Le Québec offre aux Québécois et aux citoyens du monde un système d'enseignement supérieur public, une entreprise admirable. Depuis la grande réforme des années 1960, les Québécois ont profité d'un réseau d'établissements d'enseignement publics installés aux quatre coins de la province, ou presque.
Le Québec est une grande province et cette réforme coûteuse a nécessité l'engagement de gouvernements successifs, fédéraux et provinciaux. Les paiements de transfert fédéraux ont financé une grande partie de l'immense projet québécois, mais les contribuables de la province y ont aussi participé et ont reconnu son importance.
Les étudiants de tout le Canada et du monde connaissent le système québécois et l'apprécient. Ils maintiennent même des liens d'affaires et culturels avec le Québec parce qu'ils ont étudié dans ses universités. Les diplômés qui choisissent de s'établir au Québec jouent un rôle crucial dans la modernisation de sa vie sociale et économique. La littérature et les arts du Québec suscitent l'envie de tous.
Cette grande entreprise est menacée cependant. En effet, à la fin de novembre, le gouvernement du Québec a annoncé sa décision d'imposer des droits de scolarité différentiels aux étudiants canadiens non résidents du Québec et fréquentant des universités québécoises (voir aux pages 6 et 7).
C'est la troisième fois que le Québec s'écarte de son engagement à offrir un enseignement supérieur et public. Le premier écart s'est produit il ya quelques années alors que le gouvernement a décidé de majorer les droits de scolarité pour les étudiants étrangers. Le Québec ne s'est toutefois pas démarqué des autres provinces puisqu'il leur emboîtait le pas. Nous regrettons tous cette décision par ailleurs.
Le Québec a ensuite décidé que ses étudiants n'auraient normalement pas droit à une aide financière s'ils allaient étudier à l'extérieur de la province. Aucune de ces mesures n'appuie l'accessibilité ou la mobilité. Pourtant, le Conseil des ministres de l'Éducation (CMEC) a fait la promesse explicite en 1993 que toutes les provinces augmenteraient leurs efforts en matière de mobilité et non le contraire. Le Québec, d'ailleurs, n'est pas la seule province à avoir reculé, une raison de plus de s'inquiéter de sa dernière décision.
Au Québec, comme ailleurs, les deux paliers de gouvernement ont veillé jusqu'à tout récemment à rendre le système accessible aux étudiants canadiens et étrangers.
L'accessibilité, au Québec, s'est réalisée à large échelle. Des universités et des cégeps ont été construits loin de Québec et de Montréal. Dans l'intervalle, les universités ont reçu des subventions considérables pour maintenir les droits de scolarité à des niveaux raisonnables. René Lévesque aimait dire qu'il voulait que les petites gens puissent fréquenter le collège et l'université. Pour cela, il fallait des droits de scolarité peu élevés.
La dernière mesure du gouvernement québécois s'attaque à l'idée de l'accessibilité aux études supérieures au Québec. La notion de droits différentiels va à l'encontre du vieux principe selon lequel les universités, et le savoir par le fait même, n'ont pas de frontière. Bernard Shapiro fait remarquer, à bon droit, que la politique du gouvernement québécois ne tient aucunement compte de l'explosion des connaissances de notre époque. (Voir à la page 6.)
Cette politique, cependant, cause une surprise inattendue car elle va entraîner une nouvelle inefficacité dans le secteur de l'enseignement postsecondaire. En effet, toutes les provinces devront désormais décider d'imposer ou non des droits différentiels. La bureaucratie s'alourdira pour l'administration des nouvelles mesures, la mobilité des étudiants diminuera certainement et les étudiants qui le peuvent ne fréquenteront peut-être plus l'université qui leur convient le mieux.
Dans son article, François Tavenas va plus loin et souligne que le rapport professeur/étudiants est plus élevé au Québec qu'ailleurs (voir à la page 7). Il estime que l'imposition de droits différentiels ne générera pas les fonds nécessaires pour abaisser ce rapport. Même avec des droits différentiels, il reste la possibilité que le gouvernement finisse par libéraliser les droits de scolarité. Le gouvernement a déclaré, pourtant, qu'il continuerait de réglementer les droits de scolarité tout en réduisant ses subventions aux universités. (On a déjà été témoin de ce genre de chose dans presque toutes les provinces.) Il ne pourra pas maintenir cette position encore longtemps.
Un conte de Hans Christian Andersen parle d'une oie qui pondait des oeufs d'or. Nous savons tous quel sort a été réservé à cette oie. Il est possible que gouvernement québécois commette la même erreur que le roi cupide du conte.
Nos collègues de la FQPPU ont adopté une position ferme contre la nouvelle politique. L'ACPPU s'oppose depuis longtemps aux droits différentiels. Il faudra une bonne dose de raisonnement et de politique pour modifier le point de vue du gouvernement québécois. Ce travail devrait commencer dès maintenant.