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CAUT Bulletin Archives
1996-2016

October 2009

Le cabinet du ministre menace de ne pas accorder au CRSH les fonds prévus dans le budget fédéral

Texte du courriel envoyé le 5 juin au président du CRSH, Chad Gaffield, faisant état de la menace du cabinet du ministre d’État aux Sciences et à la Technologie, Gary Goodyear.
Texte du courriel envoyé le 5 juin au président du CRSH, Chad Gaffield, faisant état de la menace du cabinet du ministre d’État aux Sciences et à la Technologie, Gary Goodyear.
Le cabinet du ministre d’État aux Sciences, Gary Goodyear, a menacé de ne pas four­nir le financement prévu au budget fédéral pour le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) en raison de la décision de l’organisme de financer une conférence universitaire controversée, selon un courriel obtenu par l’ACPPU en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

L’ACPPU a d’abord appris au début juin que le ministre Goodyear avait téléphoné au président du CRSH, Chad Gaffield, pour de­mander que soit réexaminée la décision, pourtant avalisée par des pairs, de financer une conférence universitaire sur Israël et la Palestine qui devait se tenir du 22 au 24 juin à l’Université York.

À la suite de l’intervention du ministre, le CRSH a pris le parti d’exiger des organisateurs de la conférence qu’ils l’informent de tout changement apporté au programme depuis l’attribution de leur subvention — une demande qui contrevient à la politique d’octroi des subventions de l’organisme en vertu de laquelle tout changement doit être indiqué dans le rapport d’activités remis à la fin de la subvention.

Finalement, le CRSH a accordé la subvention prévue pour la conférence après avoir obtenu des organisateurs l’assurance que seules des modifications de détail avaient été appor­tées, mais là n’est pas le fond du problème, fait valoir le directeur général de l’ACPPU, James Turk.

« Cette situation tient de toute évidence au fait que le ministre n’approuvait pas le sujet de la conférence; c’est pourquoi nous avons jugé qu’il s’agissait, de la part du ministre, d’une intervention personnelle si grave que nous avons réclamé sa démission », a souligné M. Turk.

« Nous ne nous doutions pas alors que cet appel téléphonique était apparemment accompagné de la menace du cabinet du ministre de ne pas accorder la hausse de financement prévue dans le prochain budget fédéral. »

Portant la mention « Très urgent » et envoyé le 5 juin 2009 à M. Gaffield par le responsable des communications du CRSH, Trevor Lynn, le courriel dont l’ACPPU a obtenu copie décrit ce que ce dernier vient de se faire dire par le chef de ca­binet du ministre Goodyear, Phillip Welford : « Il(Welford) a dit qu’il s’agissait d’une affaire très sérieuse, si sérieuse en fait qu’elle pourrait empêcher le ministre de recommander une augmentation des fonds destinés au CRSH dans le prochain budget. »

De l’avis de M. Turk, ce courriel soulève de graves questions sur la façon dont sont prises les décisions concernant le financement accordé par le gouvernement fédéral aux conseils subventionnaires des éta-blissements d’enseignement.

« Il s’avère pour le ministre Goodyear que ces décisions peuvent être remises en question lorsqu’un organisme subventionnaire soutient un projet avec lequel le ministre se trouve en désaccord pour des raisons politiques, ce qui est inaccep­table au Canada et partout où la liberté académique est respectée », affirme-t-il.

À la suite de la diffusion publique du courriel, le CRSH a publié une déclaration affirmant que « le courriel contenant les commentaires du chef de cabinet est inexact ».

Le ministre a attiré l’attention sur la déclaration du CRSH lorsqu’il a été interrogé au sujet du courriel le 29 septembre dernier à la Chambre des communes. Alors que Marc Garneau, porte-parole de l’opposition libérale en matière de sciences et de technologie, remettait en question « les moyens de pression employés par un des collaborateurs du ministre à l’endroit d’un conseil de recherche universitaire indépendant », le ministre a rétor­qué que « le député sera heureux d’apprendre que le Conseil de re­cherches en sciences humaines a clairement indiqué que ce courriel était inexact ».

Contacté par le quotidien Le Devoir, le responsable des communications du CRSH a refusé d’expliquer en quoi les propos de M. Wel­ford rapportés dans le courriel étaient inexacts et pourquoi une telle erreur aurait été commise dans un courriel interne. Quand le journaliste lui a demandé s’il avait l’habitude de prêter au ministre de faux commentaires dans ses communications avec son supérieur au CRSH et pourquoi avoir suggéré à son patron, M. Gaffield, de communiquer directement avec M. Welford, si ce qu’il avait écrit était inexact, M. Lynn s’est excusé à plu­sieurs reprises de ne pouvoir rien dire d’autre.

« M. Lynn ne devrait pas porter le blâme pour une erreur commise par le ministre Goodyear », estime M. Turk. « Le ministre devrait, comme il lui appartient, fournir des explications au lieu de pointer un doigt accusateur sur qui que ce soit, mais aucune explication acceptable ne saurait légitimer ce qui s’est produit. »

« Il est temps que le premier ministre Stephen Harper témoigne de son respect pour la liberté acadé­mi­que au Canada en demandant au ministre Goodyear de démissionner. »

En septembre, l’ACPPU a demandé à Jon Thompson, profes­seur émérite à l’Université du Nouveau-Brunswick et sommité canadienne en matière de liberté aca­démique, de conduire une enquête indépendante sur la situation entourant la conférence tenue à l’Université York. Elle lui a transmis le courriel en question ainsi que des centaines d’autres pages de documents qu’elle a obtenus par suite de sa demande d’accès à l’information.

M. Thompson invite Industrie Canada, le CRSH, les dirigeants des établissements parrains de l’événement, les organisateurs et les participants de la conférence, les membres du corps professoral, les étudiants et toutes les autres parties intéressées à faire part de leurs opinions et observations sur toutes les questions de liberté académique liées à la conférence, sur le rôle des organismes subventionnaires fédé­raux et sur la responsabilité qui incombe aux membres des communautés académiques de proté­ger le débat de questions controversées au sein des universités et des collèges.

Le professeur Thompson devrait remettre son rapport d’ici la fin novembre.