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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

juin 2016

La voie à suivre pour intégrer les Autochtones dans le milieu académique

[iStock.com / JamesVancouver]
[iStock.com / JamesVancouver]
Depuis quelques mois, l’intégration des Auto­chtones et de leur culture dans les universités et les collèges canadiens est au centre des discussions dans de nombreux établissements. Ceux-ci ont compris le message transmis dans le rapport final de la Commission de vérité et de réconciliation : ils doivent participer aux vastes efforts entrepris pour réparer les torts de l’histoire en faisant preuve de leadership dans le soutien aux langues et à la cul­ture autochtones.

C’est tout un défi, cependant, car l’intégration des Autochtones dans le milieu académi­que est un concept souvent obscur, voire controversé. Concrètement, que doivent faire les associations de personnel académique et leurs membres?

Pour la professeure micmaque Marie Battiste, les associations de personnel académique peuvent jouer un rôle essentiel dans l’avancement de cette intégration en négociant des façons d’ouvrir plus grand les portes des universités et des collèges aux professeurs autochtones.

« Au Canada, le corps professoral compte un nombre infime d’Autochtones, largement inférieur aux nombres de femmes et d’autres membres de minorités racialisées », déclare Mme Battiste. « Par exemple, il y a plus de 15 ans, l’Université de la Saskatchewan s’était lancée dans un programme de recrutement de professeurs autochtones avec l’ambition d’égaler la proportion des peuples autochtones dans la population de la province, qui était de 13 %. Aujourd’hui, les Autochtones forment moins de 1 % des professeurs de l’Université. »

Le directeur général de l’ACPPU, David Robinson, convient que les établissements d’enseignement doivent avoir une vision proactive du recrutement de personnel académique autochtone et négocier l’inclusion de mesures précises dans les conventions collectives.

« Au-delà du recrutement, nous devons aussi soutenir adéquatement le personnel acadé­mi­que autochtone de sorte qu’il demeure en poste et ait accès à des promotions », ajoute-t-il. « Pour cela, il faut que, dans l’évaluation des dossiers de permanence et de promotion, on reconnaisse le savoir et les traditions en matière de recherche des Autochtones, et qu’on en tienne compte. »

Selon lui, les professeurs auto­chtones doivent jouir de la liberté académique au même titre que leurs confrères, un droit qui sera particulièrement capital lorsqu’ils « remettront en question les représentations officielles et y opposeront de nouvelles épistémologies. »

Pour l’heure, de nombreux établissements d’enseignement cherchent surtout à attirer des étudiants autochtones. Si tous admettent qu’il est crucial d’augmenter les taux de participation des Autochtones aux études postsecondaires, certains émettent une réserve : les étudiants autochtones ne doivent pas être orientés uniquement vers des programmes « pratiques » ou « professionnels » qui sont garants d’une employabilité immédiate, ou s’y inscrire sous l’effet de pressions du milieu.

« L’intégration des Autochtones dans le milieu académique doit reposer sur le droit des peuples autochtones à recevoir une éducation qui prépare les jeunes pour la vie, sans les obliger à renoncer à leur langue, culture, histoire, identité, sécurité ou avenir, ou encore à leurs droits », affirme Rainey Gaywish, professeure crie-anishinabée, Midewiwin de troisième degré, à Shingwauk Kinoomaage Gamig et à l’Université Algoma.

Elle insiste pour dire que les étudiants autochtones devraient, comme tous les autres étudiants, avoir l’entière liberté de suivre les cours et de développer les intérêts de leur choix.

« On nous dit que nous hypothéquons l’avenir du Canada. C’est faux. Nous sommes l’espoir du Canada de demain. L’éducation doit participer aux efforts de réparation en soutenant activement nos langues, nos identités et nos cultures », ajoute Mme Gaywish.

Le président de l’ACPPU, James Compton, affirme que le cadre d’intégration des Autochtones dans le milieu académique n’est pas encore bien délimité, mais que, déjà, nous devons admettre que des questions pourront porter à controverse, surtout l’insertion de contenus autochtones dans les programmes d’études.

« Il importe maintenant de mener des consultations ouvertes avec le personnel académique et les communautés pour assurer que les contenus et le savoir autochtones sont correctement intégrés dans tous les programmes d’études », avance-t-il. « Sinon, on court le risque d’agir de façon purement symbolique, de déformer la réalité ou de s’approprier la culture des Autochtones. »

Pour M. Compton, il est essentiel de dégager d’importantes ressources pour la recherche et le développement de nouvelles approches qui refléteront toute la diversité des histoires, des langues, des cultures, des points de vue et des expériences des Autochtones.

« Du début à la fin du processus, nous devons accueillir une multitude de points de vue et favoriser les débats sur un large éventail de sujets », précise-t-il. « Pour cela, le droit à la liberté académique de chaque membre du personnel académique doit être respecté en tout temps. »

Mme Battiste convient qu’une collaboration étroite est la pierre angulaire de l’intégration des Autochtones.

« Rien de ce qui nous concerne ne doit être fait sans nous », conclut-elle.