Back to top

Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

octobre 2012

Ontario : offensive contre l’éducation postsecondaire

Sous le couvert de la crise économique, on s’en prend aux droits des syndiqués et des travailleurs.

Queen's Park, Toronto — Le gouvernement ontarien adopte des mesures visant à centraliser le contrôle sur les collèges et les universités. [Saforrest/Wikimedia Commons]
Queen's Park, Toronto — Le gouvernement ontarien adopte des mesures visant à centraliser le contrôle sur les collèges et les universités. [Saforrest/Wikimedia Commons]
L'éducation postsecondaire est victime d’une « grave attaque » en Ontario, du fait de l’adoption, par le gouvernement libéral aux commandes de la province, d’un train de mesures visant à centraliser le contrôle ministériel sur les collèges et les universités, et à restreindre le droit à la négociation collective dans l’ensemble du secteur public.

« Il s’agit, à notre connaissance, de la plus grave at­ta­que contre l’éducation postsecondaire au Canada qui, si nous laissons une telle chose se produire en Ontario, fera très certainement boule de neige dans les autres provinces », a affirmé le directeur général de l’ACPPU, James Turk, dans une note adressée dernièrement aux associations membres.

Le train s’est mis en branle le 28 juin, avec la publication, par le gouvernement provincial, d’un document de travail intitulé « Renforcer les centres de créativité, d’innovation et de savoir en Ontario ». Ce document de 23 pages propose un ensemble de changements profonds, notamment des « programmes d’études de trois ans menant à un grade (…) axés sur le marché du travail », la reconnaissance pleine et entière, par tous les établissements d’enseignement, des crédits alloués pour les cours d’introduction et les cours obligatoires, et une expansion impor­tante de l’offre de cours en ligne, qui pourraient constituer jusqu’au tiers des cours.

Dans une allocution prononcée le 24 juillet dernier au collège Fanshawe à London (Ontario), Glen Murray, ministre de la Formation et des Collèges et Universités, a vivement conseillé aux administrateurs, au corps professoral et aux étudiants d’adhérer à la nouvelle « réalité », selon son propre mot, de l’apprentissage en ligne planétaire.

« Nous assistons à une véritable révolution. Nous devons nous garder de suivre la tendance trop timidement, car nous pourrions être laissés derrière dans ce monde sans frontières », a-t-il déclaré. « Je regrette de vous annoncer que les murs de vos établissements ont été supprimés, de même que les portes et les fenêtres, de sorte que vos étudiants peuvent poursuivre leur apprentissage n’importe où et n’importe quand dans le monde. »

Selon M. Murray, des changements s’imposent pour abaisser les coûts de l’éducation postsecondaire et améliorer la productivité. « Nous devons prendre la voie de l’innovation comme moteur de la productivité. Nous devons faire en sorte que les fonds injectés dans le système nous rapportent plus et viser plus haut. Nous devrions mesurer les résultats et regarder de plus près les compétences et les habiletés de nos diplômés », a-t-il ajouté.

Les changements proposés s’inspirent du Processus de Bologne mis en place dans la foulée de la signature, par des pays de l’Union européenne, de la Déclaration de Bologne centrée sur la promotion de la mobilité des étudiants et des universitaires ainsi que sur l’obtention de gains d’efficience et de résultats mesurables dans le secteur de l’éducation paneuropéen. La Déclaration s’inscrit dans une tendance plus large de réinvention des universités nord-américaines pour qu’elles soient des acteurs économiques centraux dans la production d’une main-d’oeuvre instruite et flexible.

Des opposants mettent toutefois en garde contre une adhésion sans réserve à la Déclaration de Bologne. Dans une note adressée à ses membres, l’association du personnel académique de l’Université de Toronto (UTFA) commente le document de travail du ministère de la Formation et des Collèges et Universités et prévient que les réformes envisagées « pourraient causer un grand préjudice » au secteur de l’éducation postsecondaire en Ontario.

« Dans un contexte de fortes compressions budgétaires, comme au Royaume-Uni, des établissements d’enseignement offrent maintenant aux étudiants la possibilité de décrocher un baccalauréat en deux ans, ou une maîtrise en un an. Par ailleurs, beaucoup sont d’avis que l’inflation des notes et l’érosion de la qualité de l’éducation (un phénomène qui touche même certaines des universités européennes les plus prestigieuses) sont un problème grave. »

Dans la même note, l’UTFA observe également qu’en passant relativement sous silence la recherche, le document de travail donne à penser que celle-ci « est jugée utile et importante uniquement lorsqu’elle est mise à profit dans des applications directes et — apparemment — commerciales liées aux technologies et à la formation qualifiée. »

Le Ministère ampute de 30 millions de dollars le financement du budget de base de tous les établissements pour réaffecter ces cré­dits à trois établissements qui « sont les plus à même de faire figure (…) de modèles d’établissement d’enseignement supérieur au XXIe siècle ». Pour être admissibles à ce financement, les recteurs des collèges et des univer­sités de l’Ontario ont dû soumet­tre, avant le 30 septembre, un énoncé de mandat stratégique définissant trois objectifs prioritaires de leur établissement.

« Nous n’avons pas vraiment été consultés », affirme Don Abelson, président de l’association du person­nel académique de l’Université de Western Ontario, qui a assisté à l’allocution du Ministre au collège Fanshawe.

« C’est cela qui nous préoccupe dans toute cette démarche. Au fond, Glen Murray est venu donner un spectacle. Il ne veut pas avoir notre avis. Ce gars-là pense qu’il est le père Noël, et que c’est à lui de séparer le bon grain de l’ivraie. »

Le document de travail est très clair : la nouvelle orientation du secteur de l’éducation postsecondaire est directement liée au projet du gouvernement libéral de limiter la rémunération et les pensions dans le secteur public élargi. « Le gouvernement souhaite que tous les partenaires parapublics négocient de manière responsable et considèrent les aspects des con­ventions collectives qui améliorent la productivité et facilitent la transformation. »

Cette orientation a acquis force de loi au début du mois de septembre, avec l’adoption, par le gouvernement McGuinty, du projet de loi 115 imposant un gel de la rémunération pendant deux ans au personnel enseignant des écoles élémentaires et secondaires ainsi qu’au personnel de soutien. Continuant sur sa lancée, le gouvernement libéral a présenté le 26 septembre un plan visant à restreindre, pendant deux ans, la rémunération et les avantages des employés syndiqués du secteur public, y compris ceux des collèges et des universités.

« La Loi de 2012 protégeant les services publics du gouvernement ontarien n’est rien de moins qu’une attaque en règle contre les services publics et les personnes qui les assurent », a déclaré M. Turk, au nom de l’ACPPU. « Elle dénote une approche imprévoyante et dangereuse face à un problème financier. Nous mettrons tout en oeuvre pour aider l’Union des associations des professeurs des universités de l’Ontario et nos associations membres à se mobiliser contre cette loi et les autres modifications préjudiciables proposées par le Ministre. »