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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

octobre 1996

La réalité comparée aux beaux discours

Par Keith Kelly
Alors que nous nous préparerons à des élections fédérales au cours des douze prochains mois, il est donc à propos de passer en revue les promesses du parti Libéral par le biais de ce bilan du gouvernement.

Pour entamer cet exercice, quoi de mieux que le Livre rouge qui énonce les intentions d'un gouvernement libéral à l'égard des arts et des industries culturelles. Voici ce que l'on peut y lire au chapitre de la culture :

«La culture est l'essence même de l'identité nationale, elle est à la base de la souveraineté et de la fierté de notre pays. À l'heure de la mondialisation des échanges et de l'explosion des technologies de l'information, les frontières entre les pays s'estompent. Le Canada doit plus que jamais favoriser son développement culturel.»

Radio-Canada, le Conseil des arts et les institutions culturelles nationales

«L'amputation des budgets de Radio-Canada, du Conseil des arts du Canada, de l'Office national du film, de Téléfilm Canada et d'autres institutions montre bien que les conservateurs méconnaissent l'importance du développement culturel. (...) Enfin, nous doterons les institutions culturelles nationales comme le Conseil des arts du Canada et Radio-Canada d'un budget pluriannuel stable. Nos institutions culturelles nationales pourront ainsi mieux planifier leurs activités.»

Dès son premier discours du budget, le gouvernement libéral a entrepris d'effectuer des compressions constantes et n'a eu de cesse depuis. Le fameux budget pluriannuel stable de Radio-Canada s'est envolé en fumée en moins de six mois. Toutes les institutions culturelles nationales ont subi des coupes de 10 p. 100 en moyenne par année et ont consacré beaucoup de temps et d'énergie à composer avec ces compressions en réduisant le personnel, en rationalisant les activités de fonctionnement et en restructurant des activités et des programmes. Les libéraux livrent un bilan navrant quant à leur promesse d'un budget pluriannuel stable.

En plus de réduire le soutien direct aux arts, le gouvernement a décidé de proscrire les commandites des événements culturels et sportifs par les compagnies de tabac. Cette décision aggrave le financement d'événements et d'activités dans tous les coins du pays en compromettant une aide de quelque 60 millions de dollars ainsi que le soutien promotionnel et en espèces d'activités culturelles.

Les industries culturelles

«Un gouvernement libéral favorisera la production, la commercialisation et la distribution pour encourager la diffusion des livres, films et enregistrements sonores canadiens sur le marché national.»

La première incursion du gouvernement dans le secteur du livre a été la cession malavisée de Ginn à Paramount, pour respecter la promesse verbale d'un ministre du gouvernement précédent. Le gouvernement libéral a réduit considérablement son soutien financier aux éditeurs de livres canadiens. Des maisons d'édition comme la Coach House ont ainsi frôlé la disparition. De nombreux éditeurs et libraires estiment que l'harmonisation de la TPS est une autre mesure visant à décourager les gens d'acheter des livres canadiens. Les libéraux ont toutefois décidé de protéger les éditeurs de livres en vertu de dispositions parallèles sur l'importation prévues dans le projet de loi C-32 révisant la loi sur le droit d'auteur et actuellement devant le parlement.

Les libéraux n'ont rien fait de plus pour améliorer la commercialisation, la distribution et la diffusion de films et d'enregistrements sonores. Il y a fort à parier que cette inaction est liée à l'exemption culturelle et à la clause nonobstant de l'ALÉNA que les Libéraux ont promis de renégocier en prenant le pouvoir. Au début de leur mandat, les libéraux ont ratifié l'ALÉNA sans que cet aspect problématique de l'accord soit révisé.

«Nous étudierons la possibilité d'aménager des crédits d'impôt à l'investissement pour stimuler la production de ces oeuvres. Nous prendrons des mesures pour encourager la diffusion des oeuvres canadiennes à l'étranger.»

Les libéraux ont mis de l'avant un nouveau crédit d'impôt relatif à l'industrie cinématographique après que la déduction pour amortissement, à la suite de modifications, a perdu de son efficacité en tant que mesure encourageant les investissements. L'idée d'étendre ce crédit d'impôt aux éditeurs et aux producteurs d'enregistrements sonores n'a pas progressé.

La culture et la politique étrangère

Les libéraux ont également fait la promotion de la culture et des valeurs canadiennes en les considérant comme le troisième pilier de la politique étrangère canadienne. On n'a toutefois engagé aucune ressource humaine ou financière supplémentaire pour justifier cette déclaration. Au contraire, les budgets des affaires étrangères pour la culture et l'éducation ont été réduits. Dans l'ensemble, la performance du gouvernement n'est pas impressionnante à ce chapitre.

Le traitement fiscal des artistes

«Nous étudierons des mécanismes d'étalement des revenus en faveur des artistes canadiens dans le cadre de la loi de l'impôt sur le revenu.»

Malgré de nombreuses demandes faites au ministre des Finances, au Comité permanent des finances et à d'autres hauts fonctionnaires fédéraux, le dossier n'a pas beaucoup avancé. De fait, le ministère du Revenu a embauché plus de vérificateurs pour examiner les déclarations d'impôt de travailleurs indépendants canadiens. Les artistes ont donc éprouvé maintes difficultés parce qu'ils avaient affaire à des bureaucrates ne nourrissant pour eux aucune sympathie et ne connaissant rien à la réalité de la profession artistique ou aux dispositions fiscales mises en oeuvre pour assurer aux artistes et aux arts un traitement fiscal juste.

Par ailleurs, le gouvernement libéral a réalisé plusieurs initiatives absentes du livre rouge. Il y a ainsi eu la promulgation de la Loi sur le statut des artistes, la création du Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs, le dépôt de la partie II de la loi sur le droit d'auteur, une loi interdisant les revues à tirage équifractionné sur le marché canadien.

L'adoption de la loi créant le ministère du Patrimoine est peut-être l'aspect le moins constructif du bilan du gouvernement libéral. Ce ministère est un fourre-tout pour un grand nombre d'activités n'ayant aucun rapport entre elles, comme les sites historiques et les canaux, la condition physique et le sport amateur, les parcs, les industries culturelles, le cérémonial d'État et le protocole, les arts et le patrimoine. Le gouvernement a créé un ministère si lourd et si imposant qu'il met à l'épreuve l'aptitude d'un ministre à le gérer adroitement. À l'époque, on a laissé entendre que le parlement étudiait la loi pour faire un ministère mettant davantage l'accent sur l'aspect culturel. La loi a plutôt été adoptée avec peu de modifications. Ce mégaministère a réussi à marginaliser les arts et les industries culturelles à l'intérieur même de ses murs et au sein de l'appareil gouvernemental.

Le gouvernement libéral a déçu beaucoup de membres du milieu artistique qui espérait que la promesse d'une attention plus sensible et plus active dans ce secteur serait l'apanage du nouveau gouvernement. Ce dernier s'est plutôt contenté de poursuivre le travail de son prédécesseur, suscitant du coup énormément d'incertitude sur ses engagements envers la collectivité artistique du Canada.

(Keith Kelly est directeur national de la Conférence canadienne des arts.)