Le courrier électronique est devenu l'un des moyens privilégiés de communication dans plusieurs milieux. Longtemps confiné à certains milieux de la recherche, il est devenu, à la faveur de la pénétration d'Internet un moyen usuel d'échange, de discussions et de transmission d'informations entre les membres de la plupart des communautés universitaires.
Dans la très grande majorité des cas, le courrier électronique rend d'immenses services et permet des contacts qui étaient impensables il y a seulement quelques années. Mais comme tout environnement de communication, il peut arriver que le courrier électronique soit le lieu de diffusion d'information causant des préjudices aux personnes ou aux institutions. Par exemple, on a signalé certains incidents où des correspondants avaient porté atteinte à la réputation, à la vie privée de personnes. Dans d'autres cas, le courrier électronique a été utilisé pour transmettre des messages constituant du harcèlement sexuel ou racial. Enfin, dans d'autres situations, le courrier électronique a été utilisé pour transmettre des oeuvres en violation des droits d'auteur ou encore pour acheminer des messages qui tombent sous le coup de la législation en matière criminelle comme la propagande haineuse ou la pornographie.
En pareilles situations se pose forcément la question de savoir qui répond des fautes commises lors de l'utilisation du courrier électronique. D'entrée de jeu, il faut convenir que les individus qui utilisent le courrier électronique pour commettre des actes délictueux sont responsables de leurs actes. Mais cela n'est pas toujours aussi simple. Il arrive en effet que le premier responsable du message délictueux soit situé à l'étranger ou est impossible à identifier en raison des possibilités de communiquer sous le sceau de l'anonymat. Alors on est tenté de mettre en cause la responsabilité de l'entité qui exerce la maîtrise sur le serveur par lequel transitent les messages.
Le fonctionnement du courrier électronique se présente comme suit. Suite à une demande d'envoi d'un message par utilisateur, le protocole de transmission TCP/IP procède au découpage du message en une série de paquets. De dimension fixe, ces paquets sont acheminés sur les voies électroniques les uns à la suite des autres après que certaines informations portant, en outre, sur l'expéditeur, le destinataire et le numéro du paquet dans la séquence, leur aient été accolées. Les paquets peuvent emprunter des chemins différents et, une fois rendus à destination, ils sont automatiquement "remis en forme," pour constituer le message transmis. Les messages sont reçus par le serveur de courrier auquel est raccordé l'ordinateur du destinataire. De la même façon, les messages expédiés par un usager transitent par le serveur auquel il est raccordé. Lorsque les messages sont reçus par le serveur, ils sont soit acheminés, à des intervalles plus ou moins réguliers tandis que les messages destinés à une personne raccordée au serveur sont conservés dans une boîte à lettres électronique qui est un dossier situé physiquement sur le serveur de courrier.
Le maître du serveur de courrier se trouve donc, en principe du moins en position d'exercer un certain droit de regard sur les messages transmis. C'est pourquoi on considère généralement que la responsabilité qu'il aura à assumer à l'égard des messages qu'il transmet dépend du rôle qu'il joue effectivement dans la communication de ces messages.
Le courrier électronique peut, selon les usages des différents milieux, donner lieu à de multiples cas de figure. Ainsi, le serveur de courrier peut tenir une position de simple transporteur et ne ja-mais intervenir dans les contenus transmis. À l'autre extrême, le serveur pourra se réserver un droit de regard sur les contenus transmis au point qu'on pourra le comparer à un éditeur de journal qui choisit et se rend responsable des messages diffusés. Comme hypothèse intermédiaire, on peut comparer le maître du serveur de courrier à un propriétaire d'un lieu qui n'est pas en principe responsable des faits et gestes de ses locataires sauf s'il en a connaissance ou pire, s'il en tire profit. Aussi, la responsabilité du maître de serveur de courrier électronique est fonction de l'intensité du contrôle qu'il exerce sur l'information transmise de même que du degré de connaissance de la teneur de l'information.
Plus le maître du serveur suit une politique de surveillance étroite du courrier, plus il s'expose à devoir en répondre. En revanche, un serveur de courrier qui met en place des lignes de conduite clairement énoncées et selon lesquelles il s'interdit d'intervenir dans les messages transmis sauf dans les situations où il est manifeste qu'un abus a été commis, sera en meilleure position pour démontrer qu'il n'a pas à supporter la responsabilité pour des messages délictueux. Il lui est en effet plus facile de montrer qu'il ne pouvait avoir connaissance de tels messages, qu'il n'exerçait aucun contrôle à leur égard et, le cas échéant, qu'il a pris toutes les mesures nécessaires afin de limiter les dommages lorsqu'il lui a été clairement signalé que des informations délictueuses se trouvaient sur le serveur.
Aussi, il est avantageux pour les maîtres de serveurs de courrier électronique de diffuser leurs lignes de conduite et de prévenir leurs usagers qu'ils assument au premier chef la responsabilité de ce qu'ils transmettent par courrier électronique. Il est important d'indiquer les circonstances dans lesquelles le maître de serveur prendra sur lui de retirer un message délictueux. Dans la plupart des cas, cela se fait dans des situations extrêmes et lorsque le caractère fautif du message saute aux yeux.
(Pierre Trudel est professeur à la faculté de droit de l'Université de Montréal.
L'ACPPU a demandé au professeur Pierre Trudel, du Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal, de faire une communication à sa conférence sur les griefs et l'arbitrage tenue à Ottawa du 30 janvier au 1er février 1998 sur la responsabilité légale des opérateurs de serveurs de courrier électronique et de rédiger un sommaire devant être publié dans le Bulletin. M. Trudel résume les critères à retenir pour attribuer la responsabilité légale à l'utilisateur du serveur de courrier électronique ainsi que les responsabilités des autres intervenants qui participent aux échanges de courrier électronique sur Internet.