Le discours public sur les universités évolue d'une manière importante, au point de menacer les universités et l'avenir du Canada. Cette évolution s'est traduite par une réduction des objectifs et des avantages de l'enseignement supérieur. De plus, par le sous-financement constant qu'ils imposent aux universités, les gouvernements fédéral et provinciaux ont causé des torts.
Depuis deux décennies, de puissantes forces menées par des groupes comme le Conseil canadien des chefs d'entreprises, la National Citizens Coalition, le Fraser Institute et une bonne partie des grandes entreprises canadiennes, ont préconisé une stratégie très axée sur la concurrence économique et la privatisation.
En 1988, le Conseil des sciences du Canada a rendu public un rapport intitulé Pour réussir dans une économie mondiale dans lequel il affirme ce qui suit :
«Un nouvel ordre économique reposant sur une concurrence à l'échelle planétaire dans les industries à forte concentration de savoir s'installe. (...) À une époque où la réussite économique internationale repose de plus en plus sur le savoir et l'innovation technologique, les universités doivent prendre une part plus active au renouveau économique du Canada. (...) Il faut trouver des moyens de renforcer le rôle que les universités jouent dans l'économie. (...) Celles-ci doivent réorienter certaines de leurs activités pour assurer la formation et la recherche qui répondent aux besoins du secteur privé. (...) Aujourd'hui, les universités privilégient habituellement la culture générale et la recherche fondamentale. (...) Mais, en même temps, les universités doivent contribuer plus efficacement au renouveau économique car elles possèdent le capital humain et intellectuel dont l'industrie a tant besoin pour assurer sa relance. (...) Les systèmes d'embauche, de titularisation et de promotion devraient reconnaître et récompenser le transfert du savoir et de la technologie à l'industrie. (...) Si les universités ne prennent pas les moyens pour répondre aux besoins de la société, celle-ci cherchera réponse ailleurs, et les universités perdront de leur importance.»
Selon l'objectif restreint de l'avantage privé, les besoins de la société sont limités aux besoins économiques du secteur privé tandis que les besoins sociaux, culturels, publics et économiques, plus larges et plus élémentaires, sont passés sous silence.
L'abandon de cet objectif plus large a entraîné un sous-financement général de nos universités par les deux paliers de gouvernement, le remplacement des subventions d'exploitation de base par de l'aide financière ciblée, la hausse considérable des frais de scolarité et leur déréglementation, la privatisation accrue des universités et la précarisation de l'emploi universitaire.
Or, les tenants de l'objectif restreint de l'avantage privé proviennent de tous les milieux et comprennent tant des recteurs d'université que des professeurs. Le comité consultatif de l'Ontario sur les orientations futures dans le domaine de l'enseignement postsecondaire (1996), présidé par David Smith, a mentionné, sans trop d'insistance, les avantages publics et sociaux plus larges, parce qu'il était difficile de leur attribuer une valeur en dollars. Il a toutefois fermement approuvé la déréglementation des frais de scolarité.
Ironiquement, les recteurs et les professeurs qui favorisent le paiement de frais de scolarité plus élevés par les étudiants sont peut-être en train de se faire prendre au piège car les gouvernements décideront sans doute de puiser dans les subventions de fonctionnement de base pour palier les hausses importantes de l'aide financière aux étudiants, devenues nécessaires à cause de la montée en flèche des frais de scolarité.
Un important rapport américain, rendu public récemment, souligne à quel point un débat mal équilibré sur l'enseignement supérieur est ridicule. Le nouveau projet du millénaire sur les coûts, le prix et la productivité du secteur postsecondaire, parrainé par l'Institute of Higher Education Policy, la Fondation Ford et l'Educational Resources Institute, met l'accent sur les conséquences négatives d'une vision restreinte des avantages de l'enseignement postsecondaire. Le rapport, intitulé Reaping the Benefits, et publié en 1998, affirme que le dialogue national, qui s'éloigne des objectifs publics et démocratiques de l'enseignement postsecondaire pour se rapprocher des avantages économiques privés, pourrait modifier sensiblement la façon dont la société investit dans l'enseignement postsecondaire en tant qu'institution sociale fondamentale.
Le rapport conclut que l'objectif restreint du gain privé aura des conséquences négatives sur la capacité du pays à prospérer. Ces conséquences pourraient notamment comprendre de plus en plus de disparités sociales et économiques, des dépenses publiques croissantes en matière de bien-être social, la perte de la compétitivité dans les secteurs technologiques, une baisse générale de la qualité de vie, la dégradation de la santé publique ainsi qu'un engagement civique et une responsabilité des citoyens diminués.
Que les ministres de l'Éducation du Canada en prennent bonne note.