La FQPPU constate que l'esprit de la Politique québécoise de la science et de l'innovation réduit la fonction de l'université à un rouage dans une mécanique visant de plus en plus l'exploitation du savoir. Le rôle des professeurs est assimilé à celui de producteurs dont la marchandise n'a de valeur que si elle est immédiatement utilisable par le marché.
Le ministre de la Recherche, de la Science et de la Technologie a récemment présenté sa Politique scientifique pour le Québec. Dans un document intitulé Savoir changer le monde, la Politique s'articule autour de trois grands thèmes : le savoir, la recherche et l'innovation. Selon le Ministre, la finalité de cette Politique est de contribuer à l'amélioration des conditions de vie des individus, en assurant le développement des connaissances nécessaires à la croissance économique, au progrès social et à l'enrichissement culturel.
Ainsi, en soutenant l'innovation, la Politique scientifique participe directement à l'activité économique, à la création d'emplois sur tout le territoire, de même qu'à l'amélioration des services et à la solution des problèmes sociaux.
Pour atteindre cet objectif, le Québec s'intéresse vivement à favoriser l'innovation en exploitant le mieux possible l'excellent potentiel de recherche qui existe ici, principalement en milieu universitaire, et surtout dans les domaynes de la santé et des sciences naturelles et du génie.
La Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université (FQPPU) constate, à regret, que l'esprit de cette Politique réduit la fonction de l'université à un rouage dans une mécanique visant de plus en plus l'exploitation du savoir. Dans cette perspective, le rôle des professeurs est assimilé à celui de producteurs dont la marchandise n'a de valeur que si elle est immédiatement utilisable par le marché. En fait, cette Politique ne concerne pas la science, ni la recherche, elle se consacre tout entier à l'innovation.
Même si la Politique confirme l'importance de la recherche comme source première du savoir et réaffirme avec raison que tous les types de recherche doivent être encouragés et soutenus, en particulier en milieu universitaire, elle prend résolument parti en faveur de la seule recherche appliquée, surtout dans le domayne de la santé, ensuite en sciences naturelles et génie, puis en sciences humaynes et sociales, mays à condition que celle-ci serve bien les entreprises et les organismes dans leurs projets d'innovation.
À cet égard, il n'est pas inutile de rappeler que la FQPPU ne s'oppose absolument pas à la pratique de la recherche appliquée à l'université. Cependant, la Fédération ne peut accepter de voir la recherche universitaire réduite à un rouage économique, comme le fait trop souvent la Politique.
Au sujet des ressources humaynes, la Politique reconnaît que le sous-financement des dernières années s'est traduit par une diminution de 1 045 postes de professeurs en cinq ans dans les universités au Québec, une perte de plus de 11 p. 100 des effectifs de l'année 1990. En cette matière, la Politique rappelle le Programme québécois de professeurs-chercheurs FCAR et le Programme des chaires canadiennes qui produiront respectivement 125 et 571 postes de professeurs dans les universités québécoises au cours des cinq prochaines années.
Elle oublie cependant de mentionner que ce nombre de nouveaux postes ne suffira même pas à remplacer les départs à la retraite, et surtout, elle néglige de traiter des conditions d'attribution de ces postes dont l'orientation et la teneur sont établies par des mécanismes qui échappent au contrôle universitaire.
En outre, cette pratique que la Politique veut encourager conduit inévitablement à l'existence de professeurs à statut particulier à qui l'on demande, par ailleurs, de s'intégrer pleinement dans des unités qui n'ont, parfois, même pas eu voix au chapitre de leur sélection.
Dans ces conditions, il est évident que non seulement la relève du corps professoral ne suit pas le rythme de l'attrition, mays en plus, les solutions proposées dans la Politique impliquent une dangereuse perte d'autonomie des universités sur cette dimension fondamentale de leur mission et elle comporte un risque important de friction dans un corps professoral invité par ailleurs à pratiquer concertation et coopération.
Au chapitre des mesures positives, la Politique rappelle, à juste titre, l'amélioration récemment apportée au programme de bourses au mérite FCAR et elle laisse entendre que leur nombre pourrait augmenter. De même, il faut saluer l'intention annoncée de généraliser l'attribution de frais généraux de 40 p. 100 à toutes les subventions de recherche qui émanent d'organismes basés sur un jugement de pairs.
Dans la même veine, la volonté de financer des infrastructures majeures de recherche et les espaces correspondants est une annonce intéressante, même si on n'en connaît ni le domayne d'application, ni l'implication financière.
D'ailleurs, au sujet du soutien à la recherche, la Politique annonce un projet de refonte du système de financement de la recherche universitaire qui s'aligne sur l'organisation fédérale qui intervient aussi d'une façon importante dans ce domayne. Selon ce projet, le Fonds FCAR se limiterait désormays au seul domayne des sciences naturelles et du génie, alors que le CQRS deviendrait un fonds à part entière, dédié aux sciences humaynes et sociales de même qu'aux arts et aux lettres. Pour sa part, le FRSQ continuerait à s'intéresser au domayne de la santé, mays dans une perspective plus large, à la façon des nouveaux Instituts de recherche en santé du Canada.
Finalement, la Politique nous apprend que ces trois organismes voués au soutien de la recherche devraient veiller à répondre aux besoins qui émanent des universités, mays aussi des collèges, de l'industrie, des ministères et des organismes publics concernés. Pour ce faire, la Politique annonce une intention d'augmenter les budgets consacrés à cette fonction et elle crée un lieu de concertation contenu dans une Conférence des présidents des fonds de recherche du Québec.
Cependant, la composante la plus importante de la Politique scientifique se trouve dans le chapitre consacré à l'innovation. Cette dernière est présentée comme une xigence absolue pour toutes les organisations, y compris dans le domayne social. Le corollaire de cette position adoptée par la Politique serait que la recherche, productrice de savoirs, n'a de valeur que dans la mesure où elle sert les utilisateurs. Or, cette exploitation de la recherche universitaire ne saurait se faire sans s'accaparer les résultats d'une activité qui constitue une des raisons d'être de l'université, et qui est reconnue par la notion de propriété intellectuelle (PI).
La Politique en reconnaît l'existence, la valeur et l'appartenance, mays elle estime que ce sujet, en général, représente un irritant pour l'exploitation commerciale des résultats de la recherche universitaire. Qu'à cela ne tienne, la Politique impose que toute PI soit, d'office, cédée à l'université qui, elle-même, la transférera aux sociétés privées de valorisation avec lesquelles elles sont associées par contrat.
Qui plus est, sans égard à la liberté ou à l'autonomie universitaires, en matière d'exploitation des résultats de la recherche, la Politique impose aux universités et aux chercheurs de céder leur propriété intellectuelle, sous peine de se voir couper le financement public de soutien à la recherche, et cela, par voie de réglementation ou de législation s'il le faut.
Ainsi, en vertu de cette approche, toutes les universités devront adopter une même politique de récupération de la PI, au détriment des ententes et pratiques qui peuvent exister à l'effet contraire dans les établissements universitaires, et dont certaines sont inscrites dans les conventions collectives.
Finalement, la Politique crée quatre organismes chargés de soutenir et de promouvoir les actions associées aux intentions annoncées. Ces organismes : Science atout, Interface, Innovation.Inc et Innovation.Org, sont formés de l'ensemble des ministères concernés (entre dix et quatorze), qui héritent, conjointement, de leur gestion et de leur coordination.
Longtemps attendue, la Politique québécoise de la science et de l'innovation prend la relève d'orientations qui avaient été énoncées dans les années 1980. Dans une large mesure, le monde universitaire, notamment la FQPPU, se reconnaît peu dans cette Politique presque exclusivement fondée sur l'innovation. À cet égard, la Politique succombe trop facilement aux tendances modernes de confondre recherche et innovation et d'évaluer l'activité intellectuelle à l'aulne de l'applicabilité immédiate.
Même si cette Politique fait une analyse valable de la recherche en milieu universitaire, elle propose peu de mesures pour la soutenir et en favoriser le développement. Fondamentalement, selon la Politique, la recherche universitaire mérite d'être soutenue dans la mesure où elle peut donner lieu à de l'innovation. Cette perspective réductrice s'avère incompatible avec de nombreux secteurs d'activité à l'université et elle heurte les valeurs profondes d'une grande majorité d'universitaires qui conçoivent toujours leur rôle en fonction de la mission critique et libre de l'université.
Il faut applaudir au projet de réorganisation et de coordination des organismes subventionnaires. De même, l'élargissement du versement de frais indirects attachés aux subventions ne peut qu'améliorer les conditions de pratique de la recherche en milieu universitaire.
Cependant, on ne peut que regretter l'éloge sans nuance qui est fait du Programme des chaires du millénaire et l'intention annoncée de poursuivre le Programme québécois de professeurs-chercheurs, l'un et l'autre programme relevant d'un financement ciblé qui fait offense à l'autonomie universitaire et qui produit un effet perturbateur dans les rangs des professeurs d'université. mays, par-dessus tout, c'est au niveau de la propriété intellectuelle que l'agression de la Politique se fait le plus sentir. En cette matière, l'orientation est claire et incisive.
Les résultats de la recherche universitaire ne peuvent plus donner lieu à une application commerciale sans cession de la propriété intellectuelle à l'entreprise privée. Cette mesure draconienne, appuyée au besoin par la réglementation ou la législation, heurte de plein fouet la liberté universitaire en matière de recherche et elle constitue un déni pur et simple de la reconnaissance du travail intellectuel effectué en milieu universitaire. C'est l'université au service des entreprises.
De plus, l'application de tels principes de fonctionnement se traduira inévitablement par une diminution de l'engagement financier public envers l'université, en faveur d'un apport privé de plus en plus important. Cette perspective s'oppose directement à la conviction profonde de la FQPPU voulant que l'université constitue un service public dont le financement doit relever de l'État.
Outre le fait que la Politique ne fournit aucun indice quant à l'importance des moyens financiers associés aux mesures annoncées, parfois de façon laconique, elle fonde aussi beaucoup d'espoir sur la concertation et la coordination qui seraient instaurées entre les ministères québécois concernés par l'innovation. Cette intention ne peut qu'être vivement encouragée, mays il nous paraît exagérément optimiste, pour une politique de cette importance, de miser autant sur des pratiques qui relèvent plus du devenir que de la réalité dans le secteur gouvernemental.
Heureusement, le texte annonce l'intention de s'intéresser au suivi des actions proposées et de demeurer à l'écoute des partenaires du milieu de la recherche et de l'innovation. À ce sujet, la FQPPU ne manquera pas de faire entendre sa voix pour défendre les valeurs qu'elle véhicule en faveur de la liberté universitaire, de l'autonomie universitaire et de la fonction critique de l'université.
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André Hade est deuxième vice-président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université.
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