Back to top

Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

mai 2016

Françoise Baylis, lauréate

Prix d’excellence académique de l’ACPPU

[Graham Kennedy]
[Graham Kennedy]
Se tenir debout. Personne n’illustre mieux cette expression que Françoise Baylis, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en bioéthique et en philosophie à l’Université Dalhousie. Avoir le courage de rompre le silence et de passer à l’action.

« Nous devons nous tenir debout et défendre la vocation de l’université, qui est de propager le savoir », a déclaré Mme Baylis, à qui l’ACPPU a décerné son Prix d’excellence académique 2016 en avril dernier.

La lauréate s’est donné la mission de conscientiser les personnes qui détiennent le pouvoir, d’insuffler à ses collègues le désir de défendre les droits du personnel académique et de combattre la commercialisation de l’université, qu’elle estime être la cause profonde de nombreux maux actuels dans le secteur de l’éducation supérieure.

« Je suis spécialisée en éthique appliquée. On m’a souvent entendu dire, un peu à la blague, que quand on est pris entre l’arbre et l’écorce — que quoi qu’on fasse, on est perdant —, autant faire ce qui est bien », de dire Mme Baylis.

Mme Baylis fait partie du sénat de l’Université Dalhousie et s’implique dans la communauté sur le campus. Quand le scandale entourant les propos misogynes publiés sur Facebook par des étudiants en dentisterie a éclaté, elle n’a fait ni une ni deux, et a organisé des remue-méninges avec ses collègues pour trouver des solutions.

Les participants à cette réflexion collective ont accouché d’un plan en quatre points qu’ils ont soumis au recteur de l’Université, Richard Florizone.

Premier point : reconnaître l’existence d’un problème de violence sexualisée à Dalhousie et sur d’autres campus au pays.

Deuxième point : s’excuser de son incapacité passée à mettre en place une riposte adéquate au problème de violence sexualisée sur le campus.

Troisième point : s’engager à prendre les mesures nécessaires pour faire des campus des lieux sécuritaires et propices à l’apprentissage, pour les femmes et les membres d’autres groupes vulnérables.

Quatrième et dernier point : définir une approche intégrée au problème de la violence sexualisée sur le campus, qui est sensible aux préjudices particuliers causés aux victimes et qui traite des enjeux systémiques sous-jacents.

Peine perdue, ce plan n’a trouvé aucun écho chez le recteur.

« Je me demande souvent ce qui aurait pu changer si nous avions appliqué cette approche », a soutenu Mme Baylis.

« En ne nous tenant pas debout, nous avons laissé tomber les quatre étudiantes en dentisterie, qui réclamaient la tenue d’un processus formel et n’ont pas été entendues, mais aussi l’ensemble de nos étudiants, en omettant de condamner sans appel la violence sexiste et les manifestations de misogynie. Au final, certains ont eu l’impression que l’affaire avait été étouffée. »

Elle déplore que les administrations aient trop souvent tendance à se retrancher derrière leurs services de communication et leur contentieux quand une situation problématique survient sur le campus. À ses yeux, c’est exactement la réaction qu’ont eue les administrateurs de l’Université Dalhousie à la suite de la publication du rapport d’un comité d’enquête indépendant formé par l’ACPPU pour examiner des allégations de violation de la liberté académique de membres du personnel enseignant clinicien de l’Université.

Ce comité d’enquête a conclu que le droit à la liberté académique du personnel enseignant clinicien n’était pas reconnu; que le concept de collégialité était mal compris, et mal appliqué; et que les processus de règlement des différends pour cette catégorie de professeurs étaient injustes.

« Face à un verdict aussi accablant, il est raisonnable de se demander comment l’Université a réagi. Officiellement, l’Université ne fait aucun commentaire, parce que l’affaire est devant les tribunaux », affirme Mme Baylis.

Elle se dit fortement préoccupée par les tentatives de l’Université de museler les dissidents sur le campus, sous prétexte que tout le monde « doit s’entendre » et travailler main dans la main. Elle s’élève contre ce mode de pensée parce qu’à son avis, le débat est essentiel à l’avancement des connaissances.

Elle invoque un document du sénat de Dalhousie datant de 1971, dans lequel ce dernier déclarait que l’absence de conflit signifierait probablement la mort intellectuelle de l’Université. Aujourd’hui, dit-elle, la situation est très différente.

Mme Baylis soutient que le personnel académique doit réinvestir l’université et réaffirmer les valeurs de liberté et d’intégrité académiques.

« Premièrement, il faut identifier qui a le pouvoir — là-dessus, je veux tellement croire Foucault quand il affirme que le pouvoir n’est pas entre les mains du roi, mais plutôt dans celles des masses, car ce sont elles qui maintiennent le roi sur le trône. Au bout du compte, c’est la base qui a le pouvoir. Si c’est vrai, je dois redoubler d’efforts pour que tous se sentent interpelés et aient la motivation et le courage moraux d’agir. »