Les défenseurs de la commercialisation de l'enseignement supérieur et de la recherche financés par les deniers publics ne lâchent pas le morceau. De petites équipes de gens du gouvernement tiennent des consultations à divers endroits au sujet du rapport du Groupe d'experts sur la commercialisation des résultats de la recherche universitaire. Ils disent à tout le monde que le rapport est bien accueilli. Ils disent la même chose au gouvernement fédéral. Ils disent que le Conseil consultatif des sciences et de la technologie du premier ministre l'a déjà approuvé.
Au début d'octobre, des représentants de l'ACPPU ont rencontré Tom Brzustowski, président du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, et deux autres personnes pour discuter des recommandations du Groupe d'experts. L'ACPPU a déclaré à Tom Brzustowski que le rapport méritait d'être jeté à la poubelle. Nous avons décrit en détail les vices fondamentaux du rapport, de la suggestion de faire de la commercialisation la mission fondamentale des universités (touchant ainsi les promotions et la permanence) en passant par le traitement accordé à la propriété intellectuelle par la création de sous-divisions vouées à la commercialisation et à un groupe de tyrans de l'innovation.
L'ACPPU a en outre déclaré à la délégation qu'elle était prête à participer à un rapport bien conçu et équilibré sur le lien entre la recherche fondamentale et appliquée. L'ACPPU, en effet, ne s'est jamais opposée à la recherche appliquée ou à sa commercialisation tant que sont préservées les priorités et la liberté universitaires, et tant que la recherche financée par les deniers publics s'effectue dans l'intérêt public et pour le bien collectif.
Il est remarquable de constater que même de nombreux membres de la «collectivité de l'innovation» dans les universités canadiennes, à savoir ceux qui participent déjà au transfert des connaissances à des fins commerciales, ont condamné le rapport. John Polanyi, lauréat du prix Nobel, l'a fait à maintes occasions. Selon lui, le critère de la création de richesses domine et il constituera la principale menace pour les universités au cours des dix prochaines années.
Des forces puissantes soutiennent toutefois le rapport. Il n'est pas apparu inopinément et il ne peut non plus disparaître parce que des personnes avisées s'y opposent. Son message de base circule d'ailleurs depuis de nombreuses années. Le rapport définit ainsi la commercialisation : «Innovation : le processus qui consiste à commercialiser de nouveaux produits et services, ou le résultat de ce processus.» Il y a quatre ans, le ministère fédéral de l'Industrie a parrainé un symposium sur le financement de la recherche, de concert avec les trois conseils subventionnaires et des sociétés comme l'Alcan et Northern Telecom. Or, le message était le même. Le président nouvellement nommé du CRSNG, Tom Brzustowski, a défini l'innovation comme le «processus qui consiste à commercialiser de nouveaux produits et services, à valeur ajoutée».
Sept ans plus tôt, en 1988, le Conseil des sciences du Canada terminait une enquête de trois ans sur les liens université-industrie et concluait, dans son rapport, que les universités devaient participer davantage au renouveau économique du Canada en réorientant leurs activités pour pouvoir fournir l'enseignement et la recherche dont le secteur privé a besoin.
Selon Ursula Franklin, métallurgiste et professeure émérite à l'Université de Toronto, l'enjeu est la prise de pouvoir commerciale de l'enseignement supérieur. Elle a prononcé le discours-programme à la conférence de l'ACPPU intitulé «Universities and Colleges in the Public Interest: Stopping the Commercial Takeover of Post-Secondary Education». Par le passé, l'État et l'armée mobilisait le savoir pour leurs intérêts de recherche. La commercialisation est simplement la privatisation de la guerre. Cela a bien fonctionné pour les militaires; cela fonctionne bien pour le secteur privé.
Les professeurs et les bibliothécaires d'université doivent dès maintenant réagir clairement et sans hésiter. La création, la préservation, la diffusion et l'échange libres et sans entrave des connaissances sont en jeu. Les universités sont plus que des sites de production (dans le sens commercial du terme) mais les forces qui s'opposent à elles sont grandes. Le Conseil canadien des chefs d'entreprise et ses penseurs de droite veulent empêcher que le fédéral verse davantage de crédits de base aux universités en faveur d'un financement ciblé. Ils veulent promouvoir des partenariats entre les universités et le secteur privé pour le bien de l'exploitation commerciale du savoir créé par les chercheurs universitaires. Dans la langue d'Orwell du gouvernement fédéral, les objectifs et les gains du secteur privé se traduisent en «bien collectif»; les professeurs et les bibliothécaires d'université travaillant dans l'intérêt public deviennent des «groupes d'intérêt». La question fondamentale est la suivante : Qui contrôle quelles recherches seront financées par les deniers publics? De plus en plus, la réponse est : les entreprises privées en quête de profits. Aux barricades!