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CAUT Bulletin Archives
1996-2016

December 2010

La pilule empoisonnée du projet de loi C-32

Par Penni Stewart
La dernière mouture du projet de loi conservateur sur le droit d’auteur constitue certes une avancée considérable sans précédent dans ce domaine, mais le projet dans sa forme actuelle renferme certaines dispositions qui engendreront des conséquences négatives graves pour un grand nombre de Canadiens. La Loi sur la modernisation du droit d’auteur (projet de loi C-32) soulève pour l’ensemble du personnel académique d’importantes questions autour desquelles nous devons nous mobiliser de toute urgence.

Il y va du droit d’échanger libre­ment de l’information pour la recherche du savoir. Après avoir franchi la deuxième lecture à la Chambre, le projet de loi a été envoyé en comité où des amendements seront débattus.

La loi sur le droit d’auteur devrait assurer un juste équilibre qui permet à la fois d’indemniser les créateurs pour l’utilisation de leurs œuvres et d’accorder aux utilisateurs un accès raisonnable aux œuvres des autres. L’ACPPU est d’avis que cette loi devrait conférer aux utilisateurs un droit général d’accès aux œuvres protégées par le droit d’auteur sans avoir à obtenir l’auto­risation explicite du créateur ou du titulaire de droit, lorsqu’il est équi­table d’agir ainsi; elle devrait uniquement exiger des fournisseurs de services Internet (FSI) qu’ils transmettent à leurs abonnés un avis de violation présumée du droit d’auteur (le régime d’« avis et avis »), et elle devrait restreindre les dommages-intérêts en cas de violation.

Le projet de loi de réforme C-32, bien que présentant des lacunes, renferme des éléments utiles. Il apporte en effet une modification toute importante pour le personnel académique en étendant les caté­gories d’« utilisation équitable » (le droit de reproduire une œuvre sans obtenir l’autorisation explicite de son titulaire ni le dédommager) de sorte à inclure l’« éducation ». Si la loi actuelle autorise l’utilisation équitable à des fins de « recherche » et d’« étude privée », la notion élargie proposée permettrait clairement de reproduire du matériel à des fins éducatives.

Une telle amélioration assurerait au personnel académique un accès beaucoup plus large aux connaissances existantes, ce qui tombe sous la logique étant donné les circons­tances très diverses, dont l’enseignement et la recherche, dans lesquelles nous utilisons au quotidien du matériel protégé par le droit d’auteur. Cet aspect est d’autant plus important au regard des difficultés susceptibles de survenir dans bien des cas pour obtenir la permission de reproduire le matériel, sans compter le coût qui en serait rattaché.

L’interprétation élargie de l’uti­lisation équitable clarifie les droits des utilisateurs dans les milieux académiques, mais cela ne veut pas dire que les créateurs et les titulaires de droits ne seront plus indemnisés, car ils continueront de bénéficier de la vente de leurs ouvrages et des autres supports de diffusion. Il n’y pas lieu de croire que le projet de loi aura une incidence sur les quelque 1,5 milliard de dollars que dépensent les enseignants et les étudiants pour l’acquisition d’œuvres protégées par le droit d’auteur.

En plus des propositions sur l’utilisation équitable, le projet de loi C-32 contient d’autres dispositions utiles. Il instaure, comme le préconise l’ACPPU, un régime d’« avis et avis » en vertu duquel la responsabilité des FSI à l’égard du maté­riel enfreignant le droit d’auteur qui circule sur leurs réseaux se limiterait à faire suivre à l’abonné concerné l’avis du titulaire allé­guant la violation de son droit d’auteur. Les FSI ne seraient pas tenus de bloquer l’accès au matériel en cause comme le réclament certains défen­seurs du droit d’auteur.

Le projet de loi restreint le recours aux dommages-intérêts accordés dans les cas de violation. Les dommages-intérêts ne reflètent pas le préjudice réellement subi, et pourtant leurs montants sont préétablis dans la loi. Le projet de loi propose d’abaisser à 5 000 $ le plafond des dommages-intérêts imposés pour les infractions commises à des fins non commerciales, une réduction considérable par rapport au seuil de 20 000 $ prévu dans la loi actuelle.

Mais le projet de loi C-32 contient une pilule empoisonnée : la protec­tion incontournable des serrures numériques (des mesures techni­ques intégrées aux œuvres numériques pour empêcher leur reproduction non autorisée et surveiller l’usage qui en est fait). Bien que les serrures numériques puissent contribuer à enrayer les tentatives de piratage, elles empêchent également les utilisateurs d’exercer leurs droits légaux. Par exemple, après avoir acheté un livre numérique, un professeur ne pourrait ni reproduire une image du livre sur une dia­po­sitive d’une présentation PowerPoint qu’il entend projeter devant ses étudiants, ni faire une copie du livre sur son ordinateur.

Le projet de loi ne permet pas aux utilisateurs, sauf dans quel­ques rares exceptions, de contourner les serrures numériques, et il interdit la distribution, la production ou la vente de tous les disp­o­sitifs, tels des logiciels, conçus pour dé­verrouiller les serrures numéri­ques. Si ces dispositions devaient être conservées dans la version finale du projet de loi, elles porte­raient sérieusement atteinte aux progrès accomplis en matière d’utilisation équitable, car chaque fois qu’une serrure numéri­que est installée sur une œuvre, tous les droits des utilisateurs, y compris le droit à l’uti­lisation quitable, n’ont plus leur raison d’être.

Bien que la position de l’ACPPU en faveur d’une conception élargie de l’utilisation équitable recueille un vaste appui de la part d’organismes alliés, dont la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants et l’Association canadienne des bibliothèques, il demeure que l’industrie de l’édition et d’autres groupes continuent de mener leur campagne de lobbying et de publicité pour dénoncer divers aspects du projet de loi. Malheureusement, nous n’avons ni les moyens finan­ciers des maisons d’édition, ni la capacité de lancer des campagnes de relations publiques coûteuses et de grande envergure.

Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas être indifférents à la réforme du droit d’auteur. Nous devons faire en sorte que notre message soit entendu par nos respon-sables politiques. Il est crucial que les associations de personnel aca­démique montrent la voie en mobilisant et en informant leurs membres et le milieu académique en général. Il y a peut-être lieu maintenant d’organiser un forum ou de tenir des discussions sur le projet de loi. L’ACPPU continuera de son côté à défendre les intérêts du personnel académique à ce chapitre.

À tout le moins, je vous invite à écrire aux députés de vos circonscriptions pour leur faire savoir que le droit d’auteur est une question importante pour vous et que vous appuyez le projet de loi, à l’exception des dispositions qui touchent les serrures numériques.

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