Le gouvernement de l'Alberta a posé un geste sans précédant en accordant au DeVry Institute of Technology, une société américaine à but lucratif qui possède 21 campus en Amérique du Nord, le droit de conférer des grades universitaires.
« Cette importante décision pourrait avoir de graves conséquences pour les universités publiques du pays », a déclaré Tom Booth, président de l'ACPPU. « Par ce décret, le gouvernement de l'Alberta crée la première université à but lucratif du Canada. »
Lors d'une réunion tenue au début de février, le cabinet provincial a adopté un décret conférant au DeVry Institute of Technology-Calgary le pouvoir de décerner des baccalauréats en techniques de systèmes informatiques (programme de quatre ans), en techniques de génie électronique (programme de quatre ans) et en exploitation d'entreprise (programme de quatre ans).
Le décret fait suite à la recommandation du Private Colleges Accreditation Board de la province.
Selon John Baker, président de l'University of Calgary Faculty Association, cette décision est un coup dur pour les universités publiques de l'Alberta.
« La diminution considérable du financement provincial a affaibli le système universitaire albertain depuis dix ans », a-t-il déclaré.
Il est également furieux contre le manque flagrant de consultation publique.
« Notre système universitaire est touché d'une manière inaltérable. Pourtant la décision du gouvernement a été prise par le cabinet juste avant les élections sans qu'aucun communiqué n'annonce ce geste sans précédent. »
À ce jour, seule une poignée d'établissements privés sans but lucratif peuvent conférer des grades au Canada. Aucun établissement à but lucratif n'a encore obtenu ce pouvoir. « La nature publique et sans but lucratif de l'enseignement postsecondaire au Canada sert le bien commun », a expliqué M. Booth. « Le système public est le mieux apte à garantir le libre accès au savoir et à offrir la possibilité d'obtenir un diplôme universitaire ou collégial d'une manière plus accessible et abordable. »
Les droits de scolarité moyens du DeVry Institute de Calgary sont d'environ 8 000 $ par année contre 4 400 $ à l'University of Calgary.
Selon M. Booth, l'implantation des universités privées à but lucratif menace sérieusement les universités publiques parce que les établissements privés épuiseront inévitablement les ressources du système public déjà insuffisamment financé, même si les gouvernements prétendent qu'ils ne seront pas admissibles aux crédits publics.
« Que ce soit par l'entremise indirecte des programmes d'aide financière aux étudiants ou des subventions pour la formation, ou par l'entremise directe du financement public de la recherche et des subventions gouvernementales, les universités privées soutireront du système public les fonds dont il a tant besoin », a ajouté M. Booth.
Les deux présidents ont également fait des mises en garde contre la possibilité que le financement de l'enseignement postsecondaire public soit contesté en vertu des accords commerciaux à la suite de la décision du gouvernement albertain de reconnaître le DeVry Institute comme une université privée.
Aux termes de l'Accord de libre-échange nord-américain, l'Alberta doit uniformiser les règles du jeu pour les universités publiques et privées. Le DeVry Institute pourrait contester le financement public octroyé aux établissements d'enseignement postsecondaire en invoquant l'avantage concurrentiel déloyal dont jouissent ainsi les universités publiques. Les règles de l'ALENA pourraient également forcer l'Alberta et d'autres provinces à ouvrir le « marché » de l'enseignement postsecondaire aux sociétés américaines et mexicaines qui satisfont aux mêmes conditions que le DeVry Institute.
Ce n'est pas la première fois que cet institut, une multinationale située à Oakbrook Terrace, en Illinois, suscite la controverse. En novembre dernier, il a fait l'objet d'un recours collectif pour la protection des consommateurs aux États-Unis. D'anciens étudiants mécontents contestaient les manœuvres frauduleuses répandues et les pratiques commerciales illégales de la société. Les plaignants ont prétendu que l'institut manquait de personnel compétent pour ses programmes d'enseignement et que les laboratoires et l'équipement informatique étaient insuffisants.
De plus, en 1995, des étudiants de deux campus de la région de Toronto du DeVry Institute ont été temporairement inadmissibles aux prêts d'études provinciaux lorsqu'on a découvert que la société avait indûment débloquer les fonds du Régime d'aide financière aux étudiantes et étudiants de l'Ontario. Après une vérification indépendante, l'institut a été réinscrit sur la liste des établissements admissibles du RAFEO mais a été contraint de rembourser 6,9 millions de dollars au gouvernement provincial.
Pour les détracteurs des universités privées tel le DeVry Institute, ces exemples font ressortir les préoccupations suscitées par la qualité de l'enseignement qui y est offert.
« Le système public actuel assure un équilibre entre les connaissances appliquées et la perspective plus large des sciences et des sciences humaines, ce qui fait sa grande force. Le DeVry Institute n'offre pas cette vision pédagogique plus polyvalente. »