Les administrateurs de l'hôpital des enfants malades (Hospital for Sick Children) et l'Université de Toronto sont au centre d'une controverse qui a causé bien des remous.
Dr Nancy Olivieri, l'un des éminents chercheurs de l'hôpital, est la principale actrice de cette controverse. Il y a trois ans, elle a commis ce qu'elle considère comme une très grosse erreur en concluant une entente de financement pour l'étude d'un nouveau médicament prometteur.
Elle a signé un contrat confidentiel avec Apotex Inc., une compagnie pharmaceutique canadienne. En contrepartie du financement partiel de l'étude du médicament, le deferiprone, Apotex a obtenu les droits des ventes possibles du médicament. Dr Olivieri a accepté que la compagnie soit la propriétaire des résultats de l'étude.
Les intérêts privés et l'éthique en recherche sont entrés en conflit lorsque l'étude du Dr Olivieri a semblé indiquer que le médicament pouvait être nocif. Ce résultat soulève de graves questions quant à la dépendance de plus en plus grande de la recherche vitale envers les fonds du secteur privé.
Dr Olivieri s'intéressait au deferiprone en raison des possibilités qu'il offrait pour le traitement de la thalassémie, une maladie héréditaire du sang. Le seul traitement offert aux patients souffrant de cette maladie est une transfusion de globules rouges qu'ils doivent recevoir une fois par mois. Le traitement entraîne cependant des complications extrêmement graves. En effet, les globules rouges, riches en fer, s'accumulent dans l'organisme, endommageant le coeur et le foie.
Afin d'éliminer la quantité de fer dans leur corps, les patients doivent recevoir tous les jours, à vie, des perfusions de deferoxamine. Le médicament est injecté lentement, pendant douze heures, à l'aide d'une pompe. Le nouveau médicament, le deferiprone, serait administré sous forme de comprimé, ce qui permettrait d'abandonner le traitement habituel, souvent insupportable.
Grâce au financement du Conseil de recherches médicales, Dr Olivieri et son équipe ont fait produire certains des composés et les ont éprouvés sur 21 de ses patients. Au cours des trois années suivantes, les résultats des tests ont démontré un recul régulier des niveaux de fer chez les patients de son groupe d'étude. Ces résultats révolutionnaires ont été publiés dans l'édition d'avril 1995 du New England Journal of Medecine.
Toutefois, ainsi qu'il en est de toutes nouvelles découvertes dans la recherche pharmaceutique, il fallait pousser davantage les travaux pour prouver que le deferiprone était sans danger et efficace à long terme. Les chercheurs ont commencé à planifier une étude plus large avec Apotex, de concert avec le Conseil de recherches médicales du Canada et le National Institutes of Health des États-Unis. C'est à cette étape que Dr Olivieri a signé le malheureux contrat avec la compagnie Apotex.
À l'automne 1995, des biopsies du foie, pratiquées sur certains des patients de Toronto, ont révélé des surplus de fer dangereusement élevés, semant la panique chez les chercheurs. Des niveaux toxiques peuvent compromettre le fonctionnement du foie et entraîner des modifications pathologiques alarmantes et dégénératives causant une cirrhose extrêmement grave.
Dr Olivieri a aussitôt cessé d'administrer le médicament aux patients les plus à risque. Elle était toutefois convaincue, à l'époque, que l'étude devrait se poursuivre sur les patients semblant en bénéficier. Les chercheurs pensaient que le médicament pouvait être efficace pour certains patients. Le seul moyen de s'en assurer était de poursuivre l'étude et de surveiller attentivement les patients.
Dr Olivieri a informé Apotex de ses résultats négatifs et lui a demandé de modifier le formulaire de consentement des patients afin d'y inclure les contre-indications. Ne trouvant pas que des patients étaient à risque, la compagnie a refusé de modifier le formulaire.
Décidant d'aller de l'avant quand même, Dr Olivieri a rédigé un nouveau formulaire et l'a transmis à Apotex en mai 1996. En guise de réponse, la compagnie a retiré au médecin ses fonctions de chercheure principale des études menées à Toronto et la présidence du comité directeur de l'étude internationale. L'étude de l'hôpital des enfants malades a été interrompue et Apotex a confisqué les médicaments entreposés à la pharmacie de l'hôpital.
Dr Olivieri a en outre fait l'objet de menaces de poursuite judiciaire à maintes reprises si elle divulguait à ses patients les résultats de l'étude. Elle l'a fait quand même, estimant que la santé de ses patients était ce qui comptait le plus. Elle croyait aussi que l'hôpital l'appuierait. Toutefois, lorsqu'elle a demandé une aide juridique, l'administration la lui a refusée au motif qu'elle n'avait pas obtenu le consentement de l'hôpital avant de conclure son entente avec Apotex.
Le New England Journal of Medecine a publié cet été l'étude du Dr Olivieri, trois ans après la conclusion de son entente de financement avec Apotex et malgré les prétentions du fabricant selon lesquelles l'étude de la chercheure présentait de sérieuses lacunes.
Devant la pression, l'administration de l'hôpital des enfants malades a annoncé qu'elle effectuerait un examen externe de ses politiques et de ses procédures pour les essais cliniques afin d'assurer la sécurité des patients et l'intégrité scientifique. L'hôpital a toutefois refusé que l'examen traite aussi de l'expérience du Dr Olivieri.
Pour les chercheurs de l'hôpital cependant, cette décision ne va pas assez loin. Une pétition signée par 140 médecins et chercheurs demande un examen interne de l'hôpital qui comprendrait l'évaluation de ce qui est arrivé au Dr Olivieri.
En dépit de la situation, Apotex donne présentement suite à ses projets de breveter et de vendre le médicament au Canada et en Europe.