Pour nombre de Canadiens et Canadiennes, le printemps est le temps de nettoyer la maison de fond en comble, de mettre de l'ordre dans le jardin et de rénover la maison. D'ailleurs, pour nombre d'entre nous, l'idée même de rénover suscite autant de curiosité que d'appréhension : faudrait-il repeindre la cuisine ou construire un bureau au sous-sol? Faudrait-il ajouter un nouvel étage? Nous consultons notre famille et nos voisins pour savoir ce qu'ils aimeraient peut-être (ou ce qu'ils toléreraient). Puis, nous regardons notre compte de banque : avons-nous les moyens de le faire? Cette dépense et les efforts en valent-ils vraiment la peine?
Lorsqu'ils décident de rénover, trop souvent les gouvernements déplacent des salles entières, enlèvent des étages complets, «reconçoivent» toute la structure et invitent les étrangers à s'y installer pour toujours.
Pour qualifier cette situation, il existe des termes populaires comme «restructuration», «rationalisation» et «privatisation». Je crois toutefois que nous pouvons et que nous devons faire une distinction entre la «rénovation» et la «restructuration » dans le contexte universitaire canadien.
La majorité de Canadiens et Canadiennes à qui j'ai parlé au cours des dix dernières années s'inquiètent peu de la «rénovation» dans le secteur postsecondaire. Certes, ils ont parfois de la difficulté à juger de l'importance de nouvelles disciplines ou de nouvelles orientations à de vieilles disciplines. La rénovation est toujours un peu difficile.
Que l'on pense, par exemple, à l'implantation lente et parfois pénible de l'histoire, de la littérature française et anglaise, de la physique mathématique, de la sociologie et de l'anthropologie, des études en droit, en médecine, en travail social, en administration, en éducation, en sciences infirmières et bien plus. Toutes ces disciplines ont enrichi la vie intellectuelle et pédagogique de nos universités et collèges.
Dans l'intervalle, le système a noué des liens nouveaux et serrés avec la collectivité qu'il dessert. Bien que nous nous plaignions que l'administration de nos universités ne soient pas terriblement transparente, il demeure vrai que le système collégial et universitaire, dans son ensemble, est ouvert à l'étude et à l'analyse.
En dernier lieu, le système est plus accessible que jamais car les Canadiens et Canadiennes s'y inscrivent massivement depuis 1945.
Au cours de ces années, notre système a prouvé qu'il ne craignait pas la rénovation. Il s'est montré capable de réagir aux changements sociaux et économiques et a pris le virage nécessaire lorsque de bonnes raisons économiques, historiques ou politiques le justifiaient. Encore mieux, l'expérience a révélé que le système est à son meilleur lorsque les universités et les collèges sont autonomes pédagogiquement, dirigés en collégialité et financés suffisamment.
Par contre, le contraste avec la restructuration est extrême. Pensons seulement à la popularité que suscitent dans tout le Canada les fusions de départements, voire de facultés.
Ainsi, à l'Université de Calgary l'hiver dernier, l'administration centrale a proposé de réunir 14 des 16 facultés en quatre groupes même si elle convenait que cette tactique n'entraînerait aucune économie et même si elle n'a pas prouvé qu'elle avait un fondement intellectuel. De plus, le groupement découlait d'aucune consultation importante au conseil d'université, aux conseils généraux des facultés ou à d'autres instances universitaires de l'établissement. Pourquoi le faire alors?
Au Manitoba, le Conseil sur l'enseignement postsecondaire, relevant du gouvernement conservateur, explore les limites de ses pouvoirs à mesure qu'il commence à révéler sa vision de l'enseignement postsecondaire dans la province. Le Conseil étudie les indicateurs de rendement et sa compétence à contourner les conventions collectives en vue de gérer à outrance les universités du Manitoba.
Il semble, par ailleurs, que le Conseil préférerait, s'il le pouvait, fermer la faculté des sciences de l'éducation de l'Université du Manitoba au profit de l'Université Brandon ou de l'Université de Winnipeg en raison des coûts plus élevés à la première. Pourquoi ces coûts sont-ils plus élevés? Selon le Conseil, l'Université du Manitoba compte trop de professeurs titulaires et agrégés alors que les autres établissements ont l'avantage d'avoir plus de chargés de cours formant les futures générations d'enseignants.
Le but de la restructuration n'est pas l'efficacité, ni une qualité supérieure, ni un accès plus large et plus équitable. La restructuration doit viser le renforcement du pouvoir central, que ce soit celui des recteurs, ou plus vraisemblablement, le pouvoir des fonctionnaires provinciaux et des vérificateurs, le remplacement des critères universitaires d'excellence par ceux du marché et l'imposition de la «discipline» du marché au lieu d'un accès étendu quant aux frais de scolarité, au financement public, etc.
Nous ne parlons pas de la peinture à refaire au Manitoba, à Calgary, et ailleurs. Nous parlons d'un réaménagement systématique. Je propose que nous retournions à une rénovation sérieuse, à l'approche qui a fait ses preuves par le passé.