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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

mars 2016

Le sexisme dans le milieu académique

Par Robin Vose
2016 — Une année à marquer d’une pierre blanche puisque, pour la première fois dans l’histoire, l’équilibre entre les sexes a enfin fait son entrée au gouvernement — du moins un équilibre symbolique au Cabinet fédéral. Par malheur, bien d’autres secteurs de la société canadienne, dont l’éducation postsecondaire, sont à la traîne. Oui, les femmes sont nettement majoritaires dans les effectifs étudiants à l’université, nous informe Statistique Canada. Mais il y a une ombre au tableau : elles se heurtent encore à des inégalités et à des obstacles importants dans leur cheminement vers une participation pleine et équitable à la mission académique. Elles composent depuis longtemps avec les plafonds de verre, les attitudes sexistes et les réseaux masculins. Ces embûches, aggravées par la violence ouverte et la culture du viol, sont encore trop souvent leur lot. La bataille contre le sexisme est loin d’être terminée et, à certains égards, elle est plus importante que jamais.

Nous devons à l’acharnement des générations précédentes de mieux comprendre les racines, les complexités et les coûts de l’inégalité entre les sexes. Près de 40 ans se sont écoulés depuis que le Canada a ratifié la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et pourtant, il est préoccupant de constater le peu de progrès accomplis. Alors au lieu de diminuer les budgets des programmes d’études de la condition féminine ou d’études de genre, il faut, au con­traire, réinjecter des ressources, raviver la flamme militantiste et renforcer l’esprit de solidarité pour rompre avec le statu quo que rien ne semble ébranler depuis si longtemps.

Une foule de données définissent, et souvent quantifient, les injustices réelles créées par l’inégalité en matière d’emploi. Aujourd’hui, les femmes gagnent encore beaucoup moins que leurs collègues masculins (l’écart est d’au moins 20 %) dans la majorité des secteurs d’activité, y compris celui de l’éducation supérieure, même si des études sur l’équité salariale et des programmes de rajustement de salaire ont amené dernièrement un certain rééquilibrage des forces dans des établissements. Malgré la bonification des prestations parentales, l’écart se creuse lorsque l’on examine les gains à vie des femmes ayant des enfants — même lorsque la carrière des pères va généralement bon train. D’ailleurs, des statistiques donnent à penser que les hommes avec enfants gagnent habituellement plus que les hommes sans enfant. S’il faut se méfier des généralisations, il semble que, dans l’ensemble, il y ait encore beaucoup de chemin à faire pour obtenir la parité hommes-femmes la plus élé­mentaire sur le plan des revenus et des avantages.

Les manifestations ouvertes ou subtiles de sexisme ont aussi un impact sur les conditions de travail des femmes, notamment les possibilités de conserver son poste et d’avoir une promotion. Les éva­lu­ations des professeurs — il serait plus juste de parler de « sondages d’opinion des étudiants » — sont peut-être les instruments les plus notoires d’une discrimi­nation ré­elle dont les conséquences sont dévas­ta­trices. Nombre de témoignages anec­dotiques et d’études font état de cette réalité : les femmes sont continuellement moins bien notées que les hommes dans ces sondages. À la lecture des commentaires anonymes, on constate à quel point le personnel académique fé­minin est la cible d’attitudes négatives qui vont d’un léger manque de respect et de la réduction à une condition d’objet à des injures et à des menaces tout à fait explicites. Quiconque est d’une race différente, a un handicap ou se distingue autrement ne sort pas indemne de tels exercices, et la vie au travail de beaucoup de nos collè­gues en est profondément perturbée. Les mem­bres du personnel académique con­tractuel, déjà précarisés, sont particulièrement vulnérables. Les employeurs doivent laisser tomber cette méthode d’évaluation inutile et complètement discréditée, qui constitue trop souvent une forme d’abus rituel. Il est plus que temps que les sondages d’opinion aillent rejoin­dre toutes les autres pratiques discriminatoires sur les lieux de travail au rayon des politiques malsaines.

La sécurité au travail est aussi une pré­oc­cupation constante des femmes, comme des personnes LGBTAB-S et d’autres groupes revendiquant l’équité. Les campus sont régulièrement le théâtre d’actes de harcèlement et de violence fondés sur le sexe, où le soutien aux victimes est généralement défaillant. Dernièrement, des cas largement médiatisés ont mis en lumière ce problème, mais les employeurs tardent à élaborer des politiques qui sont plus que de simples solutions palliatives ou des tentatives de redorer l’image de l’établissement. À l’évidence, le harcèlement et la violence ne cessent pas miraculeusement une fois franchies les grilles des campus; d’autres formes d’abus systémiques ciblant les femmes dans la société tout entière constituent un autre niveau d’inégalité qui afflige les femmes canadiennes de façon disproportionnée. La violence à l’endroit des femmes et des filles autochtones, en particulier, a pro­fondément marqué notre histoire et, sans des actions urgentes pour y remédier, on ne pourra espérer vivre dans une société plus juste.

L’inégalité est partout et s’exprime de bien des manières. Son omniprésence est telle que, parfois, on en vient à ne plus la voir ou à l’accepter comme étant la normalité. Cependant, quand des collègues sont régulièrement privées de chances égales, de conditions de travail sécuri­taires et dignes, et d’une juste rémunération, cela n’est ni normal ni acceptable. Les droits des femmes, comme ceux de tous les groupes marginalisés ou sous-représentés, font partie des droits de la personne. Toute la collectivité est plus riche quand les femmes sont respectées, et plus pauvre, quand elles sont défavorisées. Le sexisme est l’affaire de tout un chacun, et nous devons travailler ensem­ble à l’éradiquer.