou encore ceux où la méfiance et les attitudes négatives sont répandues. Certains milieux de travail ont « une culture de harcèlement psychologique ». Il paraît que, dans certains cercles institutionnels, on embauche des « policiers », comme au hockey, pour s’acharner sur certains employés et les pousser à partir! Selon un participant à l’atelier des agents principaux de griefs de l’ACPPU, une université américaine connue encouragerait les membres de son corps professoral à recourir aux manoeuvres d’intimidation pour se frayer un chemin jusqu’au sommet de la structure hiérarchique.

D’autres facteurs structurels, cependant, contribuent également à façonner le contexte institutionnel, tels que l’idéologie généralisée de l’« excellence », les mécanismes d’affectation des budgets et de rémunération des individus (primes de marché et autres régimes du genre), le système de « vedettariat » dans le secteur de la recherche, l’évaluation purement quantitative de la charge de travail et l’incitation au rendement coûte que coûte. Ces facteurs servent tous de véhicules à des manifestations extrêmes d’individualisme et de compétitivité.

Dans quelle mesure le phénomène du harcèlement psychologique en milieu de travail est-il répandu? Une enquête syndicale menée en 2002 auprès d’employés de centaines de milieux de travail dans le New South Wales, en Australie, a révélé que 74 % des personnes interrogées avaient déclaré avoir subi un tel harcèlement. Selon le professeur Soares, le phénomène s’intensifie de façon alarmante au Canada.

Nous commençons à disposer de données à ce sujet. Une enquête récente de l’ACPPU sur le stress professionnel (Catano et al., 2007) a permis de constater qu’un nombre considérable de répondants ont signalé avoir été victimes d’au moins un acte de harcèlement psychologique au cours des douze mois précédents. Selon les indicateurs utilisés, les répondants ont déclaré, dans des proportions variant de 10 % à 45 %, avoir fait l’objet d’agression verbale (invectives, cris, commentaires négatifs ou fausses accusations), avoir reçu un traitement rude et irrespectueux, avoir essuyé des remarques dégradantes sur leur compétence et avoir vu leurs opinions rejetées.

D’autre part, deux tendances inquiétantes se dessinent lorsque les données sont désagrégées. En premier lieu, pratiquement tous les indicateurs montrent que les pires contrevenants sont des collègues, suivis par des étudiants ou des dirigeants, selon la variable considérée. D’après une étude canadienne portant sur des établissements de santé (Gilin et Catano, 2005), près de 40 % du personnel infirmier déclare faire l’objet de harcèlement psychologique, et les harceleurs, bien que présents à tous les échelons de la structure du pouvoir en question, sont principalement des collègues, plus encore que les dirigeants ou les médecins. En second lieu, un écart constant se maintient entre les sexes, les femmes étant beaucoup plus susceptibles que les hommes d’être victimes de harcèlement (dans une proportion pouvant atteindre jusqu’à 65 % plus que leurs homologues masculins).

Ces résultats s’apparentent à ceux qui se dégagent d’une enquête interne réalisée en 2004 dans une petite université canadienne où plus de la moitié des répondantes déclarent s’être senties « menacées ou intimidées au cours des quatre dernières années », où un pourcentage plus élevé de femmes que d’hommes déclarent se sentir menacées ou intimidées et où les femmes « sont plus susceptibles que les hommes de signaler qu’on leur a crié après ou qu’elles craignent pour leur sécurité ». La production d’autres données permettrait peut-être de mettre à jour d’autres groupes de victimes particuliers, comme les jeunes membres du personnel académique ou les minorités visibles.

De toute évidence, nous avons beaucoup de travail à accomplir pour lutter contre ce problème envahissant. Prochaine rubrique : Que pouvons-nous faire pour contrer le harcèlement psychologique? Restez à l’écoute!