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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

septembre 2011

La mobilisation du personnel académique s’impose face aux menaces contre l’éducation postsecondaire

Par Wayne Peters
Le secteur de l’éducation postsecondaire au Canada est en pleine tourmente : la transformation fondamentale qui s’y opère est très lourde de conséquences pour les étudiants, nos établissements et le pays tout entier. Ces dernières années, nous avons assisté à des changements socio-économiques et politiques alarmants qui ont ouvert la voie à cette transformation néo-libérale.
     
Pour s’en rendre compte, il n’y a qu’à regarder les tendances troublantes actuellement à l’oeuvre : le recours de plus en plus massif à du personnel académique occasionnel; la marginalisation de la recherche fondamentale au profit de la recherche commanditée par des intérêts privés; la diminution du financement public, qui contraint nos établissements à devenir plus tributaires des investissements du secteur privé; l’affaiblissement du poids du personnel académique dans les décisions institutionnelles à mesure qu’une culture de gestion plus corporative se substitue à la gouvernance collégiale traditionnelle.
     
Face à la situation, nos établissements semblent au mieux frappés de mutisme et se révèlent le plus souvent d’actifs collaborateurs dans cette transformation. De l’intérieur, la capacité du personnel académi­que à influer sur les orientations stratégiques de nos établissements concernant les questions pédagogiques importantes s’est sérieusement affaiblie depuis que s’est imposé un processus décisionnel descendant comme celui des entreprises.
     
Les sénats et autres organes de direction — ces tribunes par l’entremise desquelles les membres du personnel académique devraient pouvoir faire entendre leurs voix — sont devenus inefficaces ou bien ne servent plus qu’à débattre de questions sans intérêt.
     
Alors, qui peut faire reculer cette mutation? De mon point de vue, l’ACPPU constitue, avec ses associations membres dans tout le pays, le seul porte-parole collectif affichant résolument une position de principe contre cette transformation sous toutes ses formes. Aucun autre organisme fédéral, provincial, public ou privé, ni aucune alliance d’organismes n’ont manifesté leur intérêt à relever le défi, à l’exception de notre alliée, la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants.
     
Les associations de personnel académique continuent d’être les mieux à même de défendre la cause de l’éducation postsecondaire. Et incontestablement, la syndicalisation a joué un puissant rôle moteur dans cette réussite. La négociation collective fournit aux membres du personnel académique le mécanisme qui leur donne un contrôle sur leurs conditions de travail, la quasi-totalité desquelles ont une incidence directe sur la qualité et l’intégrité de notre système d’éducation postsecondaire. Nous avons tous entendu l’adage « nos conditions de travail déterminent les conditions d’apprentissage de nos étudiants ». C’est certainement le cas en l’occurrence.
     
Comme on le sait, les associations de personnel académique affichent un très haut taux de succès en mati­ère de syndicalisation. Au Canada, le secteur de l’éducation postsecondaire présente le taux de syndicalisation le plus élevé de tous les secteurs d’activité. La très grande majorité des membres de l’ACPPU sont syndiqués. La plupart le sont depuis un certain temps, mais, malgré cela, la transformation semble progresser inexorablement. Alors, que devons-nous faire de plus? La réponse, à mon avis, réside dans la façon dont nous nous positionnons pour relever le défi.
     
Nul n’ignore qu’une association de personnel académique tire sa force d’une source unique : ses membres. Le succès global de l’organisation est avant tout tributaire de l’engagement de ses membres, de leur détermination à oeuvrer à la réalisation d’objectifs déterminés et de leur sens d’appartenance. Son efficacité passe obligatoirement par la participation de ses membres et leur attachement à l’organisation. Son véritable pouvoir réside dans la mobilisation de ses membres. Ceux-ci doivent avoir le sentiment que toute attaque contre leur association est une attaque contre chacun d’entre eux.
     
Dans leur vaste majorité, nos associations s’emploient à mobiliser et à amener leurs membres à participer de manière appréciable et à long terme, bien au-delà, par exemple, de l’élan de solidarité ponctuelle qui se manifeste lors d’une grève. Bien que nous ayons tous et chacun une obligation envers nos associations, il est beaucoup trop facile de pointer du doigt des membres en particulier pour leur rappeler de participer et d’appuyer leur syndicat. Les associations doivent plutôt mener une véritable réflexion sur les meilleurs moyens pos­sibles pour leurs membres de se mobiliser de manière dynamique et durable de sorte à pouvoir affronter les défis actuels.
     
Pour sa part, le comité de direction de l’ACPPU a récemment engagé son propre débat sur les façons dont l’organisme peut orienter le plus efficacement possible ses tra­vaux consacrés à la défense de l’éducation postsecondaire, et sur les meilleures façons d’aider les associations locales à mener cette lutte. Nous comptons prochainement associer nos membres à la discussion de cette question dans le cadre de l’assemblée du Conseil en vue de déterminer et d’établir des orientations et des interventions collectives. Dans l’intervalle, cependant, deux réflexions méritent d’être mises en lumière.
     
Premièrement, d’aucuns parmi le personnel académique semblent avoir l’impression que nous exerçons une profession et non pas un emploi et que, par conséquent, notre identité en tant qu’enseignant et érudit sort en quelque sorte du cadre des activités de nos associations. Ce qui, malheureusement, perpétue l’idée que la participation au travail des associations est un acte béné­vole que nous accomplissons uni­quement lorsque nous pouvons nous dispenser de notre « véritable » travail académique.
     
Il est capital que nous réfléchissions à la façon de recadrer le travail que nos associations consacrent à la défense de l’éducation postsecondaire et de notre profession, de sorte qu’il soit considéré comme faisant partie intégrante de nos fonctions académiques habituelles. En d’autres termes, comment pouvons-nous ajouter de la valeur à ce travail pour nos membres?
     
Deuxièmement, je crois fermement que le travail de nos associations doive déborder du cadre de nos conventions collectives si nous voulons défendre efficacement l’éducation postsecondaire. De toute évidence, l’ampleur des menaces auxquelles celle-ci est exposée s’étend à un grand nombre de questions qui ne peuvent être résolues si nos actions sont limitées à la teneur des dispositions de nos conventions. Nous ne pouvons pas non plus négliger le fait que nos conventions ne sont pas à l’abri des interventions législatives et judiciaires. C’est pourquoi nous devrons envisager notre travail dans une perspective plus vaste et politiser davantage nos ac­tivités pour être en mesure de relever les défis auxquels nous sommes confrontés.
     
Alors, qu’en est-il du « qui » et du « comment »? C’est à nous — les membres du personnel académique et les associations dans tout le pays — qu’il appartient d’assumer collectivement la défense de l’éducation postsecondaire et de notre profession, car peu d’autres s’en chargeront. Et pour y arriver, nous avons beaucoup de besogne à abattre. Mais je suis convaincu que nos discussions sauront nous montrer la voie à suivre.