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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

juin 2010

Les oubliés du projet de loi sur le droit d’auteur

Le gouvernement fédéral a présenté le 2 juin son projet de réforme du droit d’auteur attendu depuis longtemps, lequel propose de légaliser des pratiques aussi courantes que la copie d’un CD sur un ordinateur ou un lecteur MP3 pour un usage personnel, mais de crimina­liser le crochetage des serrures numériques.

En vertu du projet de loi C-32, les Canadiens pourront en toute légalité sauvegarder une copie d’un CD ou d’un DVD, enregistrer des émissions de télévision pour les regarder ultérieurement, transférer du contenu d’un appareil à un autre ou le convertir vers un autre support.

Le projet de loi prévoit de plus de nouvelles exceptions aux mesures de protection du droit d’auteur, permettant ainsi aux Canadiens d’utiliser des oeuvres protégées par le droit d’auteur à des fins pédagogiques, de parodie ou de satire.

Si des groupes comme le Conseil des mi­nistres de l’Éducation (Canada) se réjouissent de la nouvelle exception prévue à des fins d’éducation, certaines critiques affirment que l’interdiction du contournement du cryptage numérique — tout dispositif ou toute techno­logie qui empêche de copier ou d’utiliser du matériel — l’emporte sur les nouveaux droits et exceptions reconnus dans le projet de loi.

« Le gouvernement donne d’une main de nouveaux droits aux enseignants et aux étudiants pour les reprendre de l’autre », a déclaré David Robinson, directeur général associé de l’ACPPU.

« Pour dire les choses comme elles sont, face à la numérisation de plus en plus fréquente des contenus protégés par des serrures numé­riques, ce projet de loi ne fera que rendre encore plus difficile pour les enseignants et les étudiants l’accès à du matériel protégé par le droit d’auteur et son utilisation à des fins d’enseignement et d’apprentissage. »

Parce que presque aucune exception n’échappe à cette règle, ajoute-t-il, le projet de loi interdira l’accès à une vaste quantité de matériel numéri­que, empêchant de fait son utili­sation pour la recherche, l’édu­cation et l’innovation et restreignant les droits d’utilisation des Canadiens.

« C’est comme si le gouvernement avait dit : il vous est loisible d’emprunter un livre de la bibliothèque quand bon il vous semble, sauf que nous avons verrouillé les portes et s’il vous venait à l’idée d’entrer, vous serez accusés d’introduction par effraction », expli­que M. Robinson.

Pour sa part, Michael Geist, chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique à l’Université d’Ottawa, estime que le projet de loi souffre de graves lacunes en ce qui concerne les serrures numériques.

« Malgré les messages clairs des Canadiens lors des consultations nationales sur le droit d’auteur, jugeant complètement inacceptables les mesures de protection inflexibles pour les serrures numériques intégrées aux CD, DVD, livres électroniques et autres supports, le gouvernement a cédé aux pressions américaines et rétabli des règles analogues à celles édictées aux États-Unis », écrit M. Geist son sur blog. « Les limites de ces règles s’étendent bien au-delà de la simple reproduction; elles peuvent aussi empêcher les consommateurs canadiens d’utiliser même des produits qu’ils ont achetés. »

Le principe régissant les serrures numériques, ajoute-t-il, s’applique à d’autres dispositions du projet de loi, notamment celles exigeant que les copies numériques produites par les bibliothèques soient détruites dans les cinq jours suivant leur ré­ception par l’utilisateur et que le matériel d’apprentissage à distance soit détruit dans les 30 jours suivant la fin des cours en question.

En vertu du projet de loi, dit-il, les étudiants pourraient partager des ouvrages à des fins éducatives, mais non pas des livres numériques protégés par une serrure. Et il serait légalement interdit aux enseignants de reproduire et de distribuer du matériel imprimé s’il existe également une version électronique munie d’un dispositif de verrouillage numérique.

« Le projet de loi repose sur le principe fondamental suivant : la protection par serrure numéri­que l’emporte pratiquement sur tous les autres droits », fait valoir M. Geist.

Selon M. Robinson, le gouver­nement aurait dû adopter une approche plus flexible et conforme aux obli­gations internationales en interdisant le crochetage des serrures nu­mériques à des fins illicites seulement.

« Au lieu de cela, nous nous re­trouvons dans une situation où le gouvernement conservateur se plie aux demandes de l’industrie du di­vertissement américaine », regrette-t-il.