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CAUT Bulletin Archives
1996-2016

January 2010

Une conférence scientifique sans grand résultat

Par PENNI STEWART
Une séance placée sous le thème « Qui est le porte-parole de la sci­ence? » résume parfaitement l’es­sence de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes qui a eu lieu à Toronto en octobre 2009. J’étais au nombre des quel­que 300 participants qui ont écouté les conférenciers invités de haut calibre parler des politiques scientifi­ques au Canada. Un compte rendu des discussions qui s’y sont tenues est présenté à l’adresse sciencepolicy.ca/fr.

Lors de la session plénière d’ouverture intitulée « Les stratégies ca­nadiennes pour les sciences et la technologie », la principale de l’Université McGill, Heather Munroe-Blum, a abordé directement le déficit de productivité du Canada, l’une des questions centrales qui a traversé toute la conférence.

Elle a fait valoir qu’en dépit de ce déficit, le Canada est bel et bien en position de réussir sur la scène internationale si nous parvenons à rapprocher le gouvernement, les entreprises et les universités. Cependant, la pratique actuelle qui est d’octroyer des fonds de recherche en fonction de la qualité d’un projet évaluée par les pairs nous oblige à nous disputer le « meilleur qui soit ».

Alain Beaudet, le président des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), a lui aussi parlé de la quête de l’excellence. Bien que le Canada se compare favorablement aux autres pays membres de l’OCDE dans le domaine de la recherche en santé, a-t-il observé, nous ne réussissons pas à décrocher des prix Nobel et nous décernons trop peu de doctorats. À l’instar de Mme Munroe-Blum, il met en garde contre la dispersion des investis­sements — mesure par suite de laquelle les IRSC ont dû réviser leur processus d’évaluation par les pairs pour faire en sorte que les concours soient concurrentiels à l’échelle internationale. Le Dr Beaudet a été l’un des rares conférenciers à demander que l’accent soit mis sur la science fondamentale, car, selon lui, « tout le reste en résulte ».

Un second élément de consensus est ressorti d’une séance plénière sur l’économie canadienne : les dépenses en recherche devraient être axées sur l’« innovation ». Les conférenciers invités ont semblé considérer l’innovation comme une démarche synonyme de l’adaptation de la science aux besoins de l’économie — voire aux intérêts particuliers aux entreprises, ou de ce qui est souvent appelé la « commercialisation ». Chad Gaffield, le président du Conseil de recherches en sciences humaines, a souligné le rôle important de la stratégie d’innovation dans le processus d’éla­boration des politiques.

Suzanne Fortier, la présidente du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG), a ensuite déclaré que, sur le plan de l’innovation, la capacité du système canadien était bloquée au ralenti. Elle a fait savoir que le CRSNG allait bientôt présenter un modèle devant permettre de « transformer le paysage de l’innovation » par la création de partenariats avec le secteur privé. Elle a souligné à quel point il est important de livrer les produits de recherche dans les délais impartis et de trouver des moyens d’accélérer le lancement des résultats de recherche sur le marché.

Peter Nicholson, le président du Conseil des académies canadiennes, a pour sa part insisté sur la nécessité de stimuler davantage l’innovation des entreprises pour que le Canada évolue vers une économie de la connaissance. La productivité du Canada accuse un retard à cause de la faiblesse de ses entreprises en matière d’innovation, a-t-il affirmé. Jusqu’ici, les entreprises canadiennes ont été relativement peu motivées à innover parce qu’elles ont pu demeurer rentables en dépit de leur manque d’investissements dans la recherche et le développement — un débat sur les succursales de fa­brication et la dépendance à l’égard des entreprises d’exploitation qui remonte au nationalisme écono­mi­que des années 1960. Les politi­ques scientifiques devraient, selon M. Nicholson, privilégier la nouvelle génération de dirigeants et mettre l’accent sur le financement des entreprises en démarrage à partir de recherches dont le potentiel commercial est prometteur.

La conférence a été marquée par un moment très fort lorsque les participants ont ovationné le fondateur du Parti réformiste Preston Manning, qui était l’un des conférenciers d’honneur. M. Manning est souvent sollicité en sa qualité d’orateur sur les questions de science et de technologie. Pour que la science acquière davantage de vi­sibilité au niveau fédéral, a-t-il fait valoir, il faut que le Parlement compte davantage de « personnes ouvertes à la science », ce qui implique d’encourager les scientifiques à se porter candidats à des charges publiques. (Il a parlé à ce sujet du Manning Centre for Building Democracy, l’institut qu’il a fondé pour aider les scientifiques à mener une vie politiquement active.) M. Manning a appelé les scientifiques à remédier à l’absence de communication entre les décideurs fédéraux et les professionnels scientifiques. Il a recommandé l’établissement d’un bureau parlementaire des sciences et de la technologie et a souligné le besoin de convaincre le milieu des affaires d’investir encore plus dans la recherche et le développement. Afin de promouvoir la R-D dans le secteur des entreprises, il a recommandé la création au sein du secteur privé d’un groupe de réflexion sur les politiques scientifiques — à l’exemple de son projet de centre d’innovation et de technologie (prenez ça en note, Roger Martin!).

Mais la conférence, malgré le cadre de politique scientifique autour duquel elle a été organisée, s’est néanmoins révélée décevante pour l’ACPPU. Rien n’a été dit ni même évoqué sur le problème persistant du sous-financement de la science, de la recherche et des infrastructures. Et c’est à peine si la substance des politiques scientifiques a été abordée. Les préoccupa­tions ont porté avant tout sur les moyens possibles d’encourager les investissements privés en recherche et en développement et de favoriser la collaboration entre la communauté scientifique et le milieu des affaires. Mais les solutions concrètes se sont faites rares.

Malgré les compressions de 148 millions de dollars sur les trois prochaines années qui ont été opérées dans les budgets des conseils subventionnaires, les présidents de ces organismes semblent soutenir l’effort fait par le gouvernement pour renforcer les liens entre les affaires et la science, à preuve la nouvelle Stratégie en matière de partenariats et d’innovation du CRSNG, qui appuie le financement de projets de recherche destinés à résoudre des problèmes propres aux entreprises.

L’ACPPU s’oppose depuis longtemps à la pratique de ciblage des fonds de plus en plus répandue vers des secteurs qui répondent aux priorités à court terme du gouvernement; d’ailleurs, les délégués présents à l’assemblée du conseil de l’ACPPU en novembre dernier ont adopté unanimement une résolution contre la nouvelle stratégie et les programmes du gouvernement.

Ce qui me ramène à la question fondamentale : Qui représente les intérêts de la science? Les associations professionnelles, qui assumaient directement ce rôle à une époque, se sont vu supplanter ces dernières années par les organismes subventionnaires, qui, fidèles à leur réputation, sélectionnent les meilleurs projets de recherche suivant le processus d’examen par les pairs. Bien entendu, une telle approche avantage, au détriment des sciences humaines et sociales, les domaines à forte intensité capitalistique et, de façon plus générale, les sciences, le génie et la médecine, dotés de bases de financement beaucoup plus importantes.

Un changement plus insidieux s’est toutefois produit avec la représentation accrue des entreprises au sein des conseils d’établissement des politiques — changement qui, amorcé à la fin des années 1990, s’est largement accéléré sous l’impulsion du gouvernement actuel.

Robert Mann, le président de l’Association canadienne des phy­si­ciens et physiciennes, soutient que son organisme et les autres sociétés scientifiques sont en mesure de représenter les scientifiques. Cependant, leur dépendance financière des cotisations de leurs membres au sein d’un pays relativement peu peuplé limite sérieusement leur capacité à promouvoir avec efficacité les intérêts en jeu. Et puis ces associations ne sont pas de taille face aux organisations professionnelles de relations publiques du gouver­nement, des organismes subventionnaires et d’autres secteurs.

L’ACPPU travaille activement et fait pression pour obtenir un engagement financier plus ferme et des actions stratégiques cohé­rentes. Il nous faut persister dans cette voie.