Il y a vingt-cinq ans, la commission Abella sur l’égalité d’accès à l’emploi déposait un rapport qui allait susciter une vague de militantisme sur les campus canadiens. À l’occasion de cet anniversaire, il y aurait lieu d’examiner les progrès qui ont été réalisés au chapitre de l’équité dans nos établissements postsecondaires.
Dans son rapport de 1984, la juge Rosalie Abella avait présenté l’équité en matière d’emploi comme une stratégie conçue pour éliminer les barrières et créer des possibilités d’emploi pour les femmes, les membres des minorités visibles, les peuples autochtones et les personnes handicapées. Les recommandations de la commission ont mené à l’adoption, à l’échelle fédérale et dans certaines provinces, de la législation et de la réglementation qui obligent les employeurs à établir des politiques et des calendriers de mise en oeuvre. Pour le secteur de l’éducation postsecondaire, le Programme de contrats fédéraux demeure l’initiative la plus importante qui ait découlé des travaux de la commission. En vertu de ce programme, les organisations comptant 100 employés ou plus qui obtiennent des contrats du gouvernement fédéral d’une valeur d’au moins 200 000 $ sont tenues de mettre en oeuvre un plan d’équité en matière d’emploi suivant des critères définis par le gouvernement.
La mise en oeuvre du plan d’équité s’est vite heurtée à des problèmes, car les efforts déployés par les militants pour établir des programmes d’action positive ont été entravés par des employeurs réticents — et parfois par leurs propres collègues — qui considéraient les initiatives d’équité comme une menace au mérite académique et à l’excellence. Le militantisme de base, pratiqué sous la forme de comités de la condition féminine et de comités et de groupes d’équité, a réussi peu à peu à attirer l’attention sur la nécessité de créer une culture de l’équité.
Les progrès se sont toutefois ralentis dans les années 1990 à mesure que l’engagement déjà faible du gouvernement fédéral envers l’équité d’emploi s’est essoufflé. N’ayant pas le pouvoir légal de tenir les éta-blissements responsables en la matière, les associations de personnel académique ont dû recourir à la négociation collective pour s’attaquer aux questions d’équité. Dans le contexte de la négociation, la notion d’équité est devenue synonyme de « diversité dans la représentation », prêtant ainsi une importance exagérée au dénombrement et aux objectifs numériques, ratios et pronostics. Les stratégies systémiques ont peu à peu fait place à des organismes et procédures professionnalisés des droits de la personne qui privilégiaient les plaintes individuelles.
La proportion de femmes de race blanche dans le secteur de l’enseignement supérieur a augmenté de façon continue au cours des 25 dernières années, mais la progression a été moins marquée pour les femmes et les hommes racialisés et handicapés. Quant aux professeurs autochtones qui enseignent au niveau postsecondaire, leur nombre est déplorablement très peu élevé. Ce n’est que récemment que l’on a commencé à attacher un intérêt à la complexité de l’« intersection » des différentes dimensions de l’équité et à l’ambiguïté des catégories de « handicaps » et de « minorités visibles ». Dans certains établissements, les obstacles systémiques que rencontrent les gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres sont maintenant formellement reconnus dans les conventions collectives ou les politiques d’équité.
Pourtant, les efforts parallèles pour reconnaître et comprendre les obstacles auxquels sont confrontés les personnes handicapées ne se sont pas produits. Et se pose également le sérieux problème de savoir s’il est pertinent de traiter les questions d’équité sur la base de données numériques. Par exemple, l’enquête annuelle que mène Statistique Canada auprès des membres du personnel académique ne mesure que les taux de féminité et de masculinité.
Le Recensement du Canada est une excellente source d’information sur le sexe, la racialisation, le statut d’autochtone et, dans une certaine mesure, les handicaps, mais il ne compile pas de données sur le rang, ne distingue pas les postes permanents ou menant à la permanence des postes à contrat et n’identifie pas les établissements d’enseignement. L’Almanach de l’ACPPU, fondé sur le recensement de 2006, indique que 15 % environ des professeurs d’université se sont déclarés membres d’une minorité visible, ce qui représente une augmentation de près de 3 % sur 10 ans. Et environ 1 % des professeurs d’université se sont identifiés comme Autochtones, ce qui ne correspond qu’à une légère augmentation au cours de la dernière décennie.
L’importance de la représentation dans les programmes d’équité ne fait aucun doute, mais l’accent a été mis jusqu’ici sur la quête de données numériques alors qu’il aurait mieux fallu chercher à comprendre comment les obstacles systémiques tendent à exclure et à marginaliser certains groupes une fois qu’ils réussissent à se tailler une place dans un établissement. D’autre part, il arrive trop souvent que le climat des institutions demeure peu favorable à des perspectives et des besoins autres que ceux de la majorité. Les membres handicapés du personnel académique, par exemple, se trouvent souvent isolés de leurs unités et sont contraints de réclamer et de négocier des mesures d’adaptation auxquelles ils devraient avoir accès de droit. Les départements peuvent se montrer hostiles à des collègues dont les accommodements demandés imposent un « coût » à leur unité.
L’hostilité à l’inclusivité peut être ressentie à des moments cruciaux comme dans le processus d’obtention de la permanence où l’intégration du candidat est mise en question. Les départements et les disciplines sont trop souvent divisés sur la signification des questions d’équité et sur ce qui est considéré comme le savoir ou qui est reconnu comme tel. Il est possible que l’on ne tienne pas compte des intérêts et des publications de recherche qui s’écartent des perspectives de la majorité, et qu’ainsi la permanence ou une promotion soit retardée ou refusée. Le service à la communauté peut être jugé sans intérêt professionnel. La pression mise sur l’intensité de la recherche contribue également à créer un climat contraire à l’équité du fait qu’il favorise une vision singulière de la « réussite » qui privilégie des types particuliers de recherche subventionnée.
Les questions d’équité peuvent être marginalisées au sein des associations de personnel académique parce qu’elles ne sont pas perçues comme faisant partie intégrante de la vie académique. Les pratiques d’une association peuvent exclure certains membres et décourager la participation. L’analyse des climats qui règnent au sein de nos associations et de nos lieux de travail constitue un bon point de départ. Certaines associations ont négocié la tenue d’études des systèmes d’emploi ou de vérifications de l’équité. Ces évaluations visent à mettre au jour les obstacles à la participation et permettent de mieux comprendre les processus d’exclusion et de marginalisation. Ces évaluations pourraient devenir partie intégrante du renouvellement des effectifs des associations. Nous devons renouveler nos efforts afin de pouvoir réaliser la promesse d’équité faite en 1984.