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CAUT Bulletin Archives
1996-2016

May 2009

Le compromis à trouver entre vie privée et protection

Par Penni Stewart
Avec le printemps arrive la saison des conférences et se présentent les occasions de se rendre dans des destinations lointaines ou, pour nos collègues de l’étranger, de venir au Canada. Avant de partir, cependant, vous aurez tout intérêt à vous renseigner sur les impératifs de la sécurité mondiale, qui rendent aujourd’hui les voyages plus difficiles. Au nombre des initiatives mises en place figurent le Programme de protection des passagers (la version canadienne de la liste des personnes interdites de vol établie par les États-Unis) et les nouvelles mesures de sécurité frontalière, dont les permis de conduire Plus. Le nouveau programme de sécurité aérienne américain « Secure Flight » est entré en application en mars dernier auprès de plusieurs transporteurs commerciaux.

Depuis le 11 septembre 2001, les préoccupations des États-Unis vis-à-vis de la sécurité ont conduit à un essor sans précédent des infrastructures de surveillance et de contrôle dans le monde entier. Au Ca­nada, par surcroît, nous avons été constamment pressés par les auto­rités américaines d’harmoniser nos politiques de sécurité avec les leurs, particulièrement en ce qui concerne les contrôles frontaliers, par la voie de programmes tels que l’Initiative relative aux voyages dans l’hémi-sphère occidental. Alors qu’il est censé prévenir le terrorisme international, le dispositif issu de l’utilisation combinée des technologies nouvelles et des procédures traditionnelles renforcées de contrôle des frontières contribue en fait au déploiement d’un système de surveillance de masse qui restreint les droits que nous confère la Charte, de même que notre liberté de circulation et notre droit à la vie privé. Pour exemple de cette réalité, il suffit de voir comment il est devenu de plus en plus fréquent dans les hôtels canadiens de demander aux clients de présenter une carte-photo d’identité au moment de s’inscrire.

Le resserrement des mesures de dépistage aux frontières a donné lieu à une interdiction sélective d’entrée sur le territoire des personnes qui ont des antécédents syndicaux, politiques ou activistes, qui sont membres de groupes racialisés, de minorités religieuses ou d’autres groupes marginalisés — sans compter tous les risques considérables d’erreur sur la personne qu’une telle situation peut occasionner.

En janvier dernier, un professeur d’éducation américain, Bill Ayers, qui devait prononcer une conférence à l’Université de Toronto, a été refoulé à la frontière canadienne, puis en mars, le député britannique George Galloway a été interdit d’accès au Canada. Ces deux décisions n’ont pas manqué de susciter la colère de la communauté universitaire au Canada. L’ACPPU a protesté vigoureusement contre ces refus d’entrée opposés à des individus qui posaient, semble-t-il, des me­naces pour les idées du gouvernement au pouvoir.

Les listes des personnes à surveiller ou interdites de vol se multipli­ent. Selon la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, qui recueille dans le cadre d’un projet de recherche les témoi­gnages de voyageurs qui ont vécu des expériences amères en ce sens, plus d’un million de noms étaient inscrits sur les listes de surveillance à la fin de 2008. Au Canada, les noms des personnes considérées, sans qu’elles le sachent, comme re­présentant une menace pour la sû­reté aérienne sont portées sur la liste des « personnes précisées » éta­blie par Transports Canada. Les compagnies aériennes vérifient le nom de chaque passager en fonction de cette liste avant de délivrer une carte d’embarquement, et s’il y a une correspondance entre deux noms, la personne concernée peut être interdite de vol et les autorités policières sont alertées.

Sont inscrites sur la liste d’interdiction de vol les personnes qui sont ou qui ont été impliquées dans les activités d’un groupe terroriste, les personnes reconnues coupables d’une infraction grave ayant mis des vies en danger et les personnes susceptibles de présenter un danger pour la sûreté aérienne. En ver­tu de critères aussi vastes que subjectifs, il n’y a pas lieu de s’étonner que nombre d’organisations politiques et d’individus puissent être jugés contrevenants.

Il arrive souvent que les rensei­g­nements de base sur les personnes soient peu fiables et que les gens ayant des noms communs soient victimes d’erreur sur la personne. Jusqu’ici, un certain nombre de Ca­nadiens se sont vu refuser à tort l’embarquement à bord de l’avion. C’est le cas notamment de deux jeunes Canadiens dont le nom, Ali­stair Butt, figure sur la liste d’interdiction de vol. Il y a aussi le cas de Glenda Hutton, une secrétaire d’école à la retraite de Vancouver, qui évite de se rendre à l’étranger par avion de peur que son nom soit inscrit sur une liste de surveillance des États-Unis.

Les défenseurs des libertés civiles ont largement condamné le Programme de protection des passa­gers. Le Centre canadien de politiques alternatives soutient que ce programme met en péril le droit à une application régulière de la loi, le droit à l’égalité et la liberté de circulation. Les commissaires à la protection de la vie privée du Canada préviennent que le programme risque de porter atteinte au droit à la vie privé en permettant la diffusion à grande échelle de renseignements personnels.

Avec leur programme « Secure Flight », les États-Unis vont encore plus loin en exigeant que les auto­rités américaines contrôlent et approuvent les données sur les passagers dont le vol passe par l’espace aérien américain avant d’autoriser ceux-ci à monter à bord de l’appareil au Canada — et même si l’appareil n’atterrira pas aux États-Unis. Une multitude de renseignements devront être communiqués en vertu du programme de précontrôle des passagers, entre autres le nom, le sexe, la date de naissance, l’itiné­r­aire de voyage, le profil de grand voyageur ainsi que les renseignements relatifs aux cartes de crédit et au dossier médical. Les compa­gnies aériennes seront tenues de fournir l’information sur les passa­gers 72 heures avant le départ. Ce programme aura des conséquences affolantes dans la mesure où il permettra de suivre les déplacements des citoyens.

La surveillance ne s’effectuera pas uniquement par la voie des airs. En Colombie-Britannique, il est possible de se procurer un permis de conduire Plus (PC Plus) et, pour ceux qui ne conduisent pas, une carte d’identité Plus (CI Plus). Le Manitoba et le Québec ont également lancé leurs propres programmes de PC Plus et de CI Plus. L’Ontario et la Nouvelle-Écosse élaborent actuellement les leurs. Le permis de conduire Plus est muni d’une puce d’identification par radio-fréquence à longue portée, porteuse d’un numéro unique d’identification du titulaire. La carte d’identité Plus sert de substitut de passeport aux Canadiens qui se rendent aux États-Unis par voie terrestre ou maritime.

Selon le site web du gouvernement de l’Ontario, la carte-photo sera pratique pour « effectuer des transactions quotidiennes — comme ouvrir un compte en banque ». Malheureusement, un compromis doit être trouvé entre le droit à la vie privée et la liberté de circulation. L’information transmise par signaux radio peut être « lue » à distance et secrètement au moyen d’un lecteur d’IRF accessible sur le marché à un coût relativement peu élevé, ce qui soulève des craintes au sujet des vols d’identité et des mesures de contrôle et de surveillance qui portent atteinte à la vie privée. Le commissaire à la protection de la vie privée de l’Ontario a recommandé que soit utilisée une technologie de commutation qui permettrait d’éteindre la puce d’IRF et de la rallumer.

Alors, les craintes de perdre nos droits civils constituent-elles une réaction excessive aux efforts légitimes déployés par l’État pour protéger ses citoyens? L’ACPPU ne le croit pas. Le manque de débat public éclairé sur les risques que ces mesures de sécurité posent pour les libertés civiles nous a poussés à joindre la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles afin de suivre de près les questions de l’heure en matière de sécurité internationale.

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Clarification
En réponse à un article publié à la page A3 du Bulletin du mois dernier, le département de la sécurité intérieure des États-Unis (Depart­ment of Homeland Security) a informé l’ACPPU qu’en vertu
du programme Secure Flight l’agence américaine de sécurité dans les transports (Transportation Security Administration) recueillera les renseignements ci-après sur tous les Canadiens pour autoriser ou non leur embarquement sur des vols internationaux qui passent par l’espace aérien américain sans faire escale aux États-Unis : le nom intégral, la date de naissance, le sexe et les renseignements relatifs au passeport (si disponibles), mais non pas le profil de grand voya­geur, les renseignements relatifs aux cartes de crédit et au dossier médical, ou les données du Dossier du passager de cha­que personne. Ces autres renseignements seront recueillis par un autre organisme de la Sécurité intérieure — le bureau des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (Customs and Bor­der Protection).