Il est tentant de penser que nous sommes à un point tournant de l'Histoire. Malgré le ton déclamatoire de cette affirmation, il y a quand même des rapprochements à faire à l'aube de l'an 2000. Celui-ci rappelle d'autres points tournants, notamment l'invention de l'imprimerie à la fin du 15e siècle et le début de l'Époque moderne, la naissance des sciences professionnelles aux 18e et 19e siècles et les guerres mondiales de notre siècle.
Or, la grande question à se poser est de savoir, alors que l'Histoire se fait, si nous pouvons continuer à enseigner et à mener des recherches avec les outils et les conditions de travail requis et avec la liberté universitaire dans le but d'adapter l'université à un nouveau siècle. Ou devrons-nous plutôt perdre toute trace d'influence sur la forme que prendra l'université?
En 1997, nous risquons de perdre et l'autonomie et l'influence. Les intérêts privés n'ont jamais autant investi dans l'enseignement postsecondaire que depuis les années 1950. Les tendances des administrations universitaires à gérer à outrance nous rappellent l'époque des années 1920 et 1930.
Après avoir réussi à obtenir une certaine autonomie, bien souvent au prix de sacrifices, les professeurs des universités canadiennes doivent satisfaire de nouvelles autorités. Les nouveaux patrons sont des comptables et des hauts fonctionnaires enclins à mesurer le rendement. Ce sont des technocrates habitués à faire des affaires, à parler par l'entremise du Conseil canadien des chefs d'entreprise ou les médias. Parfois, ce sont de soi-disant patrons, des collègues qui ont la nostalgie des années 1950.
Les nouveaux patrons veulent que les universités fassent croître l'économie en créant des emplois. Pour y parvenir, le système doit être «différencié».
Nous étions nombreux, voilà trente ans, à faire bon accueil à la «différenciation». Les instituts techniques, les collèges communautaires, les universités offrant seulement le premier cycle et les universités vouées à la recherche des années 1970 sont nés de la demande croissante d'un enseignement postsecondaire accessible à tous. En matière pédagogique, ils répondaient en outre de manière sensée aux exigences d'une nouvelle époque.
Dans les années 1990, les toutes nouvelles formes de l'enseignement postsecondaire sont plus restreintes que celles d'il y a trente ans. Elles sont beaucoup plus liées au milieu des affaires, elles sont moins susceptibles de se préoccuper de la liberté universitaire et elles sont souvent privées. En Colombie-Britannique, par exemple, plus de 1200 établissements privés dispensent de la formation et de l'enseignement. La Technical University of British Columbia, un établissement public qui se considère comme un lieu privé, s'est jointe à ce groupe. Dans l'intervalle, l'administration de l'Université du Manitoba parle de «transformation totale» et de rationalisation. Et la liste s'allonge.
À ces modifications à large échelle se juxtaposent des faits de tous les jours dont certains ont aidé les nouveaux patrons dans leur travail. La retraite prochaine d'une multitude de professeurs d'université et de collège à la fin de la cinquantaine, notamment, a permis à quelques administrations et politiciens de diviser le corps professoral alors que l'unité est des plus importantes.
Les pressions politiques externes continuent de s'intensifier cependant. Les ministres de l'Éducation parlent de l'enseignement postsecondaire comme d'une «industrie», et le complètent par des intrants et des extrants, des mesures d'efficacité et des balises. Le discours sur «l'industrie» détourne l'attention de la mission pédagogique et de transformation de l'université.
De même, après un quart de siècle de hausses des inscriptions et de réduction du financement, les salles de cours sont bondées et achalandées. De plus, alors que nous commençons tout juste à constater les risques pédagogiques de tous ces changements, nos nouveaux patrons insistent pour que nous participions à une campagne en faveur de l'éducation permanente. La poursuite de la formation ravive avec plaisir la vieille idée selon laquelle notre esprit et notre personnalité sont continuellement ouverts aux transformations pédagogiques. Je doute toutefois que cette idée motive les nouveaux patrons. Ils s'affairent plutôt à réfléchir à des modules de cours, à des applets d'information et à l'enseignement par l'intermédiaire d'Internet quel qu'en soit le coût, même si ces tendances accommodent davantage la vie de l'apprentissage.
Les Canadiennes et les Canadiens font face à de difficiles questions. Est-ce que le financement public de l'enseignement postsecondaire continuera de diminuer? Est-ce que la direction collégiale survivra? Est-ce que les objectifs de l'enseignement postsecondaire seront encore guidés par l'idée d'un apprentissage de transformation ou par le marché? Est-ce que nous maintiendrons notre engagement envers une accessibilité élargie et équitable aux études universitaires, aux instituts et aux collèges? Est-ce que la pratique pédagogique conservera son caractère personnel et social ou est-ce qu'elle deviendra un échange d'information atomisé?
La position de l'ACPPU sur ces questions est bien connue. Il n'a jamais ou rarement été aussi important que nous et nos alliés demeurions unis et engagés comme jamais auparavant à faire connaître clairement notre position à chaque Canadien et Canadienn