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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

mai 1999

Un groupe d'experts prône la commercialisation de la recherche

Dans une lettre bien sentie adressée au ministre John Manley la semaine dernière, le président de l'ACPPU, Bill Graham, lui a recommandé vivement de mettre un terme au rapport controversé prônant une plus grande commercialisation des résultats de la recherche universitaire.

Cette lettre fait suite à la résolution que le Conseil de l'ACPPU a adoptée à l'unanimité contre le projet de rapport rédigé par le Groupe d'experts sur la commercialisation des résultats de la recherche universitaire intitulé Public Investments in University Research: Reaping the Benefits, et rendu public à la fin de mars.

Les auteurs du rapport demandent que la commercialisation devienne la quatrième mission de l'université, aux côtés de l'enseignement, de la recherche et du service à la collectivité.

Ils proposent également que tous les droits de propriété intellectuelle détenus sur les recherches subventionnées par les deniers publics appartiennent à l'université dans le but de faciliter leur transfert au secteur privé. La propriété serait dévolue aux universités au moyen d'une loi fédérale ou d'une politique des conseils subventionnaires qui refuserait l'octroi de subventions aux chercheurs dont l'université ne détient pas de propriété intellectuelle sur tous les résultats de recherche.

En outre, le rapport revendique plus de crédits pour les universités afin qu'elles puissent étendre leurs bureaux et leurs activités de commercialisation. Les auteurs du rapport proposent aussi de stimuler les affaires à l'aide d'allégements fiscaux dont bénéficieraient les salariés à revenu élevé et les titulaires d'options sur des actions aux employés. Enfin, dans une conjoncture de plus en plus favorable à la commercialisation, le rapport recommande que le gouvernement envisage d'augmenter les fonds pour la recherche universitaire.

«Dans son rapport, le Groupe d'experts montre peu de compréhension à l'égard des universités et des conditions qui les rendent valables pour la société», a déclaré Bill Graham. «Nous sommes profondément préoccupés par cette exhortation à la commercialisation pour en faire une des missions clés de l'université, au même titre que l'enseignement, la recherche et le service à la collectivité. Notre système public d'enseignement joue un rôle capital dans le maintien du caractère et des objectifs de la vie sociale, économique et politique canadienne. Pour y parvenir, nos établissements d'enseignement publics doivent être libérés de liens obligatoires avec les secteurs privés et commerciaux ou avec d'autres intérêts particuliers. C'est pourtant ce que le rapport recommande.»

Le rapport s'attaque aux chercheurs universitaires et laisse entendre, au seul endroit du document en italique et en caractères gras, que leur comportement est anti-canadien, soutenant que leur laisser la propriété intellectuelle «équivaut à fournir un moyen de transférer massivement à l'extérieur une précieuse technologie».

«Cette critique est mal placée», a poursuivi M. Graham. «Elle omet la longue tradition des entreprises canadiennes de pointe qui courtisent activement les intérêts étrangers pour mieux prendre de l'expansion. De plus, la plupart des inventions brevetables, si elles ont de la valeur, constituent des améliorations mineures à des produits ou à des procédés de fabrication existants. Elles intéresseront principalement les entreprises déjà dans le secteur, dont nombre d'entre elles sont étrangères. Certes, la protection des intérêts canadiens n'est guère facile. Il est toutefois injuste et trompeur de rejeter la responsabilité du problème sur les chercheurs universitaires.»

M. Graham a en outre déclaré au ministre que le groupe d'experts ne semblait pas tenir compte de l'histoire du développement scientifique. «L'intérêt résolu du rapport dans la commercialisation empêche de voir que la plupart des découvertes d'ultime importance commerciale sont le fruit de la recherche fondamentale dont les retombées commerciales semblaient peu probables au départ», a-t-il ajouté.

«Si les politiques que le groupe d'experts a recommandées avaient été mises en oeuvre il y a plus de 100 ans, une grande partie de la recherche de la plus haute importance commerciale aurait eu peu de soutien.»

Selon M. Graham, le rapport traduit une insensibilité à l'importance des valeurs sociales et culturelles qui sous-tendent une bonne partie de la recherche profitable aux Canadiens et Canadiennes et dont les dérivés n'ont aucune valeur commerciale.

L'ACPPU a en outre fait part de ses préoccupations quant à la manière dont le rapport a été préparé et à la hâte excessive avec laquelle on l'a fait valoir.

«Les professeurs ou les chercheurs n'ont pas été consultés avant que le rapport nous parviennent le 28 mars», a déclaré James Turk, le directeur général de l'ACPPU. «On nous a ensuite dit que le rapport serait soumis au Conseil consultatif des sciences et de la technologie le 11 mai et au Cabinet le 29 mai.»

De toute évidence, le gouvernement fédéral ne voulait pas réellement de commentaires», a-t-il ajouté.

Le groupe d'experts est présidé par Pierre Fortier, pdg de Innovitech Inc. (six des neuf membres du groupe sont présidents ou vice-présidents de sociétés privées, dont la Banque Royale et Nortel Networks). Deux membres représentent les administrations universitaires : James Murray, vice-recteur adjoint à la recherche et aux relations industrielles de l'Université de l'Alberta et Robert Miller Junior, vice-recteur adjoint à la recherche de l'Université de Washington à Seattle. Le dernier membre est Tom Brzustowski, président du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.

Des exemplaires du projet de rapport ont été distribués à chaque association de professeurs à l'assemblée d'avril du Conseil de l'ACPPU. Le rapport devrait être disponible au bureau des associations locales.

Traduit de l'article «Minister Rapped for Reaping the Benefits».