D’ici quelques semaines, la campagne électorale fédérale sera probablement lancée. Le Comité de direction ainsi que le personnel de l’ACPPU songent déjà aux questions que nous poserons aux partis et aux candidats. Comme à l’habitude, nous visons à placer la question de l’enseignement postsecondaire au centre des débats pendant les élections. Cela peut paraître étrange mais ce sujet touche de près la grève des professeurs de l’Université York.
En ce qui concerne les élections, les politiciens craignent que l’enseignement postsecondaire ne soit pas une question gagnante. Ils estiment qu’il est difficile de convaincre les gens, qui ont peut-être peur de perdre leur emploi, que le gouvernement fédéral devrait financer la recherche et l’enseignement supérieur.
Au-delà de ce calcul pratique, les politiciens libéraux et de l’opposition hésitent à accorder la priorité à l’éducation car ils trouvent gênant de comparer le passé et le présent. Ils n’aiment pas réfléchir à la différence entre les engagements historiques de leur parti envers l’éducation publique et leurs politiques actuelles.
Les Libéraux souffrent d’amnésie partielle si l’on se fie aux annonces budgétaires de Paul Martin, en particulier dans le cas des paiements de transfert qui diminueront de 40,7 p. 100. Dans les années 1960, les Libéraux de Lester B. Pearson et de Pierre Trudeau ont aidé à mettre sur pied un excellent système national d’enseignement postsecondaire accessible.
Les avantages parlent d’eux-mêmes. Le Canada a bien réagi économiquement malgré la crise du pétrole des années 1970 et les cycles d’emballement et de dépression des années 1980. Notre société a maintenu sa confiance dans les grandes institutions publiques. Pourtant, depuis 1993, les Libéraux ont soustrait des milliards de dollars à l’enseignement postsecondaire, à la santé et aux services sociaux au Canada. Les Libéraux ne parlent plus d’équité, comme le faisait Pearson, ni de justice, comme le faisait Trudeau.
Les Réformistes et les Conservateurs, bien entendu, sont bien connus pour réduire la taille du gouvernement et son rôle dans la société. Mike Harris, premier ministre de l’Ontario et Conservateur, prévoit réduire de 30 p. 100 l’impôt provincial sur le revenu. S’il réussit à le faire, il dépasserait les compressions antérieures d’Ottawa. M. Harris ne peut respecter sa promesse que d’une seule façon, soit en s’attaquant davantage à l’enseignement postsecondaire en Ontario.
J’ai avancé deux raisons principales expliquant pourquoi l’enseignement postsecondaire n’est pas un enjeu prioritaire dans les campagnes électorales : l’enseignement postsecondaire n’est pas une question gagnante et rappelle des souvenirs gênants aux politiciens à la mémoire déficiente. Mais il y a plus.
Dans le dernier numéro de la publication London Review of Books (20 mars 1997, pp. 16-17), Conrad Russell écrit que les gouvernements, devant les conséquences de leurs compressions, se réfugient dans le culte de la réorganisation en vue d’être «efficaces» et d’en «avoir plus pour leur argent», ou selon l’euphémisme de Whitehall, «pour moins d’argent».
Par conséquent, à mesure que le financement diminue et que la demande pour l’intervention gouvernementale s’accroît, on insiste pour augmenter la taille des classes, on utilise des engins technologiques non éprouvés mais qui sont officiellement exigés (des départements en entier sur l’Internet??!!), etc, etc.
Qu’ils soient Canadiens ou Britanniques, les gouvernements estiment qu’ils doivent trouver des moyens permettant d’assurer que les universités, les collèges et les écoles font bien ce qu’on leur demande et qu’ils répondent aux exigences «publiques» pour une éducation peu coûteuse et «efficace». Les gouvernements y arrivent de deux manières. D’abord, ils créent d’énormes bureaucraties qui nous surveillent, qui recueillent des indicateurs de rendement, etc. Ensuite, ils répandent la croyance selon laquelle les victimes du sous-financement sont responsables de leur triste condition. En Angleterre, le processus du bouc émissaire consiste à s’attaquer «aux méthodes pédagogiques désuètes mais politiquement correctes» (selon John Major) et à publier «d’innombrables statistiques sur les écoles et les universités» (selon Russell). Au Canada, le discours ne diffère qu’en surface.
Ce qui nous amène à la grève à l’Université York. Il est vrai que cette grève porte sur les salaires et des conditions de retraite équitables. Par contre, elle met également en lumière les politiques centralistes et passives du conseil d’administration. Elle montre que l’administration est un appareil coûteux et imposant sur qui «l’efficacité» et la notion «d’en avoir pour son argent» exerce une fascination qui n’a rien à voir avec un enseignement postsecondaire de qualité ou avec une plus grande accessibilité à l’université. Cette grève est au sujet d’une administration arbitraire, la créature d’un conseil d’administration orienté vers la gestion. On sent, derrière les actions du conseil d’administration et de l’administration de l’université, l’influence du gouvernement qui croit qu’il faut «transformer» l’éducation et prouver un rapport avantages-coûts favorable.
Tout cela se passe alors que les compressions fédérales et provinciales se concrétisent sous la forme d’une éducation ressemblant à une usine, avec des classes nombreuses et peu de contact entre les professeurs et les étudiants.
Les questions que soulèvent la grève à York sont aussi les questions qui devront être posées pendant les prochaines élections : Est-ce que nous conserverons le savoir et l’équité comme les valeurs essentielles de la société canadienne? Est-ce que nous ferons d’une direction transparente et active la marque de l’enseignement postsecondaire au Canada, ou n’en restera-t-il qu’un heureux souvenir?