Il s'est écoulé onze ans depuis l'assassinat de quatorze jeunes canadiennes. Le 6 décembre 1989, un tireur fou est entré dans des classes de l'École Polytechnique de l'Université de Montréal, a ordonné aux hommes de sortir et a fait feu, à l'aide d'armes automatiques, sur toutes les femmes dans sa ligne de mire. Parce qu'elles étaient des femmes. Parce qu'il croyait que les femmes ne devaient pas avoir droit à la même instruction que les hommes. Parce que les femmes qui réussissent étaient, pour lui, des féministes. « Je hais les féministes », hurlait-il en mettant ses victimes en joue.
Cette tragédie n'a pas eu les répercussions voulues par ce tueur. Les Canadiens et les Canadiennes ont élevé près de 30 monuments permanents à la mémoire des femmes mortes le 6 décembre 1989. Leurs noms sont gravés dans la pierre, le marbre et le granit pour qu'on ne les oublie pas. On trouve d'autres œuvres commémoratives dans presque toutes les collectivités, des jardins de fleurs aux œuvres d'art en passant par des projets exposés sur les murs des écoles et des universités lors de la journée nationale de commémoration. Ces monuments sont le reflet de la principale répercussion du massacre, soit un changement fondamental de notre conscience collective, une plus grande sensibilisation du public à la misogynie et à l'ampleur de la violence à l'endroit des femmes.
Cette horrible journée a donné naissance à la volonté de comprendre et de transformer une société qui ferme souvent les yeux sur ce genre de violence. Il existe, pour chaque monument, des centaines de petits et grands projets pragmatiques qui sont une riposte à la tuerie. Nous améliorons les mesures législatives sur le contrôle des armes à feu, nous discutons de la discrimination fondée sur le sexe dans les classes, nous atténuons le climat hostile à l'égard des femmes dans les professions traditionnellement réservées aux hommes, nous faisons des films et nous écrivons des romans. Tout cela pour changer les choses.
Grâce à une initiative de l'ACPPU, le ministère fédéral de l'Industrie (Sciences et Technologie) a créé 14 bourses pour les étudiantes en génie, un exemple parmi de nombreux autres au sein de nos universités. Des résultats se sont considérablement fait sentir dans les facultés de génie du Canada : le nombre d'étudiantes a plus que doublé depuis 1989.
Outre ces aspects positifs, les monuments suscitent d'inquiétantes questions. Est-ce qu'ils détournent notre attention des désavantages dont souffrent les femmes en raison des coupes sombres dans le financement public au titre de la santé, des projets des femmes et de l'éducation depuis onze ans? Est-ce qu'ils nous permettent de dire que nous avons réglé les problèmes au lieu de nous rappeler ce qu'il reste encore à faire? À l'heure où nous commémorons les quatorze femmes décédées le 6 décembre, l'objectif formulé en 1989 doit demeurer au coeur de notre action : d'abord pleurer leur disparition, puis travailler au changement.