Dans le budget qu’il présentait, mardi, le ministre Paul Martin s’est encore une fois lourdement trompé dans ses prévisions de déficit.
Nous avons bien sûr été habitués, au fil des ans, aux erreurs éhontées des budgets qui sous-estimaient systématiquement la taille du déficit. Ce qui est fascinant, c’est que le ministre fédéral des Finances a maintenant un problème exactement inverse. Il se trompe dans l’autre sens. Les déficits qu’il réalise sont sensiblement plus bas que ceux qu’il avait prévus.
Mais, même s’il s’agit de bonnes surprises, les écarts sont assez importants pour que l’on se demande pourquoi un ministre des Finances érige l’erreur prévisionnelle en mode de gestion.
En 1995, M. Martin avait prévu que le déficit serait de 32,7 milliards pour l’année 1995-1996. Il fut finalement de 28.6. En février dernier, il annonçait un déficit de 24,3 milliards pour 1996-97. Nous avons découvert, mardi, qu’il ne serait que de 19 milliards. Le chiffre serait encore plus bas si le ministre ne s’était pas empressé de piger dans ce surplus inespéré.
Manifestement, on s’apprête à remettre ça. Pour l’année 1997-1998, il maintient les projections qu’il avait faites, il y a déjà un an, et promet un déficit de 17 milliards. Comme c’est son habitude, il s’agit en fait d’un déficit «fondamental» de 14 milliards plus une réserve «au cas où» de trois milliards. Cette prévision n’a pas vraiment de sens. Elle supposerait que le gouvernement libéral, après avoir réussi à réduire le déficit de 8,9 milliards, l’an dernier, et de 9,6 milliards, cette année, ne réussirait qu’à le comprimer de deux milliards.
C’est évidemment peu crédible. Mais pourquoi? Sans doute par prudence. Échaudé par les graves erreurs de ses prédécesseurs, M. Martin stocke les milliards comme ceux qui avaient connu la guerre stockaient le sucre. Mais ces coussins que se donne le ministre dépassent les exigences de la louable prudence : M. Martin a surestimé son déficit de 4,1 milliards, l’an dernier, et de 5,3 cette année.
Mais il y a une seconde raison. C’est la peur qu’un succès trop rapide et trop évident dans la lutte contre le déficit ne suscite les appétits de tous les groupes qui ont souffert de l’austérité. Tant que le déficit reste élevé sur papier, il est plus facile d’expliquer que le travail n’est pas terminé. M. Martin, dans son budget de cette semaine, a limité les nouvelles initiatives à un milliard. Cela aurait été impossible si ses prévisions avaient été plus réalistes.
Mais la raison la plus importante, à plus long terme, c’est que ces prévisions permettent de ne pas aborder de front la question du dividende budgétaire. En prévoyant un déficit de 17 milliards, pour 1997, et de neuf milliards, pour l’année suivante, le ministre Martin n’a pas encore à parler de déficit zéro, même s’il est évident qu’on y-arrivera dans deux ans. Et dès que le déficit sera éliminé, s’ouvre le débat sur l’affectation des surplus. Le consensus de l’austérité s’effritera et cédera la place à des réflexions difficiles sur les mérites respectifs de la réduction de la dette, des baisses d’impôt et des développements de programmes. Cela ouvrira la porte à des débats très idéologiques, qui recréeront les clivages, et que le gouvernement Chrétien n’a manifestement pas voulu engager.
Et pourtant, si nous arrivons d’ici deux ans au déficit zéro, c’est dès maintenant qu’il faut discuter de l’après-déficit. Et le moment tout rêvé pour amorcer cette réflexion collective, sera durant la campagne électorale qui semble imminente.
(Reproduit avec permission, La Presse, vendredi le 21 février 1997.)