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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

janvier 2011

La thèse d’une étudiante critiquée avec virulence

Jenny Peto : l'étudiante de l'Université de Toronto dont la thèse de maîtrise fait l'objet de virulentes attaques
Jenny Peto : l'étudiante de l'Université de Toronto dont la thèse de maîtrise fait l'objet de virulentes attaques
En juin dernier, lorsque Jenny Peto a reçu sa maîtrise de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario, à l’Université de Toronto, elle était bien loin de penser qu’elle serait la cible d’attaques par des politiciens qui ne sont pas sans rappeler les pratiques du sénateur américain Joseph McCarthy aux heures les plus sombres de la guerre froide.

En décembre, deux députés progressistes-conservateurs de l’Ontario, Steve Clark et Peter Shurman ont cloué Mme Peto au pilori pendant la période des questions en déclarant que la thèse de la diplômée était outrageusement antisémite. Étonné que l’Université de Toronto ait même accepté ce travail. M. Clark a demandé à Eric Hoskins, ministre des Affaires civiques et de l’Immigration, ce qu’il faisait pour juguler cette montée d’antisémitisme.

M. Shurman a poursuivi en qualifiant la thèse de Mme Peto de lamentable travail de recherche haineux attaquant des programmes qui s’appuient sur les horreurs de l’Holocauste pour tenter de présenter les dangers de la discrimination et du racisme émanant de la population juive. Il a demandé au ministre s’il entendait intervenir en faveur des groupes juifs, qui ont été si profondément blessés par ce torchon, et dénoncer la thèse, qui est selon lui non pas un document savant, mais bien un écrit haineux.

Plutôt que de prendre la défense de la liberté académique, M. Hoskins a répondu à M. Clark qu’il avait été très ébranlé et même dégoûté lorsqu’il a lu ce que les médias avaient écrit à ce sujet. Il a remercié M. Shurman, un membre de l’opposition, de sa question et s’est rangé du côté de ces deux hommes pour condamner cette attaque contre la communauté juive de l’Ontario.

Les médias ont révélé qu’aucun des trois députés n’avait lu la thèse de Mme Peto, intitulée The Victimhood of the Powerful: White Jews, Zionism and the Racism of Hegemonic Holocaust Education (la victimisation des puissants : les juifs blancs, le sionisme et le racisme de l’enseignement hégémonique sur l’Holocauste).

Dans sa thèse, Mme Peto se fonde sur la théorie critique sur les races (Critical Race Theory) pour construire un cadre d’interprétation lui permettant d’étudier deux programmes d’enseignement sur l’Holocauste, à savoir : March of the Living et March of Remembrance and Hope. Elle soutient que ces programmes exploitent l’histoire du martyre juif et la souffrance de la Shoah à des fins politiques, perpétuant ainsi une revendication du statut de victimes qui n’est plus basée sur une oppression réelle, mais qui produit plutôt des effets profitables à la communauté juive organisée et à l’État-nation israélien.

James Turk, directeur général de l’ACPPU, s’est dit choqué par les attaques des politiciens contre Mme Peto et la liberté académi­que, se réjouissant toutefois que l’admi­nistration de l’université ait réagi immédiatement pour défendre ce principe qui forme l’assise de l’enseignement postsecondaire.

Le 7 décembre dernier, Cheryl Misak, vice-rectrice et doyenne de l’Université de Toronto, a déclaré au Toronto Star que la liberté de questionnement est au coeur de son ins­titution et que le meilleur moyen de désamorcer une controverse est, pour les membres de sa communauté, d’engager une discussion avec les détracteurs sur les perspectives et les arguments en cause.

Dans une lettre ouverte adressée au premier ministre Dalton McGuinty, Michael Keefer, professeur à l’Université de Guelph, a fait part de son inquiétude au sujet de la dénonciation dont a été victime Mme Peto et des attaques à l’endroit de sa liberté académique : « Contrairement à vos homologues de l’Assemblée législative, j’ai lu la thèse de Jenny Peto (...) J’estime que les propos employés par les deux députés et le ministre pour qualifier cette thèse sont hautement trompeurs. Selon moi, il s’agit d’une étude bien documentée et axée sur une considération éthique clairement définie. »

Le Pr Keefer a souligné que personne ne remet en cause la nécessité pour nos enfants de connaître l’histoire du meurtre de six millions de juives et de juifs afin qu’ils voient à éviter que de telles atrocités ne se reproduisent.

« Ce qui est plutôt en jeu », a écrit le professeur, « est notre droit de jeter un regard critique lucide sur les représentations et les réactions visant cette réalité historique et d’en faire une analyse perspicace, mais aussi de nous exprimer ouvertement lorsqu’elle semble exploitée non pas pour conscientiser la jeunesse à lutter avec détermination contre l’injustice, mais au contraire pour la désensibiliser face à la dépossession, à l’oppression et à la souffrance qui sont la réalité actuelle. »

Pour sa part, M. Turk s’inquiète de la résurgence, chez les députés de l’Ontario, d’attaques contre la liberté académique qui frôlent le maccarthysme et exacerbées par le soutien exprimé dans de nombreux éditoriaux, blogues et émissions-débats radiophoniques.

« Mais contrairement à ce qui se passait dans les années 1950, l’administration de l’université et des collègues de partout au pays ont réagi promptement et sans équivoque pour prendre la défense de la liberté académique », a ajouté M. Turk.

Il s’attend à ce que cette controverse ait comme répercussion durable une autocensure au sein de la communauté académique, qui poussera les corps étudiant et professoral à éviter de mener des tra­vaux de recherche importants, mais potentiellement controversés ou sujets à des attaques politiques. « Si c’était le cas, nous serions alors tous perdants », a-t-il déclaré.