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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

mars 2016

La fiabilité mise à mal des sondages d’opinion des étudiants

[iStock.com / WaveBreakMedia]
[iStock.com / WaveBreakMedia]
Les évaluations des enseignants par les étudiants ne devraient jamais être considérées ni décrites comme des mesures de la qualité de l’enseignement.

Les sondages d’opinion des étudiants et leur utilisation sont depuis des années fortement contestés dans le secteur académique. Et voilà que de nouvelles recherches démontrent de plus en plus clairement que ces sondages sont biaisés et discriminatoires.

Il y a tout lieu de s’inquiéter de la partialité des étudiants, affirme Anne Boring, chercheuse postdoctorante en science économique à l’Institut d’études politiques de Paris. Cette dernière vient de publier, avec des collègues de l’Université de Californie à Berkeley, une nouvelle étude analysant comment les étudiants évaluent leurs enseignants.

« Ces évaluations mesurent beaucoup plus que la seule qualité de l’enseignement », explique Mme Boring. « Tout particulièrement, les notes attribuées par les étudiants sont biaisées en fonction du sexe de l’enseignant. Les femmes reçoivent de moins bonnes évaluations, alors que rien n’indique qu’elles sont de moins bonnes enseignantes. »

De plus, les notes que donnent les étudiants, ajoute-t-elle, sont fortement et positivement corrélées avec les notes de contrôle continu. « Ces évaluations favoriseraient ainsi une sorte d’échange de bons procédés entre étudiants et enseignants où chacun donne de bonnes notes à l’autre. »

Pour en arriver à leurs conclusions, les chercheurs français et américains ont étudié deux séries de données. La première comportait 23 001 évaluations de 379 enseignants remplies par 4 423 étudiants inscrits à six cours obligatoires de première année dans une université de France. La seconde constituait une étude contrôlée aléatoire de 43 évaluations portant sur quatre segments d’un cours offert en ligne par une université américaine.

La démarche suivie par les chercheurs a permis de dégager les conclusions suivantes : les évaluations défavorisent systématiquement les femmes; ce biais est fort, même pour les éléments d’évaluation les plus objectifs, comme le degré de satisfaction vis-à-vis de la rapidité avec laquelle les travaux sont corrigés et rendus; les biais varient d’une discipline à l’autre et selon le sexe des étudiants; il n’est pas possible de compenser pour ce biais; les évaluations sont plus influencées par le sexe de l’étudiant et par ses attentes sur la note finale que par la qualité de l’enseignement reçu; le biais peut être si prononcé que les enseignants plus performants peuvent obtenir une note plus basse que des enseignants moins performants.

Les biais ne sont cependant pas limités au seul sexe de l’enseignant. Selon une analyse du National Student Survey publiée en janvier au Royaume-Uni, les universitaires appartenant aux minorités ethni­ques font face eux aussi à la discrimination dans les sondages. Les étudiants de premier cycle attribuent systématiquement des notes plus basses aux universitaires noirs ou de minorités ethniques qu’à leurs collègues blancs. Des chercheurs de l’Université de Reading soutiennent que ce biais serait « inconscient » de la part des étudiants.

« Les évaluations des enseignants par les étudiants ne devraient jamais être considérées ni décrites comme des mesures de la qualité de l’enseignement », souligne le directeur général de l’ACPPU, David Robinson.

En 2014, un comité de l’American Association of University Professors (AAPU) a sondé près de 9 000 membres du personnel académique afin d’évaluer l’efficacité des évaluations par les étudiants. Il ressort de cette étude publiée l’an dernier que ces évaluations ne devraient constituer qu’un outil de rétroaction parmi l’éventail d’autres utilisés par les universités. Il serait judicieux de recourir à des moyens plus efficaces d’évaluer et d’améliorer l’enseignement, tels que des visites de la classe par des pairs, une mise à niveau constante du plan de cours ou des programmes de développement continu.

Mais les sondages d’opinion des étudiants ont toujours la cote, et de plus en plus d’universités et de collèges migrent vers les versions électroniques pour remplacer les formulaires distribués en classe. L’Université Simon-Fraser, par exemple, a annoncé en juin dernier la mise en place d’un projet pilote dans le but de migrer complètement vers des évaluations en ligne. Certains critiques craignent que les questionnaires électroniques ne fassent qu’aggraver les problèmes. Selon l’étude de l’AAPU, le taux de retour des évaluations en ligne oscille entre 20 et 40 %, contre 80 % pour les évaluations en version papier.

Mme Boring est d’avis qu’il faudrait éliminer les sondages d’opinion des étudiants parce qu’ils sont biaisés et peuvent avoir un impact négatif sur la carrière des enseignants. Pour elle, les critères quantitatifs posent particulièrement problème : la « note » que reçoit un enseignant n’est pas (ou est trop peu) liée à la qualité de son enseignement.

Et cela vaut encore davantage pour les universités et les collèges qui mettent l’accent sur les postes à composante prédominante en enseignement. « Plus les univer­sités décident de créer des postes de cette catégorie, moins elles devraient se servir des évaluations (des étudiants) pour décider de la reconduction ou non des mem­bres de leur personnel », fait valoir Mme Boring. « Si les postes d’enseignants ne dépendent plus que de leurs évaluations, alors les professeurs feront tout pour obtenir de bonnes évaluations. »