Il y a quelques années, un doyen de l’Université de la Colombie-Britannique a distribué un document intitulé Differentiated Roles for Faculty. D’aucuns en ont été surpris puisque, depuis les années 1960, des administrateurs d’un océan à l’autre parlent de différenciation pour encourager les professeurs à faire plus de recherche.
Que signifie différenciation? À l’Université de la Colombie-Britannique, il s’agissait de la répartition des responsabilités universitaires d’un professeur, caractérisée soit par une dominante en enseignement (par exemple 75 p. 100 d’enseignement et 25 p. 100 de recherche), ou par une dominante en recherche (par exemple 75 p. 100 de recherche et 25 p. 100 d’enseignement), ou par une tâche équilibrée. Le chef du département ou le doyen de la faculté déterminerait, de concert avec le professeur, la répartition de ses responsabilités et tiendrait compte de l’équilibre global de l’enseignement et de la recherche au sein du département ou de la faculté. L’évaluation annuelle du rendement se fonderait sur l’équilibre convenu entre le professeur et le doyen.
Un comité établirait des critères d’évaluation qui seraient liés au succès de l’enseignement et de l’apprentissage. Les promotions seraient offertes aux personnes qui contribueraient de manière remarquable à l’enseignement ou à la recherche, en proportion de la répartition convenue de leurs tâches.
Bien entendu, il existe une certaine différenciation dans tout département d’université. Puisque que la recherche et l’enseignement sont si intimement liés, le dernier peut parfois être une source primaire d’idées novatrices dans notre carrière et prendre moins d’importance à d’autres moments alors que nous nous tournons vers le laboratoire ou les archives pour accomplir notre travail universitaire.
Néanmoins, le modèle de la différenciation ne disparaîtra pas. Certains estiment que si une chose est bonne pour la Nature, elle l’est aussi pour nous. Ils citent alors en exemple les fourmis, les abeilles et les termites, qui sont tous des insectes très «sociaux» et dont les activités sont extrêmement différenciées. Selon eux, seulement un pas sépare l’université de la hiérarchie des abeilles et de la fourmilière.
Il y a bien plus qu’un pas qui nous sépare cependant : il y a un univers. Les mécanismes qui animent les abeilles, les fourmis et les termites peuvent nous intéresser. Par contre, ils sont socialement impossibles et moralement faux pour servir de modèles aux rapports humains.
Comme tant d’innovations administratives que nous devons accepter, le pedigree de la différenciation est discutable. De plus, des raisons pratiques nous forcent à réfléchir sérieusement à la dotation en personnel différenciée.
- Combien de conventions collectives prévoient des dispositions détaillées ressemblant à la définition donnée précédemment de la notion de dotation en personnel différenciée. Est-ce que cette différenciation amoindrira ces conventions collectives?
- Tous les universitaires à l’emploi d’universités enseignent et font de la recherche. Ce serait donc illogique de nommer des personnes qui ne feraient qu’enseigner à des étudiants du 1er cycle.
- Avec la différenciation, on présume que les professeurs pourraient être évalués selon qu’ils enseignent plus qu’ils ne font de la recherche (d’après leurs publications et leurs subventions) ou selon qu’ils font plus de la recherche qu’ils n’enseignent. Après quelques années, l’équilibre entre l’enseignement et la recherche serait modifié. Malheureusement, il n’est peut-être pas toujours possible de passer de la catégorie de l’enseignement à la catégorie de la recherche, ou vice versa.
- Les tenants de la dotation différenciée soutiennent que cette innovation prouve qu’ils prennent l’enseignement au sérieux. Les conventions collectives, toutefois, permettent déjà à l’administration et au conseil d’administration, et les invite même, à prendre l’enseignement au sérieux.
- Depuis des années, les administrations universitaires prétendent qu’elles prennent au sérieux l’enseignement et la recherche. En pratique, cependant, elles privilégient souvent la «recherche». Si 75 p. 100 du mérite d’une personne repose sur son rendement comme enseignant ou comme chercheur, on doit alors mesurer ce rendement avec une précision qui n’est pas encore atteinte. Est-ce donc là une façon d’introduire des indicateurs de rendement hautement mathématisés dans l’évaluation des professeurs?
- Les professeurs modifient naturellement l’équilibre entre l’enseignement et la recherche à mesure qu’ils progressent dans leur carrière et les cycles de leur vie. Pourquoi leur imposer, à eux et à leur carrière, des structures formelles auxquelles ils seraient assujettis?
- La différenciation donnera peut-être lieu à une charge contre la recherche fondée sur la découverte ou la recherche spéculative. Les entreprises qui veulent que l’université fasse de la recherche intéressée n’auront peut-être pas à coeur de conserver l’équilibre entre l’enseignement et la recherche à la grandeur de l’université.
- Selon les tenants de la différenciation, la répartition des responsabilités de l’enseignement et de la recherche tiendra compte de l’équilibre global entre l’enseignement et la recherche au département et à la faculté. Est-ce que cela signifie que je ne pourrai pas me concentrer sur la recherche si d’autres collègues de mon département ont déjà choisi de le faire?
Depuis des années, les professeurs d’université tentent d’établir une différence positive et pratique entre la recherche et l’enseignement. La dotation différenciée ne risque pas de figurer parmi ces méthodes.