Le secteur de l’éducation postsecondaire est confronté aux deux grands enjeux que sont les sources et les mécanismes de financement.
Bien que ce secteur soit du ressort des provinces, le gouvernement fédéral n’en joue pas moins un rôle important dans son financement. Au milieu des années 1960, le gouvernement d’Ottawa a mis en place un système de transferts de subventions générales aux provinces aux termes duquel ces dernières ne sont toutefois pas tenues explicitement de rendre des comptes sur la façon dont elles dépensent cet argent. Depuis lors, sur le front du financement, l’éducation postsecondaire n’a jamais cessé de perdre du terrain au profit des soins de santé. Et, faute de mécanismes de reddition de comptes, on ne peut savoir quelle portion de ces transferts de fonds parvient jusqu’aux collèges et aux universités.
S’il est impossible de répartir avec exactitude la responsabilité entre les deux instances gouvernementales, ce ne peut être un hasard que le début du financement fédéral global, et tout particulièrement la consolidation en un seul transfert de tous les crédits fédéraux réservés à la santé, aux services sociaux et à l’éducation postsecondaire dans les années 1990, ait coïncidé avec une hausse constante des frais de scolarité, tant en termes absolus que par rapport au financement public. Depuis les années 1990, les frais de scolarité ont plus que doublé.
L’instauration d’un régime de financement inconditionnel s’est également traduite par un élargissement de l’écart des frais de scolarité entre les provinces, ces frais atteignant les taux les plus élevés dans les Maritimes et, de loin, les plus bas au Québec. Les familles à faible revenu et les étudiants autochtones sont particulièrement désavantagés par la hausse des frais de scolarité. Le gouvernement fédéral a néanmoins fait un pas dans la bonne direction en annonçant cette année la création d’un programme d’aide financière aux étudiants fondée sur le revenu.
Le sous-financement a de même causé une baisse du nombre de professeurs à temps plein. Dans son rapport de 2008 sur les tendances dans le milieu universitaire, l’Association des universités et collèges du Canada constate que, dans les deux décennies qui ont précédé 2006, le nombre d’étudiants équivalent temps plein a augmenté de plus de 50 %, alors que le nombre de professeurs à temps plein n’a progressé que de 18 %.
Les universités canadiennes touchent 8 000 $ de moins en revenus par étudiant que les universités et les collèges américains offrant des programmes de quatre ans, ce qui a pour conséquence d’augmenter l’effectif des classes et de conduire à la détérioration des ratios étudiants-professeurs à temps plein, lesquels varient de 19,4 à Terre-Neuve à 27,0 en Ontario.
Pendant qu’était convertie la formule de financement de base pour l’éducation collégiale et l’éducation universitaire de premier cycle, le gouvernement fédéral a renforcé et a modifié profondément le paysage de la recherche. L’enveloppe de financement destinée aux Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) a été sensiblement majorée — coïncidant avec la transformation de l’ancien Conseil de recherches médicales — tout comme l’enveloppe du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG). La légère augmentation des crédits accordés au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) a eu pour résultat d’abaisser considérablement le montant des allocations par chercheur.
Dans un même temps, le gouvernement s’est employé davantage à promouvoir la recherche grâce au programme des chaires de recherche du Canada (maintenant devenu le programme de chaires d’excellence en recherche du Canada) et a mis davantage l’accent sur les programmes de recherche subventionnée et les partenariats publics-privés, dans le cadre notamment d’accords de financement commun avec la Fondation canadienne pour l’innovation et du programme de Centres d’excellence en commercialisation et en recherche. Naturellement, ces partenaires commencent à modeler le programme national de recherche.
La proportion de fonds ciblés dans les nouvelles enveloppes allouées aux trois conseils subventionnaires fédéraux s’est accrue. Dans le budget fédéral de 2008, le financement consenti au CRSNG est destiné aux secteurs de l’automobile, de la fabrication, de la foresterie et de la pêche, et le financement accordé au CRSH est ciblé sur l’étude des effets de l’environnement et sur la recherche en matière de développement social et économique des collectivités du Nord. Quant aux fonds consentis aux IRSC, ils sont restreints à la recherche sur les priorités en matière de santé. À la longue — et le financement de base demeurant limité — la recherche thématique asphyxie les projets qui ne correspondent pas aux priorités fixées par le gouvernement et, de façon plus générale, met en péril la recherche spéculative.
Alors, que devrions-nous exiger du gouvernement fédéral? Il faut avant tout, sur le plan structurel, que les subventions générales accordées aux provinces au titre de l’éducation postsecondaire soient retirées du Transfert canadien en matière de programmes sociaux pour être versées dans une enveloppe de financement distincte. Le regroupement, selon la pratique actuelle, de tous les crédits d’aide à l’éducation postsecondaire au sein du « transfert social » empêche qu’un débat public soit mené sur le financement fédéral de l’éducation supérieure.
Nous voudrions aller encore plus loin et faire en sorte que l’éducation postsecondaire soit régie par une loi qui créerait, pour le gouvernement fédéral, l’obligation d’assurer le financement de base, conformément à des lignes directrices nationales et au principe reconnaissant le caractère non lucratif de l’éducation et le droit d’y accéder pour tous ceux et celles qui ont les compétences nécessaires, quels que soient leurs moyens. De plus, cette loi rendrait obligatoire la gouvernance collégiale et ferait prévaloir la liberté académique dans l’ensemble du système d’éducation postsecondaire. De toute évidence, nous avons besoin d’organiser un débat sur la déficience du mécanisme de financement fédéral de l’éducation supérieure, mais une telle démarche se révèle difficile si l’on ne peut, dans un premier temps, mesurer l’apport du gouvernement.
Nous trouvons également inquiétant le fait que les projets de recherche ciblés de plus en plus nombreux soient en train de supplanter progressivement les projets définis par la communauté universitaire. La méthode habituelle consiste à geler les crédits disponibles (entraînant ainsi des baisses réelles causées par l’inflation) pendant que l’« argent frais » est affecté aux priorités déterminées par le gouvernement. Nous devons obtenir du gouvernement qu’il s’engage à financer la recherche universitaire de base et non pas les objectifs des responsables politiques.
Parallèlement, compte tenu des ressources disponibles limitées, le gouvernement doit corriger le désavantage profond que subit la recherche en sciences humaines au profit de la recherche dans les domaines de la santé, des sciences et du génie.