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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

février 1999

Le pouvoir aux provinces?

Les deux paliers de gouvernement pourront établir des objectifs mais il reviendra aux provinces de décider du type de programme.
On connaît trop bien la chanson : les négociations secrètes, le bruit des sabres en public et les ballons d'essai qu'on lance continuellement. Les négociations fédérales et provinciales sur la modification de la Confédération canadienne font de nouveau les manchettes. Une expression autrefois obscure, «l'union sociale», est ressortie du vocabulaire d'une poignée d'analystes de la politique et de hauts fonctionnaires.

Que signifie toutefois «l'union sociale» et comment influencera-t-elle les programmes sociaux du Canada? La réponse est enfouie dans les huit pages d'une prose obscure que neuf provinces et deux territoires ont entérinées la semaine dernière. En termes bureaucratiques, l'union sociale fait référence à des programmes nationaux à frais partagés, notamment la santé, l'enseignement postsecondaire et l'aide sociale, et à la manière dont ces programmes sont administrés, financés et fournis. L'accord constitue une nouvelle union sociale qui modifient donc officiellement la répartition des responsabilités, des ressources et des pouvoirs sociaux entre Ottawa et les provinces.

À l'instar de l'accord du lac Meech et de l'accord de Charlottetown cependant, les négociations sur l'union sociale représentent plus qu'un changement de pouvoir au sein du fédéralisme canadien. La nouvelle union sociale du Canada entraîne non seulement le transfert des responsabilités d'un palier de gouvernement à l'autre mais aussi un déplacement fondamental du pouvoir des gouvernements vers les marchés.

Bien que nous ne comprenions pas entièrement encore la pleine signification de l'accord, nous savons qu'il limite les pouvoirs de dépenser du fédéral. Le gouvernement fédéral ne pourra lancer aucun nouveau programme social sans le consentement de six provinces. Les deux paliers de gouvernement pourront établir des objectifs mais il reviendra aux provinces de décider du type de programme.

Manifestement, cette restriction minera toute nouvelle initiative nationale en matière de programmes sociaux et donnera lieu à un ensemble de programmes disparates à la grandeur du pays. De fait, la Prestation fiscale canadienne pour enfants du gouvernement fédéral dont on a tant fait l'éloge est peut-être un indice de ce qui nous attend. Louangée par les tenants de politiques sociales plus souples et décentralisées, la Prestation fiscale canadienne pour enfants regroupe deux programmes existants et les bonifie : la Prestation fiscale pour enfants et le Supplément du revenu gagné.

L'augmentation des crédits fédéraux entraîne cependant un changement plus inquiétant. En effet, à mesure que les crédits augmentent, les provinces et les territoires peuvent diminuer les prestations des bénéficiaires d'aide sociale. Les économies ainsi réalisées supposent leur réinvestissement dans d'autres programmes pour les familles à faible revenu et leurs enfants. Or, en respectant la philosophie d'une plus grande souplesse des provinces, on constate l'absence de normes communes déterminant dans quel programme il faut réinvestir, la manière de le faire ou si le réinvestissement aura lieu.

Les gouvernements provinciaux sont relativement libres de décider comment ils disposeront des économies réalisées. Certains se prévaudront peut-être du droit de retrait pour offrir plus de services, par exemple des services de garde réglementés et publics. D'autres, par contre, qui sont plus enclins à rationaliser l'appareil gouvernemental et à privatiser des services publics, pourront offrir des crédits d'impôt supplémentaires et inciter les parents à utiliser les services de garde privés et à but lucratif. Certains gouvernements se contenteront peut-être d'empocher les économies. Peu importe comment et où les deniers seront dépensés, le résultat est flagrant. La Prestation fiscale canadienne pour enfants a anéanti tout espoir de créer un ensemble de services communs comme le programme canadien de services de garde.

De nouvelles initiatives sont présentement envisagées, notamment l'assurance-maladie et le régime de soins à domicile. Elles feront face cependant à des contraintes similaires. En outre, le projet que chérit depuis longtemps la collectivité universitaire et collégiale d'établir des normes nationales communes pour l'enseignement postsecondaire se heurtera aux mêmes obstacles.

De fait, si la Prestation fiscale canadienne pour enfants doit servir de modèle aux futurs programmes, les hausses éventuelles des transferts fédéraux au titre de l'enseignement postsecondaire risquent d'être versées avec le même degré de «souplesse». Les provinces se verront accorder, voire exiger, le droit d'affecter les nouveaux crédits où bon leur semble. Ainsi, les crédits supplémentaires pourraient être dirigés vers des programmes de prêts d'études ou de crédits à l'éducation mal conçus, plutôt qu'être réinvestis directement dans les infrastructures humaines et physiques des universités financées par les deniers publics qui en ont un urgent besoin.

La seule norme nationale prévue par le nouvel accord touche la liberté de mouvement. Cette exigence vise à éliminer les obstacles qui restreignent la mobilité des résidents vers les autres provinces. Selon Ottawa, les frais de scola-rité différentiels des universités et des collèges sont considérés comme un de ces obstacles. Bien que les droits de mobilité des étudiants soient importants, il se trouve qu'ils sont la seule norme nationale que les provinces doivent maintenir.

Sans d'autres normes toutefois, notamment les garanties d'accessibilité et de capacité financière, les droits de mobilité puniront des provinces comme la Colombie-Britannique qui a choisi d'exiger des frais de scolarité moins élevés. Si elles sont obligés d'accepter des étudiants de l'extérieur de la province qui fuient les frais de scolarité élevés chez eux, elles risquent de se voir contraintes d'augmenter les frais de scolarité pour des raisons fiscales et de les harmoniser avec ceux des autres provinces.

Les négociations sur l'union sociale ont passé pour la réponse aux revendications du Québec en faveur de plus d'autonomie. Toutefois, il est évident que les provinces conservatrices ont maîtrisé l'ordre du jour, en se servant de la crainte de la souveraineté du Québec comme prétexte pour contrôler les politiques sociales. L'ironie là-dedans, c'est que l'on pose la prémisse selon laquelle on devrait satisfaire aux revendications du Québec en traitant toutes les provinces comme si elles étaient le Québec. Cette stratégie a cependant de grandes lacunes. D'abord, elle ne reconnaît pas suffisamment le caractère distinct du Québec et sape nos programmes sociaux canadiens. Ensuite, la formule est usée et a déjà été rejetée, notamment lors du référendum de l'accord de Charlottetown.

Le véritable objectif est d'enlever des pouvoirs au fédéral et non pas d'obtenir l'unité nationale. Pour quelle autre raison Mike Harris et Ralph Klein se féliciteraient d'une entente qui isole le Québec.

Après l'échec de l'accord de Charlottetown, il avait été entendu que jamais plus une réforme de la confédération ne s'effectuerait en secret. Pourtant, c'est précisément ce qui s'est passé avec les discussions sur l'union sociale.

Traduit de l'article «Power to the Provinces?».