Le 14 mai, le corps universitaire de l’Université York a mis un terme à la plus longue grève de l’histoire des universités canadiennes-anglaises en votant à 74,9 p. 100 en faveur du retour au travail. De plus, dans un suffrage distinct, les universitaires ont exprimé à 79 p. 100 un vote de non confiance envers l’administration.
Comment l’Université York s’est-elle retrouvée dans un tel bourbier?
Le feu a couvé longtemps avant que la grève ne soit déclenchée. D’abord, la convention collective a été gelée pendant trois ans à cause du contrat social en Ontario. Les professeurs ont eu la malchance de négocier l’année précédant l’imposition de la loi sur le contrat social. Ils ont donc eu droit à une année supplémentaire de gel. Par voie de conséquence, la position des professeurs en matière salariale par rapport à leurs collègues des autres universités ontariennes a dégringolé de la quatrième à la douzième place.
Mais, ce qui est plus grave, l’administration a fait peu de cas de l’association des professeurs. Selon les membres de l’association, l’administration actuelle de l’université a sérieusement miné la structure collégiale de l’université et a été beaucoup plus encline à écouter les gestionnaires du conseil d’administration que les professeurs et les étudiants.
Les négociations ont débuté en février 1996 et ont finalement été interrompues après un certain temps car, de toute évidence, l’administration voulait dépouiller le contrat de quelques uns de ses articles clés. Par ailleurs, le syndicat donnait l’impression d’être inefficace et divisé. L’employeur y a vu une occasion en or de détruire l’influence de l’association des professeurs, de saper la convention collective et d’imposer un pouvoir de gestion dans la direction de l’université.
Avec beaucoup d’efficacité et de cynisme, l’administration a lancé une campagne de relations publiques pour diviser le syndicat sur des questions de génération. Ainsi, elle a soutenu que les employés bénéficiaient d’un régime de retraite exceptionnel et qu’elle ne pouvait offrir un bon salaire dont profiterait la plus jeune génération à cause de son coût. La crédulité a finalement fait place au désabusement pour certains mais seulement au bout de plus d’un an.
Dans l’intervalle, le syndicat a déposé des offres comprenant de modestes hausses salariales et s’est montré disposé à négocier des modifications au régime de retraite souple.
En août, l’administration a adopté une tactique qui devient la norme chez les employeurs de droite. Elle est allée en conciliation, a traité cette étape avec mépris et y a mis un terme dès qu’elle l’a pu. Elle a ensuite unilatéralement dépouillé le contrat de ses dispositions sur la retraite, a modifié la date de paiement de la hausse d’échelon du progrès dans le rang, au détriment des professeurs, a imposé son propre article sur la retraite et a défié le syndicat de déclencher la grève.
Le conflit a dégénéré en une bataille qui touchait au coeur de la négociation collective et de la collégialité à l’université. Les membres se sont ensuite demandés quels seraient les prochains articles à subir le couperet, la permanence peut-être. L’attitude de l’administration est entièrement conforme à son habitude de tenter de diriger l’université de manière descendante avec une participation minimale des autres intervenants.
Au début, les tactiques de l’employeur ont partiellement réussi. Pendant l’été et au début de l’automne, le syndicat a tenu plusieurs réunions dominées par de fortes dissensions alors qu’une minorité de membres exigeait avec véhémence que l’association signe tout ce que l’employeur proposait.
Toutefois, la majorité a appuyé le président de l’association, David Clipsham, et l’exécutif qui affirmaient que l’administration pouvait payer plus que ce qu’elle avait offert et qu’il restait d’importantes questions à traiter en plus des salaires et de la retraite, notamment l’équité, la tâche, la taille des classes, l’usage des nouvelles technologies et le droit d’auteur.
Par surcroît, l’université n’a pas réussi à terminer les négociations sur un programme d’équité salariale. Le syndicat souhaitait d’ailleurs une disposition à cet effet dans la convention collective.
Dans ce contexte, le syndicat a repris les négociations avec l’administration pendant l’hiver sans grand résultat. Il semble que l’employeur ne voyait aucune raison de négocier sérieusement puisqu’il avait déjà imposé sa solution.
L’association des professeurs a alors contre-attaqué l’analyse financière de l’administration en soutenant que l’employeur cachait des fonds dans divers comptes à la discrétion du conseil d’administration. Ce dernier avait fait remarquer qu’il préférait dépenser l’argent à d’autres priorités, notamment pour l’équipement technique de pointe plutôt que pour les professeurs. Dans certains cas, l’équipement s’est révélé inefficace.
Les rajustements des salaires des cadres supérieurs et le traitement élevé de la nouvelle rectrice ont fait beaucoup jasé sur le campus, compte tenu surtout du gel du salaire des professeurs.
Le syndicat s’est organisé de manière à ce que ses dirigeants puissent rencontrer les départements et les facultés et discuter de sa position en profondeur. Grâce à cette initiative et à de fréquents bulletins d’information, le syndicat a réussi à réconcilier les membres et à obtenir, en fin de compte, un résultat de 71 p. 100 en faveur de la grève lors d’un vote tenu en mars 1997.
La grève a été déclenchée le 19 mars et a duré huit semaines. Elle a été organisée de manière impressionnante. Il n’est pas facile d’assurer le maintien quotidien de piquets de grève à neuf points d’entrée principaux de l’université. L’association a réussi ce tour de force. Pendant toute la durée de la grève, les organisateurs ont également veillé à entretenir une communication continuelle avec les quelque mille membres grâce à la diffusion de bulletins, à l’utilisation de l’internet et à des communiqués.
Vers le dé but de la grève, une manifestation a eu lieu au carré Nathan Phillips, au centre-ville de Toronto, qui a remporté un vif succès. Elle a été suivie d’une marche vers les bureaux du président du conseil d’administration. Une vigile à la chandelle a également eu lieu devant la demeure torontoise de la prochaine rectrice de l’université. Cette activité a fait les manchettes de même qu’une ligne de piquetage devant la demeure du président du conseil d’administration.
Le syndicat a organisé un certain nombre de réunions d’information pendant la grève qui ont attiré de 500 à 600 personnes. À chaque occasion, l’assistance a fermement appuyé les dirigeants.
L’un des grands moments de vérité s’est produit lors d’une réunion organisée par les étudiants et à laquelle ont assisté toutes les parties. En une réponse à une remarque de l’un des étudiants laissant entendre que le conseil d’administration avait une certaine responsabilité envers ses clients, un membre du conseil d’administration s’est écrié : «Je suis ici parce que je le veux bien, et non pas à cause de vous.» Tant pis pour l’habituelle rengaine selon laquelle les étudiants sont des clients.
La Caisse de défense de l’ACPPU a versé des indemnités de grève sous la forme d’une subvention et a consenti des prêts sans intérêt à l’association de professeurs pour qu’elle puisse payer ses dépenses. Le montant initial se chiffrait à un million de dollars. De plus, de nombreuses associations au Canada on fait des dons à l’association des professeurs de l’Université York. Des administrateurs de la Caisse de défense, le président et le directeur général de l’ACPPU et divers membres du Comité de direction de l’ACPPU ont joint les piquets de grève.
Le 1er mai, le Conseil de l’ACPPU a donné un appui ferme à l’association des professeurs en lançant une alerte générale auprès de tous ses membres à la suite de la décision de l’employeur de dépouiller le contrat unilatéralement et à ses tactiques de négociation, en particulier son refus d’aller en arbitrage.
L’ACPPU a fait remarquer que les contrats des professeurs des universités d’Ottawa, Queen’s, de Toronto, McMaster et Ryerson prévoyaient des dispositions sur l’arbitrage, que l’arbitrage avait servi l’année dernière à régler les différends entre la partie patronale et syndicale à l’Université Carleton et que l’arbitrage faisait partie du règlement obtenu par la médiation pour mettre un terme à la grève à l’Université Trent l’automne dernier.
L’ACPPU a informé de la situation les organismes analogues au sein de l’OCDE. L’association des professeurs a reçu des appuis des fédérations britanniques, françaises, irlandaises, américaines, australiennes et néo-zélandaises. L’AUT britannique a enjoint ses membres de ne pas accepter de postes à l’Université York, de ne pas participer à des projets de recherches concertées ni d’assister à des réunions à York.
La section locale du SCFP représentant les professeurs contractuels et les auxiliaires d’enseignement à l’Université York ont donné un vigoureux appui à l’association des professeurs malgré les ennuis que la grève causait à nombre de ses membres.
En outre, beaucoup plus d’étudiants ont appuyé l’association que lors de grèves survenues récemment dans d’autres universités. Les étudiants diplômés ont accordé leur appui à l’association des professeurs à l’instar de la fédération des étudiants de York et la Fédération canadienne des étudiantes et des étudiants. Ces appuis n’étaient pas faciles à donner pour les étudiants puisque nombre d’entre eux étaient frustrés par la confusion qui régnait au sujet des examens et des notes finales.
La grève a duré hui semaines. De nombreuses semaines ont été gaspillées au profit d’une médiation futile exercée par le ministère du Travail. Elle a été futile puisque l’employeur a méprisé le médiateur comme il l’avait fait avec le syndicat. L’employeur a finalement suggéré une médiation privée avec Kevin Burkett à laquelle se sont joints l’avocat du syndicat et le directeur général de l’ACPPU.
Cette suggestion s’est révélée un stratagème de l’employeur. Pendant les deux jours de la médiation, l’administration n’ a déposé aucune offre et n’a pas modifié sa position. De toute évidence, la tactique de l’employeur visait à faire naître l’espoir d’un règlement puis à l’anéantir. Dans l’intervalle, le syndicat a fait savoir qu’il était prêt à accepter l’arbitrage exécutoire pour toutes les questions non réglées.
Les dirigeants syndicaux de l’Ontario ont donné leur appui au syndicat. Buzz Hargrove, président du Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada, Gordon Wilson, président de la Fédération du travail de l’Ontario, Leah Castleman, présidente du Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l’Ontario, Sid Ryan, président du Syndicat canadien de la fonction publique, section de l’ Ontario, et Earl Manners, président de la Fédération des enseignantes-enseignants des écoles secondaires de l’Ontario, ont fait une déclaration dans laquelle ils appuyaient la lutte de l’association des professeurs de l’Université York pour préserver la qualité de l’enseignement supérieur en Ontario et pour parvenir à une entente juste et équitable. Selon eux, l’offre de l’association d’aller en arbitrage était un moyen juste et raisonnable de régler les conflits du secteur public.
Dans sa chronique du Toronto Star, la journaliste Naomi Klein a déclaré qu’elle ne pouvait s’empêcher d’encourager les professeurs de York qui font la grève, la plus longue de l’histoire des universités canadiennes anglaises, pour provoquer un débat tardif sur la place réelle des universités et le rôle de l’enseignement public dans une démocratie.
À titre d’exemple, mentionnons la colère de nombreux professeurs face à la décision de l’administration de solliciter le patronage d’entreprises pour certains cours offerts à l’université. Plus l’administration promettait que les commanditaires n’auraient jamais le droit de s’ingérer dans le contenu des cours, moins on la croyait.
Philip Marchand, du Star, a également écrit que la grève pouvait avoir un effet positif dans la mesure où les politiciens et les administrateurs universitaires y réfléchissaient sérieusement avant de dépenser de l’argent pour l’achat d’outils d’apprentissages sophistiqués comme les ordinateurs au lieu d’investir dans les étudiants et les professeurs. Selon lui, l’Université York soutient que ce n’est pas le cas, que la priorité va aux salaires et aux prestations de retraite, mais que, en fin de compte, tout est une question de priorité. Il a ajouté que, si on dépense de l’argent pour des outils d’apprentissage de pointe, il en reste moins pour les salaires et les prestations de retraite.
La retenue du ministre responsable de l’enseignement supérieur a causé une surprise. Il appert que le ministre est demeuré en rapport avec l’employeur et qu’il n’a pas trouvé drôle les tactiques de propagande de l’administration visant à offrir une augmentation salariale de huit pour cent alors que le gouvernement prêchait l’austérité à tout le monde. De fait, l’administration n’offrait aucune augmentation pendant trois ans. L’augmentation de huit pour cent provenait de l’addition des hausses d’échelon de l’échelle salariale dont une partie avait déjà été versée. Les administrateurs ont peut-être voulu être un peu trop malins.
On a finalement eu recours à nouveau à Kevin Burkett comme médiateur, ce qui a mis un terme à la grève. Il a notamment été difficile de déterminer qui dirigeait du côté patronal puisque la rectrice et le président du conseil d’administration devaient quitter leur poste respectif à l’été. Le vice-recteur à l’administration avait déjà quitté l’université pour assumer le poste de président du collège Sheridan, et le vice-recteur à l’enseignement n’a pas été retenu comme candidat au poste de recteur.
Lorna Marsden, la nouvelle rectrice, n’entrera pas en fonction avant le mois d’août. On a beaucoup spéculé sur les raisons de cette administration provisoire à se cramponner au pouvoir et à adopter une ligne aussi dure.
Burkett a recommandé un règlement global incluant :
une entente de trois ans (rétroactive à compter de l’année dernière);
un montant forfaitaire pour les «rajustements salariaux» que l’association des professeurs entend utiliser pour corriger des anomalies : 2 millions de dollars la deuxième année, et un demi pour cent de la masse salariale la troisième année;
650 000 $ d’équité salariale la première année;
le paiement du progrès dans le rang chaque année accompagné d’une légère hausse de la valeur des échelons;
annulation de la tentative de l’administration de modifier les dates du progrès dans le rang (d’une valeur d’environ 300 $);
une hausse de un pour cent du salaire de base la troisième année;
le versement de 2 700 $ aux professeures qui ont pris leur retraite entre 1990 et 1996;
les désaccords au sujet de la formule de paiement de l’équité salariale ou des anomalies seront tranchés par le médiateur qui agira en tant qu’arbitre;
l’article imposé et portant sur la retraite sera modifié et certaines dispositions de la retraite souple seront rétablies. Les personnes dons le fonds de pension est le moins élevé et qui prendront leur retraite seront favorisées. Après leur retraite, elles auront le droit d’enseigner deux cours au 2/3 de leur salaire régulier. D’autres personnes auront le droit d’enseigner mais à un taux réduit. Mesquine jusqu’à la fin, l’administration a tenté d’imposer des conditions aux personnes au bas de l’échelle de manière à ce que peu d’entre elles soient en pratique admissibles à cet avantage. Le syndicat a résisté à cette tentative et a eu gain de cause;
les professeurs émérites auront droit à une indemnité de dépenses professionnelles égale à celle des professeurs réguliers;
une partie de la cotisation de retraite de l’employeur non versée sera accordée chaque année aux membres de l’association des professeurs;
un article sur la technologie qui établit des structures paritaires visant à surveiller l’utilisation de la technologie; des dispositions dans l’article sur la tâche qui accordent aux membres un droit de veto sur la conversion d’un cours à une nouvelle technologie; un libellé dans l’article sur le droit d’auteur qui accorde aux membres un droit d’auteur pour leurs cours et les enregistrements vidéo, multimédias ou autre technologie de pointe qui en découlent. De plus, une somme de 90 000 $ est impartie à la recherche sur l’application de la technologie sous l’égide d’un comité mixte;
un nouveau libellé pour prévenir l’attribution arbitraire des tâches et pour contrôler le nombre d’étudiants par classe, accompagné d’une disposition pour l’audition juste des appels;
un nouveau libellé prévoyant la création d’un comité mixte responsable de l’administration du contrat et habilité à examiner la planification à long terme de l’administration;
un nouvel article sur l’inconduite dans la recherche scientifique.
L’exécutif de l’association de professeurs n’a fait aucune recommandation aux membres bien que le comité de négociation ait accepté en principe le libellé de l’entente de Burkett. Selon ce dernier, il ne pouvait parvenir à un meilleur règlement sans prolonger la grève. Le corps universitaire a accepté avec énormément de réticences le règlement, en particulier le volet salarial et le protocole de retour au travail.
Toutefois, la plupart des membres ont estimé qu’il serait imprudent de poursuivre la grève pendant l’été. Ils ont donc voté à 74,9 p. 100 en faveur du contrat. Dans un suffrage distinct, ils ont en plus exprimé un vote de non confiance à l’égard de l’administration à 79 p. 100.
La grève a soulevé de l’intérêt et une préoccupation envers la direction de l’université qui s’emploie de différentes façons à retirer à l’administration cette autorité. Ainsi, le corps universitaire a constaté pendant la grève qu’il pouvait s’allier à d’autres groupes pour contrôler le conseil d’université. À la réunion de ratification, il est devenu évident que les membres espéraient de leurs dirigeants de poursuivre la lutte contre l’oligarchie qui prévaut à l’Université York grâce à des moyens comme ceux-là.
De nombreuses personnes ont fait remarquer que le conseil d’administration de l’Université Trent avait mis sur pied une commission d’enquête après la grève. Cette commission, formée de Harry Arthurs, ancien recteur de l’Université York, et de Joyce Lorimer, ancienne présidente de l’ACPPU, a proposé des solutions importantes pour la réforme de la direction et les relations avec les employés à l’Université Trent.
Compte tenu du manque de confiance exprimée envers l’administration de York, il est clair que la question de la direction fera l’objet d’un examen minutieux au cours des prochains mois. On peut déjà remarquer une grande activité en ce sens dans les conseils de faculté de la part du corps universitaire. En outre, plusieurs comités paritaires mixtes représentant le syndicat et l’administration et mis sur pied en vertu du contrat s’occuperont de secteurs prioritaires de la vie universitaire.
D’après les solutions apportées, il semble que le corps universitaire de l’Université York soit déterminé à éviter au cours des deux prochaines années que l’oligarchie administrative soit capable de gouverner elle-même l’université.