our la plupart d'entre nous, nos années du baccalauréat sont empreintes de romantisme. Dans mon cas, je me rappelle non sans émotion des moments forts de mon passage à l'Université de la Saskatchewan : une admirable introduction à l'histoire, la logique enseignée par un maître hilarant et distrait, la littérature américaine dispensée par quelqu'un qui avait également fait carrière en politique provinciale, et les merveilleux partys d'étudiants.
Je me souviens aussi de la visite de politiciens notables, notamment Lester B. Pearson, à l'automne 1963. Nous étions rassemblés dans une salle de l'édifice Memorial Union pour écouter le Pearson des meilleures années : Le pays était un exemple de civilité. Une société ne pouvait être civile et bienveillante que si les forces brutes des capitaux et des intérêts étrangers étaient contenues. Pour Pearson, les universités étaient un microcosme de sa vision du pays pour l'avenir.
Il a parlé avec fierté de son appui à l'enseignement et à la recherche en sciences humaines et sociales. Il a louangé les énormes avantages, socio- économiques, directs et indirects d'un enseignement supérieur largement accessible et financé par les deniers publics. Il a reconnu que l'autonomie de l'université était une condition indispensable. Il a vanté l'essor économique régional et la répartition du revenu. Dans un moment d'exaltation, nous avons cru qu'il allait défendre l'assurance-maladie mais, il s'est arrêté à temps. (L'implantation de l'assurance-maladie devait attendre quelques années encore.)
Pearson a signalé que les Libéraux avaient fait du chemin depuis le «gouvernement négatif» de Mackenzie King qui estimait alors que l'État devait s'ingérer dans les affaires sociales seulement lorsque la situation allait très mal, notamment pendant la Crise.
Toutefois, même Mackenzie King a été progressiste à sa façon en créant, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pensions de vieillesse, un programme fédéral d'aide aux services de santé et sociaux ainsi qu'une aide nationale pour la recherche et le développement. C'est à Louis St-Laurent qu'est revenue la responsabilité de mettre en pratique ces programmes, d'une part selon les recommandations de la Commission Massey, et d'autre part pour répondre aux immenses transformations subies par la société et l'économie canadiennes.
Ce qui est extraordinaire, c'est que tous ces chambardements sont survenus alors que le Canada était un pays pauvre. En effet, on a réagi à la Crise pendant que les revenus fondaient à vue d'oeil. On avait gagné la guerre mais le trésor public était presque à sec. Les anciens combattants ont pris le chemin des universités, alors en pleine ébullition. Les régimes de pension ont été implantés. Les Canadiens gagnaient cependant de modestes salaires et avaient peu d'espoir de les voir majorés.
Jusque vers le milieu des années 1950, les fermiers de mon village des prairies n'avaient presque pas de revenu disponible. Parce qu'il existait un réseau d'écoles et d'universités, de plus en plus accessibles à leurs enfants, les fermiers ont pris des risques et ont envoyé leurs rejetons à l'université.
Comme il est étrange aujourd'hui de penser à la créativité de ces libéraux. Qu'a-t-il bien pu arriver au libéralisme? En 1996, le discours des libéraux est ponctué des mots compressions, efficacité et renouveau économique. Le mot collectivité est absent de leur vocabulaire, tout comme ces institutions culturelles qui rendent possible la collectivité et la confiance.
Les «nouveaux» libéraux ont pris par erreur l'économie pour de la politique. Ils invoquent la pauvreté et tentent de se soustraire à leur responsabilité de bâtisseurs de la collectivité et de la culture. Lester Pearson doit se retourner dans sa tombe, ainsi que MM. King et St-Laurent. (M. Trudeau peut parler pour lui- même.)
Les gouvernements, évidemment, peuvent changer d'idée. Ils peuvent rétablir le financement. Ils peuvent bâtir au lieu de réduire les crédits. Des signes révèlent que le présent gouvernement commence à penser à ces choses. En agissant ainsi, il revient au premier et au vrai «bilan des libéraux». Nous allons continuer à les surveiller et à attendre les résultats.
(Bill Bruneau est président de l'ACPPU.)