La rentrée dans les universités, les collèges et les écoles du pays s'accompagne chaque année d'un déluge d'articles d'opinion et d'enseignements pontifiants sur tout ce qui touche à l'éducation. Durant la dernière semaine d'août, le Globe and Mail a ressorti les éternelles rengaines sur la hausse des frais de scolarité et la formule de remboursement des prêts d'études fondé sur le revenu. Les malheureuses victimes de formules semblables en Nouvelle-Zélande et en Australie se voient forcées de rembourser l'équivalent de 10 p. 100 de leur revenu (en Nouvelle-Zélande, après le seuil de 13 000 $) et pendant une grande partie de leur vie active.
Pendant ce temps, au Canada, chaque province participe à des projets visant à imposer des indicateurs de rendement dans les collèges et les universités. D'ici la mi- septembre, comme ce fut le cas en septembre dernier, de nombreux rédacteurs porteront aux nues les taux de diplomation, la valeur de l'évaluation de l'enseignement faite par les étudiants et l'employeur (suivie d'enquêtes auprès des diplômés après leurs études) et, bien entendu, le coût unitaire de tout ce qui est dispensé, de l'enseignement du latin à la dissection des vers de terre. Le tout vise à stimuler la concurrence entre les universités et les collèges sur ces questions et sur d'autres dans le but de renouveler leur efficacité et d'améliorer la "qualité".
Les rédacteurs de nos journaux ne sont pas les seuls à faire des pressions. Après vingt ans de lutte acharnée, nous perdons du terrain quant au financement public de l'enseignement postsecondaire. Alors que les crédits diminuent, les universités sont tenues de se soumettre aux forces du marché où le client contrôle davantage et où s'amenuise l'engagement envers les intérêts de la collectivité et de la population en général.
Selon le proverbe "qui paie les violons choisit la musique", on pourrait espérer que le gouvernement cesse de contrôler les universités. Après tout, le gouvernement desserre de moins en moins les cordons de sa bourse. La notion du client qui contrôle sous-entend certainement un retrait du gouvernement de la gestion des universités.
Pourtant, le Manitoba montre l'exemple d'un gouvernement qui cherche à atteindre de nouveaux paliers de microgestion des affaires universitaires. En Alberta, la manie d'évaluer existe déjà depuis plusieurs années et commence maintenant à avoir du mordant alors que les indicateurs de rendement servent à déterminer le niveau de financement des universités et des collèges.
Ces tendances laissent supposer que nous perdons du terrain face à une pensée de plus en plus conservatrice en ce qui concerne les finances et la fonction de toutes les institutions publiques en général et des établissements d'enseignement en particulier. Dans les années 1980, nous descendions dans les rues pour lutter. L'expérience de la Colombie-Britannique en 1983 a montré que cette façon de faire pouvait rapidement porter fruit pour endiguer le flot, mais non l'inverse. Au tournant des années 1990, nous avons intensifié nos activités de lobbying. Je frémis à la pensée de ce qui aurait pu arriver aux crédits budgétaires des conseils subventionnaires n'eut été du lobbying de nos associés de la Coalition pour l'enseignement postsecondaire et de l'ACPPU.
Malgré tous ces efforts, les rédacteurs de la presse et nos gouvernements continuent de croire que le marché, les indicateurs de rendement et la concurrence rehausseront la qualité. Ils parlent rarement de l'accessibilité et de la transparence. Ils n'ont pas besoin de le faire puisque les vents idéologiques soufflent dans une autre direction. Peu de personnes, dans la vie publique, invoquent la possibilité d'une hausse d'impôt pour l'éducation, ou osent l'invoquer, même si les sondages d'opinion révèlent immanquablement que les Canadiens sont prêts à payer en retour d'écoles et d'universités accessibles et de qualité.
De toute évidence, nous avons besoin d'une nouvelle stratégie, non pas pour remplacer les anciennes mais pour les enrichir. Comment pouvons-nous chasser les idées néo-conservatrices? Est-ce qu'il existe des idées et des valeurs qui caractérisent les universités canadiennes selon ce qu'elles pourraient être et devraient être? Quelles stratégies pourrions-nous adopter pour communiquer efficacement ces idées et valeurs aux Canadiens et à leurs gouvernements?
Dans un autre éditorial, je proposerai des fa‡ons de placer au coeur du discours national des idées et des valeurs, dont certaines sont le prolongement d'anciennes -- et je n'hésite aucun instant à dire qu'une grande partie de ce que nous avons accompli est précieux -- et d'autres qui sont nouvelles et risquées.
Les sujets ne manquent pas pour intéresser les Canadiens qui s'inquiètent de leur société. Il est temps que nous cessions de nous limiter à la simple défense de ce que nous, les universitaires, faisons. Il est temps de passer à l'attaque. C'est le bon moment.