Les critiques ont tort de dire que le budget ouvre la porte aux dépenses. En réalité, les investissements sont moindres que prévu.
La cuvée 1999 des budgets de Paul Martin a fait baîller d'ennui. La plupart des détails ont été minutieusement révélés aux médias et étaient largement connus des semaines avant même que le ministre des Finances ait choisi une nouvelle paire de chaussures.
Malgré le contenu prévisible du budget, la fureur qu'il a suscitée chez le puissant lobby du milieu des affaires a de quoi surprendre. Les gens d'affaires l'ont vertement critiqué d'avoir refusé d'écouter leurs appels en faveur de plus grosses compressions fiscales et de la réduction de la dette. Pour eux, le ministre des Finances avait quitté ses habits d'austérité pour revêtir ceux de l'extrême prodigalité de jadis.
En apparence, ils semblaient avoir marqué un point. Après tout, M. Martin n'a-t-il pas prétendu que le fédéral injecterait des milliards de dollars dans les soins de santé. On a avancé régulièrement le chiffre de 11,5 milliards de dollars. Bien que cette somme soit impressionnante à prime abord, elle représente cependant la hausse cumulative des paiements de transfert aux provinces au titre de l'assurance-maladie pour les cinq prochaines années. Si M. Martin avait vraiment voulu ouvrir ses goussets, il aurait tout aussi bien pu dire que les Libéraux dépenseraient 100 milliards de dollars sur 50 ans. Il aurait certainement ainsi fait frissonner jusqu'aux os les conseils d'administration de l'entreprise privée du pays.
Il importe de constater, toutefois, que M. Martin fait un tour de passe-passe en voulant montrer qu'il réinvestit beaucoup plus dans la santé qu'il ne le fait en réalité. De fait, si on le rajuste en fonction de l'inflation et de la croissance démographique, le soi-disant budget de la santé augmentera les dépenses par habitant de moins de 2 p. 100 par année. Par conséquent, la part des dépenses publiques totales pour les soins de santé tout en augmentant à l'exercice de 1999 recommencera à diminuer l'année suivante. Après avoir fait une saignée dans les soins de santé, il y met maintenant un pansement.
D'autres programmes connaissent un sort pire. Malgré un excédent budgétaire gonflé, les sommes soustraites aux transferts au titre de l'enseignement postsecondaire et des services sociaux n'ont pas été rétablies. Les dépenses totales de programmes en proportion de l'économie continueront de fléchir à son niveau le plus bas en 50 ans en dépit d'une modeste hausse du financement de la santé. Cette baisse se poursuivra pendant l'exercice de l'an 2000. En qualifiant le ministre Martin de grand dépensier on montre peut-être que l'on a des dents mais, dans les faits, on a tort.
Le budget a également annoncé une modification importante de l'administration du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS). Ce transfert, par lequel le fédéral verse aux provinces des crédits au titre de la santé, de l'enseignement postsecondaire et de l'assistance sociale, sera le même montant par habitant pendant trois ans. À l'heure actuelle, la répartition des crédits du TCSPS varie à cause de limites appliquées à l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique en vertu d'ententes de financement antérieures. Ces trois provinces sortent les grandes gagnantes de la nouvelle formule de financement égal par habitant. L'Ontario seulement s'attend à toucher un milliard de dollars supplémentaires au cours des deux prochaines années.
Bien qu'elle vise à résoudre certaines des inégalités du TCSPS, la nouvelle formule soulève d'autres problèmes. Aucune province ne sera perdante mais les provinces les plus riches recevront une plus large part des hausses du TCSPS. Les tollés de protestation entendus au Québec au cours des dernières semaines sont en réaction à cette constatation.
La nouvelle formule par habitant peut aussi être injuste à un autre égard : elle ne tient pas compte des besoins différents de chaque province. Ainsi, en vertu des mesures proposées, Terre-Neuve touchera le même montant par habitant pour l'aide sociale que l'Alberta. On sait cependant que Terre-Neuve possède un taux de pauvreté beaucoup plus élevé et le plus grand nombre de prestataires de l'aide sociale. On peut dire de même pour les provinces ayant le plus grand nombre d'inscriptions dans les établissements d'enseignement postsecondaire. En somme, peu importe les besoins, toutes les provinces recevront le même montant par habitant au titre du TCSPS.
D'un point de vue plus positif, les mesures budgétaires prévoient une hausse du financement de la recherche de 1,4 milliard de dollars sur trois ans. Cependant, si l'on met les choses en perspective, les compressions fiscales annoncées coûteront au trésor fédéral environ 1,5 milliard de dollars pour la première année seulement.
Des crédits supplémentaires de 200 millions de dollars seront affectés à la Fondation canadienne pour l'innovation. L'Agence spatiale canadienne recevra 430 millions de dollars et l'Institut canadien d'information sur la santé, 95 millions de dollars. Pendant deux ans, 140 millions de dollars seront injectés dans la création des Instituts canadiens de recherche en santé. De plus, le CRSH et le CRSNG auront droit à une hausse modeste mais combien nécessaire de leurs crédits.
Bien que ces sommes supplémentaires soient certainement accueillies avec satisfaction, il importe d'être prudent pour deux raisons. D'abord, une bonne partie des nouveaux fonds sont liés à des partenariats avec le secteur privé, ce qui soulève à nouveau le problème de la liberté universitaire et de l'indépendance de la recherche.
En deuxième lieu, les nouveaux fonds ne remplacent aucunement le financement de base des universités et des collèges du Canada. L'enseignement postsecondaire ainsi que l'assistance sociale et l'assurance-emploi ont soutenu le plus gros des mesures d'austérité du ministre Martin. Son refus de ramener les sommes qu'il a soustraites à ces programmes à la suite de ses coupes sombres est particulièrement inquiétant compte tenu de la marge de manoeuvre financière dont il jouit. Même les prévisionnistes les plus conservateurs admettent que M. Martin s'attend à un excédent budgétaire de 10 milliards de dollars pour l'exercice financier de 1999, plus qu'il n'en faut pour compenser la ponction de 3,7 milliards de dollars faite à l'enseignement postsecondaire et à l'assistance sociale depuis 1995.
Il est donc difficile de comprendre le courroux du milieu des affaires. Les «nouvelles» dépenses du ministre Martin sont à faire pleurer, rien de moins. Il aurait pu facilement affecter au moins trois fois plus à la reconstruction de nos infrastructures sociales sans mettre en péril le budget équilibré convoité.
Même si la crise fiscale qui a motivé, semble-t-il, les coupes sombres dans les programmes est terminée, le dernier budget de M. Martin maintient la tendance à la rationalisation et à l'abolition de programmes. Pour cette raison, on continuera de se réjouir sur la rue Bay.
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Traduit de l'article «Paul Martin's Shell Game».