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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

avril 2003

La permanence protège la liberté universitaire et la démocratie

Par Victor Catano
Un soir, je dînais en compagnie d'universitaires et de professionnels non universitaires lorsque la conversation a porté sur la permanence. L'opposition à la permanence exprimée par les non-universitaires ne m'a nullement surpris puisque l'idée qu'un groupe jouisse d'une protection particulière suscite toujours du ressentiment. Or, j'ai été pris au dépourvu lorsque quelques-uns des universitaires ont déclaré que la permanence n'avait aucune valeur à leurs yeux puisqu'elle servait simplement à protéger certains de leurs collègues qui, d'après eux, devraient être congédiés en raison de leur incompétence et de leur improductivité. Ils estimaient qu'il était difficile de se départir de ces gens à cause de la permanence. Il semble que nous avons considéré la permanence comme allant de soi et que nous avons perdu de vue son but et sa valeur. La permanence apporte la sécurité d'emploi, certes, mais elle est plus que cela, car elle offre la protection dont les universitaires ont besoin pour jouer le rôle qui leur revient à l'université et dans la société.

Avant l'existence de la permanence, les universitaires étaient souvent congédiés parce qu'ils avaient critiqué leur gouvernement ou leur université, ou parce qu'ils avaient exprimé des opinions contestant la pensée classique et l'orthodoxie savante. La permanence est le fondement sur lequel repose la liberté universitaire. Sans cette protection, les universitaires seraient probablement congédiés pour avoir fait des déclarations ou posé des gestes impopulaires dans leurs écrits, leurs recherches et leurs activités communautaires. Dans le cas des établissements financés par les deniers publics, entre autres les universités, il n'est pas inhabituel que de hauts fonctionnaires du gouvernement ou des donateurs du secteur privé tentent de convaincre des administrateurs d'imposer des mesures disciplinaires à des universitaires qui ont exprimé des opinions contraires. Rappelez-vous les pressions exercées sur l'Université de la Colombie-Britannique pour qu'elle congédie Sunera Thobani après les commentaires qu'elle avait faits sur la tragédie du 11 septembre.

En temps de guerre et de tragédie nationale, des pressions excessives s'exercent sur les gens pour qu'ils se conforment à ce que la majorité perçoit comme " l'intérêt national ". La recherche intellectuelle libre devient l'otage des lois, essuie des menaces d'intimidation et subit des pressions de la masse, des médias d'affaires. Nous en avons entendu de nombreux exemples l'an dernier, lors de la conférence de l'ACPPU sur la dissidence. Les universitaires sont censés promouvoir le débat public, mener des recherches scientifiques, explorer différentes perspectives et enseigner à nos étudiants et étudiantes à penser librement, dans un esprit critique. Comment peuvent-ils réaliser ces objectifs s'ils doivent eux-mêmes respecter les consignes ou s'ils craignent que leurs paroles ou leurs actions soient surveillées parce qu'ils manquent d'orthodoxie?

Aux États-Unis, les administrateurs universitaires sont pressés de toutes parts pour congédier des membres du corps professoral qui prennent des positions impopulaires. Des organismes tels Campus Watch et American Council of Trustees and Alumni publient des listes d'universitaires considérés comme " déloyaux " ou qui critiquent la politique étrangère américaine.

Des commentateurs conservateurs dans les médias américains demandent régulièrement de censurer la dissidence parmi les universitaires et qualifient les critiques à l'égard des actions du gouvernement d'antipatriotiques. Ils ne font peut-être que respecter l'esprit de la nouvelle U.S. Patriot Act qui permet aux organismes fédéraux d'obtenir le dossier de bibliothèque ou d'achats de livres d'une personne sans l'informer qu'elle fait l'objet d'une surveillance. L'expression " Big Brother is watching " s'avère fondée.

Le gouvernement canadien a tenté une troisième fois de présenter une loi antiterroriste. Au nom de la sécurité, le projet de loi C-17 accordera aux bureaucrates le droit de s'immiscer dans la vie privée d'une personne sans son consentement ou à son insu et d'utiliser les renseignements personnels ainsi obtenus à des fins multiples. Il permettra également aux organismes comme le SRSC et la GRC de surveiller d'immenses quantités de données personnelles.

À ce dîner, mes compagnes et compagnons ont soutenu qu'il était trop difficile de congédier des professeurs permanents. La permanence n'empêche pas le congédiement; elle exige seulement que la décision de l'employeur soit motivée. Rien de cela ne diffère d'autres milieux de travail régis par des relations contractuelles. Regardons de plus près ce qui arrive lorsqu'une université facilite le congédiement d'un professeur. Récemment, le conseil d'administration de l'University of South Florida a donné une nouvelle définition au mot " inconduite " en l'appliquant à tout comportement qui, selon l'université, nuit à ses meilleurs intérêts. Cette définition est tellement large que les administrateurs peuvent l'invoquer pour n'importe quoi. L'université pourrait ainsi congédier un membre du corps professoral qui l'a fait tomber dans le discrédit en faisant des déclarations controversées ou en critiquant l'administration.

Le rôle critique et indépendant que la permanence autorise les universitaires à jouer dans la société est attaqué par ceux qui voient en elle une menace au statu quo d'intérêts bien ancrés. Le rôle de la permanence, qui est de protéger la liberté universitaire, permet aux universitaires de s'exprimer librement sur des questions comme l'innocuité des médicaments, l'environnement, la pauvreté des enfants et la situation politique au Moyen-Orient.

En supprimant la permanence, ou en facilitant le congédiement des universitaires permanents, on menace la démocratie elle-même. La liberté universitaire, soit la liberté de s'interroger, de découvrir des faits, de s'exprimer de manière indépendante, sans crainte, est un élément essentiel de notre société démocratique. Elle demeure d'une importance cruciale, surtout en temps de guerre. Si la permanence est supprimée, attendez-vous à être muselés