Le comité chargé d'enquêter sur le différend entre la Dre Nancy Olivieri, l'hôpital des enfants malades, l'Université de Toronto et Apotex Inc. a rendu public en octobre son rapport dont les conclusions étaient attendues depuis longtemps. Deux ans après le début de leur enquête, les auteurs recommandent des mesures plus strictes pour protéger les droits des patients et affranchir les essais cliniques de médicaments de l'influence des sociétés pharmaceutiques.
« Ce qui s'est produit dans cette affaire pourrait arriver n'importe où au pays », a déclaré Jon Thompson, le président du comité d'enquête. « La controverse s'est engagée alors que les établissements d'enseignement publics dépendent davantage des entreprises pour obtenir du financement et qu'ils ne mettent pas en place des politiques et des pratiques efficaces de protection du public. Dans cette affaire, des déclarations inexactes, des erreurs et des mauvais jugements ont aggravé le problème. »
Le cas de la Dre Nancy Olivieri, chercheure de clinique à l'Université de Toronto, a attiré l'attention mondiale depuis que la société Apotex, bailleur de fonds des essais cliniques de son médicament, a tenté de faire disparaître les conclusions de la chercheure selon lesquelles ce médicament comportait des risques inattendus. La société a mis brusquement fin aux essais cliniques et a menacé de poursuivre la chercheure si elle informait des risques ses patients de l'hôpital des enfants malades ou si elle publiait ses découvertes.
Le comité d'enquête a conclu que la Dre Olivieri a respecté ses obligations éthiques malgré l'ingérence d'Apotex. Lorsque la controverse a éclaté au grand jour en 1998, Apotex et certains membres du personnel cadre de l'hôpital et de l'université ont néanmoins accusé la chercheure d'inconduite. Dans son rapport, le comité montre que ces accusations étaient incorrectes mais que l'hôpital s'en est servi pour prendre publiquement de graves mesures contre la Dre Olivieri. Par la suite, Apotex a invoqué ces sanctions pour défendre la réputation de son médicament.
« L'hôpital et l'université auraient dû défendre vigoureusement le droit des chercheurs de clinique à divulguer les risques aux patients et aux sujets participant à des recherches », a soutenu Patricia Baird, membre du comité. « Ils avaient la responsabilité de protéger l'intérêt public et la liberté universitaire contre les gestes excessifs posés par Apotex, mais ils ne l'ont pas fait. »
L'ACPPU demande à l'hôpital des enfants malades, à l'Université de Toronto et à Santé Canada de donner suite immédiatement aux recommandations du comité d'enquête.
« La gravité de cette affaire commande une action immédiate », a déclaré James Turk, directeur général de l'ACPPU. « Il ne faut plus que les devoirs éthiques des chercheurs, la liberté universitaire, les droits des patients et l'intérêt public soient de nouveau compromis ainsi. »
Le comité formule 31 recommandations dans son rapport, notamment :
Les contrats avec des entreprises subventionnant la recherche clinique ne devraient jamais empêcher les chercheurs d'informer des risques les patients ou la collectivité universitaire.
Toutes les universités et les hôpitaux universitaires affiliés devraient mettre en place des politiques et des pratiques efficaces pour protéger la liberté universitaire ainsi que les principes de la recherche et l'éthique clinique.
Santé Canada devrait examiner les règlements actuels sur la recherche dans le domaine de la santé et les modifier en conséquence afin de protéger l'intérêt public et les droits des patients qui volontairement participent à la recherche.
L'université et l'hôpital devraient accorder réparation à la Dre Olivieri pour le traitement injuste qu'elle a subi.
Selon Jocelyn Downie, membre du comité d'enquête, il faut absolument de nouvelles normes nationales plus rigides régissant la recherche clinique pour remplacer la diversité de règles qui existe actuellement.
« Les règles et les règlements actuels régissant la recherche ne traitent pas bien des conflits d'intérêts », a-t-elle soutenu. « Les protections ne sont pas efficaces. »
Les auteurs du rapport demandent également à l'hôpital et à l'université de s'occuper de la conduite inappropriée de certaines personnes et de comités. Il donne des exemples de témoignages faux et trompeurs devant les comités d'examen formés par l'hôpital et des cas où des chercheurs ont publié des conclusions favorables au sujet du médicament d'Apotex mais qui n'ont pas divulgué l'aide financière qu'ils recevaient de la société. Ils font la preuve également que des administrateurs et des comités de l'hôpital n'ont pas offert de recours équitable.
« La leçon à tirer de cette affaire est qu'il est essentiel de consentir aux professeurs de médecine le même droit à la liberté universitaire que tous les autres professeurs. Sans cette protection et la garantie d'indépendance, l'intégrité de la recherche clinique sera compromise au détriment de l'intérêt public », a déclaré M. Booth.
Rhonda Love, présidente de l'University of Toronto Faculty Association, a accueilli le rapport avec satisfaction et a affirmé qu'il tombait à point étant donné que l'Université de Toronto négocie présentement avec ses hôpitaux universitaires un mode optionnel de financement qui dépouillerait les professeurs de clinique de leur liberté universitaire.
Si cette entente se conclut, l'affaire Olivieri sera la partie immergée d'un très gros iceberg », a-t-elle poursuivi.
Le rapport critique également l'ACPPU pour ne pas avoir pris assez rapidement la défense de la Dre Olivieri après avoir eu connaissance de l'affaire.
« Nous reconnaissons que nous devons modifier nos méthodes de traitement des cas de violation de la liberté universitaire », a admis M. Booth. « Nous agirons plus rapidement et plus énergiquement à l'avenir pour défendre la liberté universitaire. »
Il a ajouté que l'ACPPU utiliserait le rapport pour promouvoir des réformes fondamentales qui libéreraient les chercheurs d'université de l'influence d'intérêts particuliers. « Dans un premier temps, les universités et les hôpitaux universitaires devraient interdire les contrats et les ententes avec des bailleurs de fonds de l'industrie qui empêchent les chercheurs de divulguer des risques au grand public », a dit M. Booth. « Santé Canada devrait demander qu'aucun chercheur de clinique ne soit tenu d'abandonner le devoir de divulguer des risques à leurs patients. »
L'ACPPU a mis sur pied le comité d'enquête en 1999. Bien que nommés par l'ACPPU, les membres du comité ont accepté d'y siéger sans être rémunérés et à la seule condition d'être indépendants de l'ACPPU et d'autres personnes ou organismes. Le rapport de 500 pages est affiché sur le site www.caut.ca. Intitulé The Olivieri Report, le rapport est publié par la maison d'édition James Lorimer & Company Ltd. Il est possible de se le procurer dans les librairies ou par l'entremise de Formac Distributing (1-800-565-1975).