Le conseil d'université de l'Université Carleton a voté, trois semaines avant Noël, en faveur d'un projet d'abolition de programmes d'enseignement dans deux facultés émanant des cadres supérieurs. À l'instar d'autres universités, le conseil d'université de Carleton constitue la plus haute instance pour les affaires pédagogiques. En théorie donc, cette décision a été prise pour des motifs pédagogiques.
Néanmoins, toutes les personnes présentes à cette réunion ont clairement compris que les programmes visés étaient en fait abolis pour des motifs financiers. Elles ont également compris que ces abolitions entraîneraient le licenciement de professeurs permanents.
Pendant cette réunion, l'administration a refusé de se prononcer sur le nombre de professeurs permanents touchés. Toutefois, d'après les déclarations de cadres supérieurs dans d'autres contextes, le nombre de licenciements pouvait varier de 12 à 26. L'administration a pourtant continué de refuser de préciser le nombre de collègues forcés de quitter l'université au nom du redressement budgétaire lors de négociations subséquentes avec l'association des professeurs.
L'Université Carleton éprouvent de véritables difficultés financières. Après l'élection du gouvernement Harris, toutes les universités de l'Ontario ont vu leurs subventions réduites considérablement pendant deux ans. Bien que toutes les universités aient été touchées par les compressions, la situation de Carleton a empiré sensiblement à cause de la baisse simultanée des inscriptions.
En proportion, les revenus d'exploitation de l'Université Carleton ont donc diminué plus que ceux des autres établissements d'enseignement postsecondaire de la province.
Pour parer au manque à gagner, l'administration de Carleton a réduit l'ensemble des budgets et a invité le personnel universitaire à opter pour un départ volontaire. Les encouragements au rachat d'emploi dans le cadre de ce programme ont principalement contribué à creuser le déficit d'exploitation de l'université. L'administration a toutefois été encline à empirer la situation financière par rapport à la réalité. (En effet, selon des règles comptables, le montant total des rachats doit être inscrit dans les livres de l'exercice au cours duquel des ententes sont conclues, même si les sommes ne seront déboursées que lors d'exercices futurs.)
L'échec de deux projets importants a considérablement grevé le budget, d'un montant équivalent peut-être au tiers des 21,5 millions de dollars du déficit accumulé présentement.
Vu la situation, le recteur de Carleton, Richard Van Loon, a présenté au conseil d'administration un plan de redressement pour éponger le déficit accumulé sur une période de dix ans. Une fois le plan accepté par le conseil d'administration, les cadres supérieurs ont tenté de le concrétiser : il n'est plus considéré comme leur création mais plutôt comme un mandat imposé par le conseil auquel l'université n'avait d'autre choix que de se conformer.
Cette tactique est déloyale, c'est le moins que l'on puisse dire. Il ne fait pas de doute, cependant, que le fait de transformer un objectif auto-imposé en une contrainte «externe» a efficacement contribué à convaincre de la nécessité d'effectuer des licenciements.
À toutes fins utiles, le plan de l'administration consistait fondamentalement à réduire le déficit à zéro pendant l'exercice financier 1998-1999 et à augmenter les surplus de fonctionnement au cours des années suivantes.
Pour parvenir à faire les économies nécessaires dans le but d'atteindre cet objectif, l'administration a proposé d'abolir des programmes de 1er cycle, et quelques programmes de 2e cycle, en langues européennes et en littérature. De plus, il était prévu que le programme de 1er cycle en physique devienne un programme de physique appliquée. Voilà les mesures concrètes en faveur desquelles le conseil d'université de Carleton a voté le 5 décembre. Chose surprenante, il y a eu peu d'opposition.
En rétrospective, nous pouvons constater que l'association des professeurs a commis deux erreurs importantes pendant les 18 mois où l'abolition des programmes était envisagée. Elle aurait pu éviter l'une de ces erreurs, mais probablement pas l'autre.
Pendant la négociation de la convention collective au printemps 1996, l'association des professeurs a accepté de modifier considérablement les dispositions régissant l'excédent de programmes d'enseignement. Essentiellement, on a substitué à la décision du conseil d'université sur l'abolition de programmes une procédure complexe obligeant l'administration à déclarer l'urgence financière avant d'invoquer l'excédent de programmes.
À l'époque, on nous a convaincus que le conseil d'université ne prendrait jamais la décision d'abolir des programmes d'enseignement et que, par conséquent, cette modification ne compromettrait pas réellement la sécurité d'emploi.
Des membres de l'association se sont plaints et ont soutenu qu'ils n'auraient jamais voté en faveur du nouveau libellé de la disposition sur l'excédent de programmes en 1996 s'ils avaient compris à fond les conséquences. Des membres de l'exécutif se sont même interrogés sur la justesse de l'information donnée à l'égard de ce nouveau libellé. Ces réactions sont compréhensibles. Il est inutile cependant de chercher à blâmer quelqu'un après coup.
Conseillé par nos négociateurs chevronnés, l'exécutif de l'association, en échange d'autres concessions, a pris un risque calculé en reconnaissant simplement que le pouvoir du conseil d'université d'abolir des programmes d'enseignement (un pouvoir qu'il possédait déjà en fait) n'entraînerait pas de modification importante.
Nous avions tort. Si nous n'avions pas modifié les clauses d'urgence financière, l'administration de Carleton aurait eu une décision beaucoup plus grave à prendre pour licencier le personnel permanent. Étant donné l'ampleur des problèmes financiers de l'université, rien ne garantissait évidemment que ces clauses auraient empêché des licenciements. Nous devons admettre que les motifs de l'administration ont du mérite car il est vrai que des compressions verticales et ciblées perturberont moins que des licenciements effectués dans l'ensemble de l'université (quelle affreuse publicité) à la suite d'une urgence financière.
Il demeure néanmoins que notre décision de 1996 a grandement aidé l'administration à soumettre un plan financier incluant le licenciement de professeurs permanents.
Nous avons commis une deuxième erreur lorsque nous n'avons pas réussi à élaborer une solution budgétaire de rechange crédible au plan de redressement de l'administration. Nous ne nous sommes pas rendus compte assez vite que nous devrions contester immédiatement les deux hypothèses fondamentales sous-tendant le plan : que c'est notamment en réduisant les dépenses et non pas en augmentant les revenus que l'on trouverait le salut et que le déficit devait être épongé en 1998 afin de pouvoir créer des surplus par la suite.
Dès la conversion du programme de remboursement auto-imposé en un «mandat» sanctionné par le conseil d'administration, l'administration pouvait invoquer le caractère inévitable des licenciements et de l'abolition des programmes avant l'échéance de 1998.
De plus, on a donné l'assurance que seul un petit nombre de programmes et de postes serait sacrifié à l'étape finale du redressement. D'ailleurs, le recteur a sans cesse insisté sur le caractère unique de ces licenciements.
«Nous ne le ferons plus», a-t-il promis pour rassurer le personnel universitaire lors d'une assemblée générale du conseil de faculté à l'automne. Cette façon de présenter la situation en mettant l'accent sur l'inévitabilité des compressions tout en soulignant leur caractère unique et sélectif a donné lieu à des réactions du genre «bien c'est tant pis, on n'y peut rien -- et au moins ce n'est pas moi».
L'association des professeurs négocie présentement avec l'administration dans le but de réduire le nombre réel de licenciements et d'augmenter les possibilités de recyclage et de mutations internes. Au moment de la rédaction du présent article, les résultats étaient peu concluants. Le négociateur a fait savoir que l'administration n'était pas disposée à faire particulièrement montre de générosité dans cette affaire.
Par la même occasion, nous avons demandé au recteur Van Loon de donner suite à sa promesse en s'engageant officiellement envers l'association des professeurs à ne plus abolir d'autres programmes ni à faire d'autres licenciements.
Avant la réunion fatidique du conseil d'université, les promesses catégoriques du recteur constituaient peut-être l'arme la plus puissante de l'arsenal de l'administration. Ses déclarations ont efficacement neutralisé l'autre interprétation selon laquelle l'administration avait plutôt l'intention de créer un précédent pour amener des licenciements supplémentaires l'année prochaine, plus considérables cette fois.
Nous demandons maintenant au recteur de prouver que ses promesses étaient sincères et qu'elles n'étaient pas un stratagème. Malgré les différences qui nous opposent, nous ne souhaitons pas douter de sa bonne foi. Nous fournissons donc en ces pages à M. Van Loon l'occasion de dissiper publiquement les rumeurs sur l'abolition d'autres programmes en consolidant ses déclarations antérieures en une promesse officielle.
Nous avons convoqué une assemblée générale de l'association des professeurs pour le 16 janvier. Nous espérons instamment pouvoir présenter à nos membres l'engagement du recteur. Si l'assurance que nous demandons ne se concrétise pas, l'association devra revoir en profondeur toute sa position à l'égard de la ronde de négociations de cette année.
E. Peter Fitzgerald est président de la Carleton University Academic Staff Association.