L'éducation postsecondaire est une force motrice des économies nationales, selon la professeure Susan Robertson de l’université britannique de Bristol qui était l’oratrice principale de la conférence sur la reddition de comptes et la qualité dans les études postsecondaires, organisée en janvier dernier à Toronto par la Fondation Harry-Crowe.
En 2008, les étudiants étrangers ont dépensé plus de 6,5 milliards de dollars en frais de scolarité et autres au Canada — un chiffre supérieur à celui de nos exportations de bois d’oeuvre résineux et de charbon. La contribution de la clientèle étudiante étrangère au secteur canadien de l’éducation a également généré 83 000 emplois à l’échelle du pays. L’apport important de ces étudiants à l’économie canadienne est un phénomène relativement récent. Entre 1998 et 2005, le nombre d’étudiants étrangers à plein temps au Canada a presque doublé, passant de 78 256 à 152 762, et les rentrées de fonds provenant de ces étudiants ont grimpé de 1,7 à 3,8 milliards de dollars.
Face au marché émergent de l’éducation supérieure internatio-nale estimé à plusieurs milliards de dollars, les nations se livrent une concurrence féroce pour exporter leurs services d’éducation. Mme Robertson souligne d’ailleurs la tendance actuelle à substituer le commerce à l’aide, au moment où les pays rivalisent entre eux pour établir des succursales, accroître leurs ventes de services et attirer un plus grand nombre d’étudiants. Une même disposition d’esprit incite nos gouvernements fédéral et provinciaux à encourager les universités à se disputer les fonds de recherche, les chercheurs-boursiers et les ressources dans une course à l’obtention d’un statut international.
L’expansion du marché de l’éducation internationale suscite de nouvelles exigences en matière de reddition de comptes et de contrôle de la qualité. Dès lors se pose un problème clé : comment comparer les diplômes ou les grades avec ceux des autres pays? En Europe, 46 États sont actuellement engagés dans le processus de Bologne qui vise à mettre en place un espace européen de l’enseignement supérieur. Sous l’égide de l’OCDE et de la Banque mondiale, cette réforme a pour objet d’établir un système commun de normes et de pratiques qui favorisent la compatibilité et la comparaison entre les systèmes d’enseignement supérieur des pays membres de l’OCDE, notamment l’Évaluation des résultats de l’enseignement supérieur.
En janvier, les États-Unis ont accepté de participer avec cinq autres pays à une étude de faisabilité pour mettre au point des instruments communs d’évaluation des « compétences génériques » et définir des cadres de référence spécifiques à l’ingénierie et à l’économie.
La nouvelle idéologie du marché et ses principes d’efficacité, de concurrence et de productivité pèsent également sur les évaluations de la qualité entre les différents établissements d’enseignement. Le personnel académique a toujours joué un rôle central et autonome sur le
plan de la qualité de l’enseignement et de la recherche, mais, à mesure que l’éducation postsecondaire s’oriente de plus en plus vers le marché, les mesures traditionnelles de la qualité sont menacées.
Désireux de mettre au point des moyens de comparaison, les gouvernements réclament de plus en plus des normes et des mesures communes quantifiées. Les mesures traditionnelles, comme les ratios professeur-étudiants, le fond documentaire, les publications de recherche et les citations et références, sont délaissées en faveur des « résultats d’apprentissage », comme la participation des étudiants, l’amélioration des compétences, les taux de rétention et la réussite professionnelle. L’« engagement » est mesuré au moyen d’enquêtes telles que « Nessie » ou le National Survey of Student Engagement (l’enquête nationale américaine sur la participation étudiante).
Le personnel académique a un rôle fondamental à jouer dans le contexte de la reddition de comptes et de l’évaluation. De façon géné-rale, la qualité d’érudition est un critère soumis au processus d’éva-luation par les pairs dans les cas d’embauche, d’octroi de permanence et de promotion et aux fins des demandes de financement de recherche et de publication. Le processus de permanence et d’avancement tout particulièrement se révèle être très long et rigoureux, si ce n’est peu compris à l’extérieur du milieu universitaire.
À la conférence de Toronto, le professeur Thomas Docherty de l’université britannique de Warwick a fait observer que le danger avec l’examen par les pairs, ce sont les pressions sans fin exercées pour rehausser les normes. Et ces pressions proviennent trop souvent de pairs qui, impatients de « suivre le courant des normes », finissent par devenir leurs propres bourreaux. Ce qui a pour résultat d’affaiblir la culture académique.
Poursuivant sur le même thème, Gary Rhoades, professeur d’enseignement supérieur à l’université de l’Arizona et secrétaire général de l’American Association of University Professors, a fait valoir que le personnel académique est profondément empêtré dans les pratiques d’évaluation, et il a engagé les délégués présents à la conférence à faire preuve d’esprit critique.
Nous devrions, selon lui, aborder un certain nombre de questions cruciales, entre autres : Le processus d’attribution de la permanence restreint-il la liberté académique? Nos établissements soutiennent-ils la liberté d’expression ou existe-t-il un climat de représailles? Quel rôle
le personnel académique joue-t-il dans l’instauration et le maintien d’institutions qui perpétuent l’inégalité entre les races, les classes et les sexes? M. Rhoades nous a pressés de trouver une façon par laquelle l’évaluation pourrait promouvoir la liberté académique et nous a rappelé qu’une éducation de qualité est tributaire de l’engagement des établissements à assurer de bonnes conditions de travail.
La conférence a fourni une illustration involontaire des périls de l’« obligation de rendre des comptes ». Deux professeurs agrégés d’universités mexicaines invités à titre d’orateurs ont refusé d’assister à la conférence à cause des nouvelles exigences astreignantes imposées par le Canada à l’obtention de visas pour les visiteurs. Le bureau des visas exige non seulement une attestation d’emploi, comme c’est la pratique depuis de nombreuses années, mais aussi une preuve d’actifs au Mexique, des documents bancaires originaux décrivant l’historique des transactions faites, un compte rendu des voyages faits depuis l’âge de 18 ans et la liste de tous les emplois occupés depuis ce même âge, avec les noms et adresses des employeurs.