Depuis plus de cent ans, les universités canadiennes sont engagées dans la recherche fondamentale et appliquée. Cet engagement s'est d'abord manifesté en médecine, en sciences naturelles, en génie et en agriculture. Le Conseil national de recherches du Canada a commencé à subventionner la recherche universitaire vers la fin de la Première Guerre mondiale. Après la Seconde Guerre mondiale, la recherche universitaire a pris de l'ampleur. L'effort de guerre a permis à la science d'être reconnue par le gouvernement fédéral qui s'est rendu compte que l'économie de l'après-guerre reposerait énormément sur la recherche et le développement. Il est également devenu évident qu'il faudrait augmenter par le fait même les connaissances sur la société canadienne, sur ses réussites et ses faiblesses.
Les années de l'après-guerre ont été témoin de la création de trois conseils fédéraux de recherches, figures de proue de l'essor de la recherche universitaire au cours des dernières décennies. Les conseils de recherches jouissent d'ailleurs d'une grande réputation dans le monde et ils ont contribué à rendre concurrentielle sur la scène mondiale la recherche effectuée au Canada.
L'ACPPU craint que le gouvernement fédéral gaspille ces grandes réalisations au lieu de consolider ce qui a déjà été accompli. Lorsqu'il était président du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, Arthur May a mis en garde le Canada contre le danger de devenir un pays du Tiers-Monde en recherche et développement. Cette mise en garde demeure car le Canada se classe encore derrière la plupart des pays de l'OCDE du point de vue de son rendement en recherche et développement. L'investissement du Canada dans la recherche et le développement universitaire se situe loin derrière de nombreux pays de l'OCDE, notamment les pays scandinaves et les Pays-Bas. (Voir le graphique sur les dépenses totales en R- D). (Le graphique est extrait de la publication de l'AUCC Orientations : Portraits de l'université au Canada - 1996.)
La recherche et le développement a suscité beaucoup de débats pendant les années où Mulroney était au pouvoir. Des initiatives importantes ont été mises en oeuvre, entre autres la création du Plan vert. Les Conservateurs ont maintenu le financement des conseils fédéraux de recherches. Il leur manquait toutefois un plan cohérent pour orienter leur politique en matière de recherche.
L'examen des sciences et de la technologie
Un gouvernement libéral poursuivra l'effort en faveur de la recherche fondamentale, notamment en consolidant le financement des conseils chargés d'attribuer les subventions, du Conseil national de recherches et des pôles d'excellence. Le Livre rouge, p. 48.
À leur arrivée au pouvoir, les Libéraux ont décidé d'effectuer un examen complet des politiques canadiennes en matière de science et de technologie. M. Manley, ministre responsable d'Industrie Canada, et le Dr Gerrard, secrétaire d'État aux Sciences, à la Recherche et au Développement, ont parrainé une consultation nationale. L'ACPPU a accueilli favorablement cette initiative et y a participé à tous les niveaux. On n'a plus entendu parler de rien par la suite. Selon diverses sources anonymes au sein du gouvernement, des ministres influents ainsi que d'importants joueurs du ministère des Finances se sont opposés à toute politique en matière de science et de technologie malgré les engagements pris dans le Livre rouge. Le Cabinet s'est finalement fait forcer la main à la suite de la publication de la réponse du Conseil consultatif national des sciences et de la technologie (CCNST) intitulé La santé, la richesse et la sagesse. L'examen a été rendu public peu après le discours du budget de 1996.
Comme l'a signalé l'AUCC, la stratégie vise à forcer le secteur privé à participer plus activement au programme d'innovation et à restructurer les activités scientifiques du gouvernement à cette fin. Le but primordial est d'encourager le transfert, la commercialisation et la diffusion de la technologie.
Dans ce contexte, la recherche universitaire a été traitée sans ménagement. L'AUCC et l'ACPPU ont protesté. L'AUCC a dit au gouvernement que sa stratégie était loin d'avoir atteint ses objectifs les plus élémentaires. L'AUCC a ajouté que le Canada avait sans l'ombre d'un doute besoin d'améliorer sa technologie et sa capacité de transfert. À son avis, c'est manquer de vision que de croire que cet objectif peut être atteint au prix de ses investissements dans la production des connaissances. L'AUCC a soutenu que la recherche universitaire était l'un des principaux facteurs de création d'emplois au pays et a cité Eric Newell, pdg de Syncrude Canada Ltd. S'adressant aux participants d'une récente réunion de l'AUCC, M. Newell a déclaré que la recherche universitaire fondamentale avait transformé toute son industrie et avait contribué à sa viabilité.
Mme Joyce Lorimer, alors présidente de l'ACPPU, a écrit au Dr Gerrard pour lui faire part d'un message analogue. Elle lui a souligné la somme de travail que lui et M. Manley avait investi dans la création d'une stratégie en matière de science et de technologie malgré l'opposition de certains de leurs collègues. Elle a également fait état d'exemples positifs, entre autres le nouveau fonds de recherche dans les services de soins de santé, la permission accordée au CRSNG pour créer un fonds d'investissement et la décision de financer des études statistiques pertinentes sur la recherche et le développement à Statistique Canada. Elle a également signalé des annonces faites antérieurement qui ont eu des effets directs sur la recherche universitaire, notamment le programme conjoint du CRSH, du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration et d'autres ministères fédéraux pour la recherche sur une politique d'immigration.
Elle s'est toutefois montrée très déçue du traitement accordé au secteur universitaire dans le cadre de l'examen des sciences et de la technologie.
Elle a fait part de son inquiétude quant aux structures fédérales actuelles et celles qui sont proposées pour la recherche. Elle a ajouté que le milieu universitaire était préoccupé par le désintérêt du ministère de l'Industrie envers la recherche universitaire et par l'absence de mandataire pour travailler avec les universités et les collèges à l'instar des entreprises du secteur privé.
Elle a en outre exprimé des réserves au sujet de la structure proposée pour conseiller le gouvernement et qui a été annoncée dans le rapport de l'examen des sciences et des technologies. Le CCNST sera en effet aboli et remplacé par un nouveau conseil consultatif sur les sciences et la technologie. Il sera composé d'éminents spécialistes de l'extérieur du gouvernement. Au contraire du CCNST, ce conseil ne produira plus de rapports. Il examinera les prévisions et les rapports annuels des ministères. Il semble que ses travaux seront confidentiels et qu'il relèvera directement du Comité du Cabinet chargé du développement économique et régional.
Mme Lorimer s'est opposée à ce projet et a déclaré que le nouvel organisme devait être transparent et que son programme devait être public. Les documents qu'il reçoit devrait être disponible et les avis qu'il donne au gouvernement devraient être rendus publics.
Elle a vivement conseillé au gouvernement de prévoir un mécanisme officiel pour le milieu universitaire. Elle ajouté que la réussite du projet dépendrait beaucoup de la qualité des personnes nommées au conseil consultatif. Elle a fortement recommandé que le milieu universitaire soit suffisamment représenté tant par des scientifiques de laboratoire que par des administrateurs.
Les conseils subventionnaires fédéraux : le CRM, le CRSH et le CRSNG
Bien que le Comité des finances de la Chambre des communes ait recommandé pendant deux années successives le maintien au moins des enveloppes budgétaires, de nouvelles coupes ont été annoncées dans les documents budgétaires accompagnant le budget. (voir le graphique sur le CRSNG).
Le budget des subventions et des bourses du CRSH pour l'exercice financier en cours a fléchi sous les 79 millions de dollars, une baisse excessive par rapport aux 88,7 millions de dollars que le conseil octroyaient à la recherche et à la formation des étudiants de 2e et 3e cycles en sciences sociales et en sciences humaines pendant l'année précédente (1995-1996).
Au CRSNG, le programme de subventions de projets concertés a pris fin en octobre 1995. Toutefois, les subventions déjà octroyées seront respectées. Le programme de subventions à des projets collectifs spéciaux a aussi pris fin.
Le gouvernement s'est cependant rendu à l'un des arguments du rapport du CCNST, La santé, la richesse et la sagesse. Il a ainsi décidé de créer un fonds de 65 millions de dollars pour effectuer des recherches sur les bons côtés et les lacunes du système de soins de santé canadien. Le CRM administrera ce fonds et invitera des partenaires des provinces et du secteur privé. L'ACPPU et l'AUCC ont appuyé en principe le projet. L'ACPPU estime qu'une collaboration avec le CRSH serait nécessaire. Heureux de cette initiative, le Dr Friesen, président du CRM, a toutefois fait part de ses préoccupations. En raison de difficultés financières constantes, le budget de base du CRM a subi d'autres compressions de 3 p. 100 pour 1998-1999, qui font suite aux coupes antérieures annoncées dans le budget fédéral de 1995.
Le réseau de centres d'excellence
Le gouvernement a conservé le programme des 14 centres, en a éliminé quatre et en a ajouté quatre autres. Cependant, il faut se demander maintenant si le programme sera renouvelé en 1998 au même niveau de financement. Il semble du moins qu'une partie du budget pourrait devenir permanent. On ne connaît pas, toutefois, l'ampleur de l'appui du gouvernement.
D'autres programmes de recherches fédéraux
Les budgets pour la recherche et pour la science d'autres organismes qui collaborent souvent avec les universités ont également subi d'importantes ponctions. Ces mesures ont une réaction en chaîne sur les professeurs et les étudiants qui collaborent à ces programmes. Les compressions de 72 millions de dollars pour la recherche à Énergie atomique du Canada Limitée (voir l'article à ce sujet) sont un bon exemple. Ces mesures comprennent le laboratoire où Bertram Brockhouse a fait ses recherches et qui lui ont valu le prix Nobel. Les médias ont beaucoup parlé des charges contre l'Institut des eaux douces (voir l'article à ce sujet) et son programme des lacs expérimentaux. Les vicissitudes du Plan vert laissent entendre que la recherche sur l'environnement pourrait aussi subir le couperet. L'incertitude règne quant à la recherche sur le SIDA (voir l'article sur le sujet). D'autre part, le gouvernement a affecté 16,6 millions de dollars répartis sur cinq ans au budget de TRIUMF, à l'Université de la Colombie-Britannique, et a accru le financement qu'il fournit à l'Observatoire de neutrinos de Sudbury. L'honorable Ron Irwin a en outre annoncé qu'il rétablirait les sommes retranchées du financement universitaire du projet d'étude du plateau continental polaire.
D'autres organismes fédéraux
D'autres mesures budgétaires ont touché des organismes fédéraux qui subventionnent la recherche universitaire comme la Bibliothèque nationale et les Archives nationales. Leur budget ont respectivement subi des compressions de 8,4 p. 100 et de 14,6 p. 100.
L'aide aux pays en développement sera réduite de 14 p. 100 d'ici les trois prochaines années. Entre 1994-1995 et 1998-1999, l'aide aura diminué de 34,3 p. 100. L'ACDI subventionne d'importants travaux de fonctionnement et de développement dans le Tiers-Monde. L'enseignement supérieur joue un rôle considérable dans ces travaux et il semble que les programmes auxquels participe le milieu universitaire subiront d'importantes compressions.
L'infrastructure de la recherche
Tous ces faits montrent que le financement de la recherche universitaire vit une crise majeure. En conséquence, dans un geste sans précédent, les recteurs, les professeurs et les chercheurs d'université, par l'intermédiaire de l'AUCC, l'ACPPU et le Consortium national, ont décidé de s'allier afin de lutter pour la même cause. La première manifestation de cette alliance a eu lieu en juin lorsque des intervenants du milieu de la recherche universitaire ont rencontré Paul Martin et John Manley pour leur faire part de leur préoccupation. Il est ressorti de cette rencontre que le milieu de la recherche devait proposer rapidement des solutions concrètes de financement pour répondre aux vrais problèmes. Le temps des récriminations est en effet terminé. Le premier ministre a ensuite entrouvert la porte en convoquant une conférence des premiers ministres en juin et en proposant un deuxième programme national de travaux d'infrastructures. Mais dans quoi pouvait-on investir ces crédits, s'est-on demandé? Le premier ministre Romanow a proposé la mise en place d'un programme important d'aide à la recherche et au développement. L'AUCC, l'ACPPU et le Consortium national ont uni leur voix pour appuyer cette idée et pour revendiquer 20 p. 100 du programme à l'intention de la recherche universitaire. Si le deuxième programme est de la même envergure que le premier, cette proportion se chiffrerait à 1,2 milliards de dollars. Au sein du caucus libéral, des députés semblent appuyer cette idée alors que l'on s'inquiète que les Libéraux n'aient pas tenu leurs promesses du livre rouge. (Voir l'article de Giles Gherson)
Les trois organismes se penchent actuellement sur un plus gros projet de soutien de la recherche qu'ils espèrent rendre public d'ici la fin d'octobre.