Nous sommes tous conscients des profondes transformations démographiques et intellectuelles qui touchent nos établissements d'enseignement postsecondaire. Nous savons également que, depuis dix ans, les administrateurs universitaires font de plus en plus appel à la main-d'œuvre temporaire pour les besoins permanents en dotation.
La convergence de ces transformations et des stratégies administratives mettent les universitaires permanents ou en voie de l'être face à un dur choix : soit qu'ils assistent à la détérioration lente et sûre de leur profession, vers une situation altérée, précaire et non permanente, semblable à celle dont souffrent leurs collègues contractuels, soit qu'ils les aident à obtenir des salaires, des conditions de travail et d'autres droits comparables aux leurs. En luttant pour des salaires plus élevés, de meilleurs conditions de travail et des droits améliorés, nous protégeons la liberté universitaire, nous encourageons une recherche et une activité intellectuelle libres et viables, nous favorisons un enseignement de qualité et le perfectionnement du programme d'études et nous renforçons la négociation collective pour la profession universitaire.
Dans une large mesure, la créativité dans les universités est issue d'un échange d'idées franc et critique dans le cadre d'une communication collégiale vivante. Cet échange et cette évaluation critique de l'information s'effectuent à l'intérieur des vieilles valeurs, des principes et des responsabilités de la liberté universitaire pour tout le corps universitaire. Les professeurs permanents et en voie de l'être possèdent tous les droits, privilèges et responsabilités inhérents à la liberté universitaire.
Par contraste, les contractuels peuvent être remerciés à la fin de leur contrat sans motif, sans recours équitable et sans droit d'appel. Cette situation décourage l'expression d'idées controversées, l'adoption de méthodes pédagogiques uniques ou la critique des méthodes et politiques administratives. Les professeurs permanents, par contre, ne vivent pas cette situation. Le fondement de la liberté universitaire est la permanence qui crée un climat protégeant indirectement chaque universitaire. Or, à mesure qu'augmente la proportion de professeurs non permanents, le climat protecteur est compromis et affaibli. Un tel affaiblissement peut miner le développement d'idées fondamentales menant à des résultats originaux et créateurs.
Les opposants à la permanence ont exigé son abolition. Toutefois, ils n'auront pas à l'attaquer directement pour l'éliminer compte tenu des stratégies administratives actuelles faisant en sorte que le nombre des universitaires contractuels augmente par rapport aux professeurs permanents.
Il est d'ailleurs inquiétant de constater que seulement 41 % des professeurs d'université aux États-Unis sont permanents ou en voie de le devenir. La majorité d'entre eux prendra sa retraite au cours des dix prochaines années. À moins d'un renversement de la tendance actuelle, consistant à remplacer les universitaires permanents par des titulaires de postes non permanents, environ 20 % seulement de professeurs et chercheurs américains seront permanents ou en voie de l'être dans dix ans, une proportion si réduite que la liberté universitaire sera en grave péril, voire près de l'extinction.
Selon des données non scientifiques, la même tendance se fait sentir dans les universités canadiennes. La polyvalence des établissements sera limitée et la liberté universitaire s'affaiblira gravement faute d'un engagement minimal de la part des administrations universitaires à remplacer les postes menant à la permanence par le même nombre de postes stables et de même calibre. L'affaiblissement de la liberté universitaire compromet, par le fait même, la qualité et l'intégrité de nos universités.
En raison de la lourdeur des tâches d'enseignement, les universitaires contractuels sont marginalisés au sein de la profession. Ils subissent des pressions en ce qui concerne le temps dont ils disposent, l'évolution du contenu des cours et l'activité intellectuelle. Ne jouissant pas de la liberté universitaire, il leur est difficile de discuter de sujets controversés ou philosophiques. Cette situation compromet aussi la quête de normes élevées pour le contenu des cours et le rendement des étudiants. On refuse en outre à ces personnes la possibilité de faire de la recherche et le soutien qui y est nécessaire. On les empêche même de participer à la recherche. L'enseignement, inexorablement lié à la recherche, définit l'essence du travail universitaire. L'effritement de ce lien menace le fondement même de ce que nous accomplissons et ouvre la voie à la « déprofessionnalisation ».
Enfin, les universitaires contractuels n'ont pas le temps, ni l'appui et aucune incitation pour comprendre les objectifs à long terme du programme ou de l'établissement et s'y investir. À quoi ressembleront nos universités si la tendance actuelle à la précarisation de l'enseignement et, par définition, de la recherche, n'est pas renversée?
L'augmentation du nombre de contractuels faiblement rémunérés, résolument peu engagés au sein de l'établissement et disposant de peu de ressources pour soutenir le travail universitaire et la recherche indépendante, affaiblit le pouvoir de négociation du personnel régulier. À moins que nous désirions être les témoins de la précarisation, du démantèlement et de l'implosion de notre profession, le meilleur moyen d'avancer est de se battre pour inclure tous les universitaires contractuels dans nos associations de professeurs et de veiller à ce que chacun jouisse des droits, privilèges et responsabilités inhérents à la liberté universitaire.