Êtes-vous fatigué d'enseigner en milieu universitaire? Croyez-vous sincèrement à ce que vous accomplissez? Avez-vous peur de ce que vous réserve l'avenir? La vie dans votre université est-elle devenue triste, pour ne pas dire atrabilaire?
Voilà formulées quelques-unes des questions que pose le développement contemporain de l'université à chacun des professeurs en milieu universitaire.
Aujourd'hui, après plus de sept siècles très riches en transformations, les universités actuelles, bien qu'elles ne ressemblent pas beaucoup à leurs aînées, continuent d'être la structure d'enseignement et de recherche la plus universelle dans le monde. Elles représentent au-delà des traditions nationales et les défis à venir, un espace d'autonomie possible face à des forces plus ou moins contrôlables. Cet espace d'autonomie est aussi confirmé par les flux croissants d'étudiants et d'enseignants qui circulent à l'échelle européenne ou mondiale et forment ainsi, la seule vraie pourtant invisible université, celle de la volonté du savoir. (Adapté de Christophe Charles, le Monde de l'éducation, octobre 1997, p.32)
Au course des dix dernières années les universités canadiennes ont eu à faire face à de nombreux changements : le définancement, la technologie de l'information, la globalisation de l'économie et la concurrence accrue entre les établissements universitaires, la rationalisation.
Ces changements ont conduit la direction à privilégier d'une part, un style de gestion beaucoup plus centralisateur et d'autre part, à adopter un langage économique susceptibles de mettre en danger la poursuite de cette volonté du savoir.
Le style de gestion centralisateur charrie une notion de leadership de haut en bas : une force qui amène le système au bout de ses limites par une pression de haut en bas de la part de ceux qui sont en position d'autorité (Gilles Paquet, Université d'Ottawa, Faculté d'administration, Document de travail 96-11). Cette idée de leadership connote une notion de gouvernance marquée par la hiérarchie et les liens verticaux de commandement. Le leader demande qu'on lui obéisse, et qu'on lui soit loyal. Ce style de gestion n'est pas toujours très compatible avec la culture du milieu universitaire.
L'adoption du langage économique consiste pour sa part à soumettre les universités à une logique de la marchandise, du rendement et de la transaction monnayée. Dans ce langage mercantile, les diplômes deviennent des produits, les étudiants des clients, le nombre de diplômes un rendement annuel, les universités des supermarchés du savoir et des ouvertures de postes des appels d'offre. (Denise Angers, Université, FQPPU, octobre 1997, p.24)
On conçoit facilement que la centralisation de la gestion et la conception économiste de l'établissement universitaire ne vont pas faciliter l'accomplissement des fonctions associées à l'avancement et à la transmission du savoir : recherche, innovation, enseignement et formation, éducation permanente. (Jacques Delors, Rapport de l'UNESCO, L'éducation -- un trésor est caché dedans, 1996, p.146) Le lecteur désireux d'en apprendre davantage peut consulter les trois ouvrages suivants : Le naufrage de l'université de Michel Frietag, publié chez Nuit Blanche éditeur en 1994, celui de Bill Readings University in Ruins, publié chez Harvard University Press en 1996 ou encore celui de Lawrence C. Soley, Leasing the Ivory Tower, publié chez South End Press en 1995.
Ces trois auteurs s'interrogent sérieusement sur ce qui restera de la mission, de la vision, de l'autonomie de l'université et de l'indépendance de la recherche dans notre société une fois que les universités nord-américaines seront privatisées et gérées à la manière des entreprises.
Nous savons tous que les universités canadiennes sont engagées dans un processus de transformation en profondeur imposé principalement par les compressions budgétaires dont elles ont été victimes au cours de la dernière décennie. Bien que ce processus ne doive pas remettre en question la démocratisation de l'université , son accessibilité et son ouverture aux étudiants issus des groupes qui n'avaient pas la pratique culturelle de l'enseignement supérieur, il est impératif de privilégier d'une part, l'adoption d'un type de leadership transversal (Paquet, 1996) propice à l'organisation universitaire. Ce type de leadership met l'accent sur la conversation entre les leaders et le personnel dans un cadre propice à l'apprentissage social, où le dialogue se déroule dans un environnement marqué par l'écoute, le tact, la civilité, ajoutons, la transparence et l'imputabilité.
D'autre part, il faut se débarrasser du langage mercantile parce que, contrairement au discours de plus en plus répandu, l'instruction (la dissémination de la connaissance) n'est pas un produit et l'apprenant n'est pas et ne sera jamais un client.
L'apprenant est un être à élever, une personne qui doit développer son ouverture d'esprit et développer une compétence dans le but de s'insérer dans une société en mouvance, qu'il aura à modifier, à transformer et à faire évoluer. Pour que l'on puisse dispenser une connaissance à un étudiant, il faut que ce dernier ait la capacité de l'assimiler. Peu importe l'origine de cette capacité, il n'en demeure pas moins que n'importe qui n'est pas capable d'avaler n'importe quoi et qu'il serait faux de prétendre que tous ceux issus du baccalauréat, de la maîtrise et du doctorat sont égaux. Voilà ce qui fait que le savoir n'est pas et ne sera jamais un produit pourvu que les professeurs auront toute la latitude pour évaluer la performance de l'apprenant.
Tout le monde sait qu'il existe une loi fondamentale du commerce stipulant que tout le monde est apte, par supposition, à se servir d'un produit. Si l'université fonctionne ainsi, c'est bien parce que le savoir y est défini comme un produit dû à tous, garanti à tous. Et personne ne sait comment cette garantie est assurée. Ainsi, il nous faut récuser le voeu pieux basé sur la satisfaction du client, d'abord parce qu'on ne le satisfait pas, mais aussi et surtout parce que cette satisfaction n'est pas la mission de l'université. Il est plutôt important de reconnaître que chacun a le droit d'étudier, mais, il est primordial d'informer l'apprenant qu'il a d'abord et avant tout le devoir d'étudier.
Ce constat s'applique à de nombreuses universités et il est grand temps pour nous de placer l'apprenant au centre de notre source d'inspiration pour mobiliser tout le monde et nous aider à répondre positivement aux questions posées au tout début de cet article.
Au cours des dernières années les universités sont entrées dans le cycle de la démobilisation. À vouloir aller trop vite, plusieurs ont reculé ou même régressé. La gestion de l'éducation comporte des caractères distinctifs : caractère social et démocratique, elle s'adresse avant tout à l'humain et au monde des valeurs, elle occupe une zone ouverte et publique où s'entrecroisent plusieurs partenaires (voir Roland Arpin Une école centrée sur l'essentiel, Édition Fides, 1995), et pour reprendre la bonne direction, il faut briser le cercle vicieux du court terme et bâtir sur une vision de l'université centrée sur l'apprenant (Adapté de Madeleine Chenette, Gestion, hiver, 1997, p.28). Ce projet ne peut se faire qu'avec l'apport du corps professoral. Les dirigeants doivent favoriser l'émergence du sens du travail en permettant aux professeurs de redécouvrir leur profession d'enseignant et de chercheur universitaire et de démontrer un courage administratif pour mettre fin au marchandage des diplômes et valoriser à nouveau l'instruction et la mission de l'université.