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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

février 2016

La marche privée de l’éducation au Ghana

Des multinationals vident les poches des familles pauvres

Le gouvernement est en train de sevrer le financement public et d’abandonner le secteur de l’éducation au secteur privé, explique le président de l’Association nationale des enseignants diplômés du Ghana, Christian Addai-Poku.
Le gouvernement est en train de sevrer le financement public et d’abandonner le secteur de l’éducation au secteur privé, explique le président de l’Association nationale des enseignants diplômés du Ghana, Christian Addai-Poku.
Au Ghana, le sujet de la privatisation du monde de l’éducation est sur toutes les lèvres et avec raison.

Depuis l’arrivée du géant anglais Pearson, des écoles soi-disant privées à bas prix ont poussé comme des champignons, saignant les rangs du secteur public. Et ce n’est qu’un début.

« La privatisation est un enjeu majeur à tous les niveaux. Notre gouvernement est en train de sevrer le financement public et de carrément abandonner le secteur de l’éducation au secteur privé », explique le président de l’Association nationale des enseignants diplômés du Ghana (NAGRAT), Christian Addai-Poku.

De concert avec l’Internationale de l’Éducation et l’ACPPU, son organisation, qui représente 40 000 enseignants universitaires, collégiaux et secondaires, a lancé une vaste campagne pour contrer ce phénomène.

M. Addai-Poku explique que les conditions de travail dans le secteur de l’éducation sont mauvaises, tout comme les conditions d’apprentissage des étudiants. Un professeur d’économie au niveau universitaire peut ainsi se retrouver à donner un cours magistral devant 500 étudiants, tout cela pour un salaire de 1 000 US$ par mois.

Les membres de son association sont sans contrat de travail depuis 2009, et la liberté académique n’est pas respectée. Le gouvernement ghanéen a promis de mettre sur pied un fonds de recherche destiné aux professeurs, mais ce fonds puisera son financement dans les salaires mêmes des enseignants, et c’est le ministère de l’Éducation et des politiciens qui décideront des projets de recherche qui seront financés.

« Le gouvernement permet également à un grand nombre d’universités étrangères et de collèges à but lucratif d’opérer au Ghana », signale le directeur général de l’ACPPU, David Robinson. « On compte une université à pratiquement chaque coin de rue à Accra, et ces établissements n’ont aucune infrastructure. Ils ouvrent une petite boutique et ils décernent simplement des diplômes à ceux qui ont les moyens de payer. »

Mais encore, l’arrivée des écoles Omega de la firme d’investissement Pearson est en train de faire basculer les choses encore plus vite. D’ici 2020, l’entreprise britannique prévoit d’ajouter 340 écoles et 200 000 élèves à son giron au Ghana, au Sierra Leone, au Liberia, au Nigéria et en Gambie. Ces écoles s’installent proches des écoles publiques pour vampiriser leur clien­tèle en offrant souvent un programme de repas et en facturant les frais à la journée.

Selon une étude conduite par la Privatisation in Education Research Initiative, le coût journalier de 75 cents par enfant peut paraître faible, mais il représente 25 % du revenu annuel d’une famille ghanéenne moyenne et 40 % de celui d’une famille pauvre. « La principale source d’économie d’Omega provient de l’exploitation du travail des enseignants. On leur offre entre 55 et 65 $ par mois en salaire, soit entre 15 et 20 % du salaire d’un enseignant ghanéen du secteur public », écrit l’organisme.

« Ils font de l’extorsion auprès des pauvres. Au Ghana, même un petit montant journalier représente beaucoup d’argent, et cela force les familles à faire des choix difficiles puisque les familles nombreuses n’ont pas les moyens d’envoyer tous leurs enfants à l’école », ajoute M. Addai-Poku.

La NAGRAT a mis sur pied une équipe pour dénoncer toutes les formes de privatisation de l’éducation. La première étape constituait à alerter le public de la situation, ainsi que leurs propres membres. Ils ont ensuite rédigé un rapport d’opposition qu’ils ont remis aux autorités. Ils doivent maintenant faire assez de bruit en faisant une campagne publique pour faire bouger le gouvernement.

« Il faut que les investissements qui viennent de l’extérieur du pays soient dirigés vers le système public. On est actuellement en train d’affamer la bête. Le système public affiche de moins bons ré­sultats parce qu’il est moins bien financé et que les classes débordent, et la situation va continuer à se détériorer. L’école est un bien public et elle devrait être traitée comme tel », conclut M. Addai-Poku.

« Le Ghana fait face également à de sérieux problèmes d’infrastructures », ajoute M. Robinson. « Il y a encore des écoles qui n’ont pas de toilettes, et on voit encore des enseignants donner des cours sous un arbre. Les instances internationales comme l’Internationale de l’Éducation et les partenaires de partout doivent être solidaires. On ne peut pas permettre aux compagnies privées d’exploiter les plus pauvres pour réaliser des profits. »